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Président de la République ! Une ambition, un honneur, un métier ou une charge ?

par Cherif Ali

Les gens disent souvent avec fierté, je ne m'intéresse pas à la politique. Ils pourraient aussi bien dire : je ne m'intéresse pas à mon niveau de vie, ma santé, mon travail, mes droits, mes libertés, mon futur ni aucun avenir. Si on veut garder un quelconque contrôle sur notre monde et nos vies, on doit s'intéresser à la politique.

Martha Gellhorn (écrivaine et journaliste)

L'élection présidentielle du 7 septembre 2024 se profile à l'horizon. Avant d'aborder le sujet, commençons par rappeler les conditions exigibles pour une telle fonction :

• avec tout d'abord, l'article 87 de la Constitution qui stipule que le candidat doit :

• ne pas avoir acquis une nationalité étrangère ;

• jouir uniquement de la nationalité algérienne d'origine et attester de la nationalité algérienne d'origine du père et de la mère ;

• être de confession musulmane ;

• avoir quarante (40) ans révolus au jour du scrutin ;

• jouir de la plénitude de ses droits civils et politiques ;

• attester de la nationalité algérienne d'origine du conjoint ;

• justifier d'une résidence permanente exclusive en Algérie durant un minimum de dix (10) années précédant le dépôt de la candidature ;

• justifier la participation à la Révolution du 1er Novembre 1954 pour les candidats nés avant juillet 1942 ;

• justifier de la non implication des parents du candidat né après juillet 1942, dans des actes hostiles à la Révolution du 1er Novembre 1954 ;

• produire la déclaration publique du patrimoine mobilier et immobilier, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'Algérie ;

• Ensuite, l'article 139 de la loi organique relative au régime électoral qui prévoit que la déclaration de candidature résulte du dépôt d'une demande d'enregistrement auprès du Conseil constitutionnel contre récépissé, au plus tard dans les quarante-cinq (45) jours qui suivent la publication du décret présidentiel portant convocation du corps électoral.

Les candidats supposés, déclarés ou non, donnent le prétexte pour réfléchir sur les motivations ou les chances de ceux qui aspirent, légitimement ou pas, à assumer la fonction de président de la République.

Et cela ne se fera pas sans la cohorte des candidats à la candidature! Sur les 37 candidats à la présidentielle anticipée du 7 septembre prochain, ayant retiré les formulaires de signatures, ils n'étaient que 16, ce jeudi 18 juillet 2024, au dernier jour fixé par la loi, à remettre leurs dossiers accompagnés des signatures ou des parrainages d'élus, à l'ANIE.

En la circonstance, on ne pourra pas échapper au ballet des inévitables fantaisistes et autres parvenus, qui au-delà de leur culot, n'ont de la fonction présidentielle, qu'une vision sommaire et parcellaire des responsabilités de président de la République. L'ont-ils rêvé enfant cette ambition : mon enfant, quand tu seras grand, tu seras président de la République ! Allez savoir.

Il y a aussi ceux qui se présenteront pour des motifs narcissiques ou nombrilistes, pour plaire à la famille et aux amis, sachant pertinemment qu'ils n'iront pas plus loin que le dépôt du dossier de candidature.

Il y a aussi une autre catégorie, celle des apprentis-présidents qui pensent avoir découvert, sur le tard, cette vocation et rêvent déjà de pouvoir, de dorures, de palais, de privilèges et de voyages en avion présidentiel. Ils émergeront rapidement de leur rêve et retourneront, qui à ses affaires dans le secteur informel, qui à son association de quartier ou tel autre encore, à la conduite de son « partillon » à peine éclos.

Tous ces candidats là, auront peut-être, quelques lignes dans les journaux locaux, cela est suffisant pour leur assurer une gloire éphémère au sein de leur famille et dans leur quartier.

Autant dire que l'ambition ou les rêves même les plus fous, ne suffisent pas, car la fonction de président de la République, une charge en fait, est trop sérieuse. Elle exclut tout caprice ou autre comédie. «C'est la rencontre d'un homme, ou d'une femme avec son peuple », pour paraphraser le général De Gaulle.

En prévision des prochaines élections présidentielles, il est entendu que chaque Algérien, en conformité avec la loi et ses exigences, a le droit de se présenter à la candidature. Mais l'exagération du nombre suggère une donnée déphasée. Que 37 postulants aient la prétention d'escalader les hautes marches du plus important exercice électoral ne manque pas d'induire de sérieux questionnements sur la légèreté des élans des égos déplacés. On ignore leurs profils et cette méconnaissance en elle-même est déjà un aperçu sur la flagrance d'une déraison évidente qui en dit long sur le tordu de certains esprits.

Point d'humilité ni de retenue chez des volontaires probablement convaincus que la magistrature suprême n'est qu'un jeu de trampoline. Quelques-uns auront toujours le loisir d'expliquer que l'échec de leur aventure ne doit son flop qu'à un jeu malsain des autorités qui n'ont pas reconnu leur stature alors que la plupart d'entre eux s'ingénient à maquiller leurs limites. La vilaine drôlerie est que l'on a déjà vu par le passé un candidat éberlué, bras levés, montrer ses biceps pour les présenter en seuls arguments de candidature pour diriger le pays. D'autres se manifestent en ce moment avec la seule rigidité de la langue et du verbe, convaincus, non sans légèreté, de la sacralité de leurs propos. Ils veulent laisser croire que la gouvernance n'est que déballage de convictions trop aériennes pour constituer un programme politique concis. L'objectivité et le réalisme sont laissés derrière les rideaux des scènes théâtrales pour donner libre cours à l'ambition démesurée. *

Ceci étant dit, toutes les élections passées nous ont permis de constater que dans les starting-blocks, il n'y a pas, au départ, que des candidats fantasques, il y a aussi, fort heureusement, des candidates et candidats autrement plus crédibles.

• SaïdaNeghza, candidate indépendante qui a déclaré : «J'aurais souhaité voir plus de candidates; je suis désolée de constater que la représentation de la femme, dans cette joute électorale, est très limitée, comme je tiens à remercier l'ANIE qui a toujours répondu présente, durant toute l'opération de collecte des signatures. Je remercie également les médias pour la couverture et les compte-redus, en étant toujours en relation avec le staff de notre campagne ; je remercie les jeunes, garçons et filles de mon équipe de campagne, qui ont veillé au grain, pour arriver à cet instant historique, celui du dépôt de dossier de candidature !»

• Zoubida Assoul (UCP) qui a déclaré : «Je viens de déposer mon dossier comme le stipule la loi relative aux élections ; nous avons déposé les signatures et les documents nécessaires. Notre participation aspire à asseoir un système de gouvernance, où seront établis un État de doit, un État des libertés et du développement économique et une prospérité pour le peuple.»

• Louiza Hanoune et l'occasion ratée de briser le « plafond de verre » La notion de « plafond de verre », pour ceux qui viendraient encore à l'ignorer, renvoie au fait que les femmes peuvent progresser dans la hiérarchie de l'entreprise mais seulement jusqu'à un certain niveau. Résultat : elles sont en grande partie absentes du sommet de la hiérarchie.

Pour rappel, la secrétaire générale du PT, Louisa Hanoune s'est retirée de la course à la présidentielle, après avis du Bureau politique du parti «qui a expliqué sa décision de non-participation au scrutin, comme un acte politique de résistance aux pratiques de l'ordre ancien»

• Et pour la première fois depuis 1999, le Front des Forces socialistes va présenter un candidat à l'élection présidentielle algérienne. Premier secrétaire national du parti depuis juillet 2020, Youcef Aouchiche ambitionne de se faire une place dans une campagne qui l'amènerait au palais d'El Mouradia

• Il en est de même de Belkacem Sahli (ANR), qui n'en est pas à son premier essai, lui qui est, pour l'heure, candidat de la Coalition formée par 7 partis : « Nous représentons le courant démocrate républicain», a-t-il dit!

• Pour sa part, le Mouvement pour la société de la paix (MSP) a désignéson président Abdelali Hassani Cherif en tant que candidat à l'élection présidentielle du 7 septembre prochain: « la prochaine élection présidentielle constitue une étape importante pour le pays, car c'est une opportunité pour la classe politique et les citoyens des différentes couches, d'œuvrer à l'unité et à la stabilité du pays», avait déclaré le candidat suite à sa désignation.

• Et Abdelmadjid Tebboune qui se porte candidat, «à la demande de plusieurs partis et organisations politiques et non politiques et de la jeunesse, je pense que le moment est venu d'annoncer que je me présente pour un deuxième mandat comme le permet la Constitution et c'est au peuple algérien que reviendra le dernier mot» a-t-il déclaré a la presse.

Le Président-Candidats'est engagéde dresser son bilan de cinq ans de gestion : «Je vais faire mon bilan face à la presse puisque je me présente comme candidat. Il est de notoriété publique que les recettes de l'État ont augmenté, que la saignée du Trésor relève du passé et que l'Algérie a récupéré dans la mesure du possible les fonds dilapidés estimés en milliards de dollars».

Cela étant, la scène électorale sera animée, en plus des activités des grands partis, par la présence d'un bon nombre de candidats indépendants.

Dans cette effervescence, il y a lieu de souligner que parmi les acteurs de ce rendez-vous important, les partis, les alliances et les mouvements associatifs, qui ont ouvertement et initialement annoncé leurs soutiens au candidat Abdelmadjid Tebboune pour briguer un second mandat, « se disent convaincus de la nécessité de valoriser les acquis, préserver la stabilité des acquis de ces dernières années et parachever le travail de reconstruction engagé durant le premier mandat.»

Mais quelles que soient les raisons de tous ces candidats, ils ne mesurent pas, pour un certain nombre d'entre eux, la gravité de leur démarche.

Oui, on ne s'improvise pas candidat et a fortiori, président de la République. On le devient suite à un parcours politique, ponctué par une volonté ferme d'aller plus loin, pour servir le pays et le peuple. C'est une alchimie entre l'envie, le devoir et la circonstance. Certains mêmes, y ont pensé chaque matin en se rasant. Chez nous, si tout le monde se rase le matin, qui pourrait, cependant, rêver devenir président en 2024 ?

Difficile question au demeurant et y répondre tout de suite n'est pas facile !

L'autre constat qui reste à faire concerne également, l'environnement culturel, social et politique qui se caractérise par un encéphalogramme des plus plats : des partis qui n'ont jamais été en ordre de marche. Une société civile qui peine à émerger de son hibernation. Une élite universitaire timorée, qui ne phosphore pas aux idées ou qui en produit très peu. Une population éloignée « de la chose politique », car trop préoccupée par sa subsistance, ce qui fait craindre une abstention significative.

Voilà où nous en sommes donc, bien après 1989, année de l'ouverture politique, année de naissance des Associations à caractère politique qui, faut-il le noter au passage, ont toujours ou presque, les mêmes « zaim et zaima »!

En principe, quand vous faites de la politique et quand vous devenez le leader d'un mouvement politique, suffisamment influent et puissant pour prétendre gouverner, vous travaillez à forger votre personnalité et à forcer le destin ! Mais, force est d'admettre que le costume présidentiel, si lourd à porter, est sans doute mal taillé pour certains, qui hésitent.

«Ce poids du costume, c'est en fait la chape de l'histoire qui s'abat sur vos épaules. Président de la République, vous ne faites pas l'histoire, vous êtes l'histoire», avait prévenu Nicolas Sarkozy, lors d'un de ses débats télévisés.

Donc, si les acteurs politiques, membres influents de partis, élus nationaux, personnalités reconnues, maillons importants de la chaîne de commandement, dont la première ambition, au-delà de la redondance des formulations «intérêt général», «service des citoyens», «défense des constantes» etc. ?, est de se construire une carrière jusqu'au sommet de l'Etat, si ces gens-là ne veulent pas être candidats et/ou ne présentent pas le bon profil, ou comme le Parti des Travailleurs, jettent l'éponge, que faut-il retenir, ou quelle attitude faut-il adopter ? Les forcer à y aller, par devers eux ? Leur dire que la nation a besoin d'eux ?

De toutes les façons, dans un régime présidentiel comme le notre, la fonction de président de la République est beaucoup plus une charge qu'unhonneur, «Teklif wa layssa techrif» comme l'a si souvent répété Abdelmadjid Tebboune, le Président en exercice, mais aussi, peut-être, un métier dont il faut maîtriser les rudiments :

1. Nicolas Sarkozy, l'ex-président français, n'avait-il pas déclaré «qu'il s'adonnait au dur métier de présider ?» Il répéta volontiers : «si je ne fais pas le travail, qui le fera ?» Le même Sarkozy, s'est même adressé aux ouvriers des chantiers navals de Saint-Nazaire, de cette manière : «votre métier est dur, le mien aussi. Mais je le fais !» (Le Figaro).

2. Le président Hollande, l'autre ancien président de la France, au plus bas dans les sondages, avait fait l'objet de commentaires acerbes de la part de sa presse nationale, qui avait repris, à l'unisson, la formulation : «le métier de président est rude?» , ceci pour décrire les difficultés qu'avait rencontrées le président à faire le job.

3. Le président américain Barack Obama qui doit sa victoire aux réussites de son mandat, mais aussi à sa fameuse déclaration, reprise comme un slogan de campagne : « un deuxième mandat pour finir le job et aussi « wecan't finish the job of deficit reduction with ? »

Il n'y a pas donc de place pour ceux qui n'ont ni l'étoffe de président de la République, qui n'en connaissent pas le ba-ba, ou qui temporisent, hésitent, hument le vent, attendent un quelconque appel ou qui se découvrent des vocations sur le tard. C'est un métier et celui qui serait, investi par le Conseil constitutionnel et donc candidat le 7 septembre prochain, doit en posséder, au moins, les rudiments, sachant que l'école des présidents de la République n'existe pas encore.

En attendant et à moins de détester l'Algérie ou de s'en détacher complètement, on ne peut jouer l'avenir à la roulette russe et confier les commandes à un quelconque apprenti-sorcier, à un hurluberlu dont ce ne serait pas le métier, ou à tel autre qui ne penserait qu'à régler ses comptes ?

Le méchant constat dépasse la dérision parce qu'il propose de la déraison au moment où le pays a besoin d'une autre consistance humaine pour affronter un monde en total bouleversement. Prétendre gouverner une nation ne repose plus, aujourd'hui, sur de la fiction.

Faire face aux énormes attentes populaires pour y répondre n'est pas un jeu !*

*La légèreté des élans des égos, par Abdou BENABBOU