Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
Ces derniers
temps, en plein génocide à Gaza, on a pu remarquer sur les médias français la
présence intense de deux écrivains d'origine algérienne, connus pour leur
francophilie exacerbée et qui ont pour traits communs l'islamophobie, l'arabophobie et une sympathie affirmée pour Israël.
Ce discours est, en fait, composé de clichés bien connus malgré les efforts pour leur donner une tournure littéraire. Ces personnes sont appréciées par leurs interlocuteurs médiatiques parcequ'elles tiennent le langage qu'ils attendent, qu'ils souhaitent:»la menace islamiste, les zones sans droit, les quartiers perdus de la république, l'islamo-gauchisme, le voile de la soumission, la violence, la menace terroriste, le prosélytisme musulman, la menace du grand remplacement», etc. Mais elles le disent d'une voix supposée plus crédible que le discours récurrent médiatique sur ces thèmes, car elles viennent du camp d'en face, celui-là même qu'elles dénoncent. Leur discours est sur le mode: «moi je les connais bien» «je sais ce qu'ils pensent. Méfiez-vous d'eux. Attention ne vous laissez pas tromper par ce qu'ils disent devant vous. Moi je sais ce qu'ils disent entre eux. Il n'y a rien de bon chez eux, aucune intégration, ils sont très peu ceux qui sont français avant d'être arabes et musulmans», etc., etc. Mieux que le discours des courants xénophobes français les plus extrêmes. «Suis-je un traitre ?» Ce qui est remarquable, c'est que, prenant les devants, ils n'hésitent pas à déclarer eux-mêmes que l'opinion publique dans leurs pays les considèrent comme des traitres. «Suis-je un traitre?», c'est la question étonnante que pose l'un d'eux dans une interview à une chaine de télévision, ce qui explique que nous mettions, tout le long de ce texte, ce mot de trahison entre guillemets. Et il en propose lui-même la définition, «être contre les siens» et il se lance dans un véritable éloge, une ode à la «trahison» dans laquelle il voit un «contenu libérateur» en Algérie(1). L'autre n''est pas en reste. Il déplore que «la France ait perdu sa volonté de puissance» et il alerte sur «le processus d'islamisation de la France», reprenant la «fameuse théorie du remplacement» qu'il voit achever dans les «cinquante ans à venir s'il n'est pas stoppé (2). Et cerise sur le gâteau, lui qui revendiquait les droits de la langue française en Algérie, affirme à présent que «les pays qui n'ont pas de langue, qui ont trahit la leur, n'ont pas d'avenir.» (3). Amusant n'est-ce pas ? Chez tous deux, ici et là, il y a l'idée récurrente d'une guerre de libération dont le poids idéologique est à leurs yeux un carcan aujourd'hui pour l'émancipation du peuple algérien. L'inversion est splendide. Car ce qui a, au contraire, jusqu'à présent protégé l'Algérie, ce sont ses martyrs. Ils sont des centaines de milliers d'une terrible guerre de libération. Chaque lieu, chaque rue, chaque école, chaque université, et même chaque promotion militaire, porte le nom d'un héros. Ils sont un immense barrage à toutes les tentatives de régression, de trahison, de démoralisation, malgré toutes les crises et les aléas des pouvoirs qui se sont succédé. Ils protègent l'Algérie jusqu'après leur mort, et la protègeront pendant des lustres, probablement pendant des siècles comme c'est généralement le cas pour ces épopées historiques. Et c'est précisément pourquoi celui qui glorifie le «contenu libérateur» de la trahison, magnifique paradoxe, va s'acharner à détruire ce capital. Son message est reçu cinq sur cinq par le colonialisme, ses nostalgiques et ses épigones. Le paradoxe Joignant l'acte à la parole, ces intellectuels qu'on entend actuellement, dénoncent, les travers, de leur propre communauté, ont pris la nationalité française récemment. Pourquoi avoir attendu si longtemps ? Probablement pour montrer que leur critique venait de l'intérieur et qu'elle ne pouvait être soupçonnée d'être exogène, ou motivée par des intérêts sordides, bref pour lui donner plus de crédibilité. Mais on peut penser aussi que cette naturalisation est survenue après une période d'observation où leur positionnement politique a été apprécié. Il est clair, en effet, que leur production littéraire est politisée à l'extrême, sur les thèmes de l'islamisme, de l'héritage colonial et désormais de façon de plus en plus marquée, sur la défense d'Israël. Où est la littérature dans tout cela ? Le choix de la nationalité française devrait en principe rééquilibrer les choses, éloigner les soupçons de trahison. Mais le paradoxe est là. Il est que même lorsqu'ils sont devenus français, ces pourfendeurs de l'Islam et de l'Arabité, ces hérauts de l'occidentalisme, continuent de fonctionner de la même manière. Ils ne parlent pas de la France, des Français, de leur nouvelle patrie. Ils continuent de parler de l'ancienne. Leurs thèmes de prédilection restent les musulmans, l'Islam, les Arabes. Ils ne parlent encore et encore que des Algériens et autres Maghrébins. Parfois on est frappé par l'acharnement dont ils font preuve sur ces thèmes, dans une surenchère permanente qui est loin de leur être demandée. Leur interlocuteur en est lui-même gêné, comme on peut le remarquer lors de leurs prestations sur les plateaux de télévision. Cet interlocuteur peut appartenir à une chaine et à une ligne éditoriale qu'on peut soupçonner de xénophobie, d'islamophobie, voire de racisme, mais il se considère avant tout comme nationaliste, voire ultra patriote. Il y a donc un malaise qui s'installe dans le rapport, entre le mépris éprouvé pour cette personne qui s'est éloignée à ce point de sa patrie et l'adhésion à un discours présenté comme la défense de la France. Parfois ces pourfendeurs de leur communauté d'origine vont tellement loin dans la dénonciation des leurs, que ceux qui les écoutent sont eux-mêmes effrayés, peinés devant un tel effondrement de leur propre identité. Il y a un certain extrémisme de ce genre de comportements dont il faut comprendre les ressorts. Si pour le commun des citoyens du pays ou de la communauté d'origine, il s'agit là de «trahison» des siens, il y a, au contraire, chez ceux qui agissent ainsi, la conviction d'être dans le vrai, dans le bon sens. On «trahit» de bonne foi. Il y a même une excitation à cela, un sentiment d'orgueil, celui d'être, particulier, singulier, voir unique, bref il y a une jubilation. Ce sentiment, quasiment de plaisir, se renouvelle chaque fois. Les attaques subies le nourrissent. Il en devient un besoin. Notes (1) https://www.tribunejuive.info/2024/09/21/kamel-daoud-quand-un-intellectuel-du-sud-pense-contre-soi-et-contre-les-siens-cest-un-traitre-suis-je-un-traitre/ https://www.lepoint.fr/editos-du-point/kamel-daoud-eloge-de-la-belle-trahison-14-03-2021-2417629_32.php (2) https://www.tribunejuive.info/2024/09/22/boualem-sansal-la-france-est-un-pays-a-la-ramasse-qui-vit-sur-des-gloires-passees-par-alexandre-devecchio/ (3) https://www.lepoint.fr/postillon/boualem-sansal-un-peuple-qui-perd-sa-langue-perd-son-ame-15-09-2024-2570301_3961.php |
|