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Le
21 janvier 2021 le juge des référés du Conseil d'Etat a censuré la circulaire
du Premier ministre n°6239/SG relative aux mesures frontalières mises en place
dans le cadre de l'état d'urgence qui ne prévoit pas de dérogations pour le
regroupement familial.
En conséquence, il a (aussi) censuré l'instruction du ministre de l'Intérieur de ne pas instruire les demandes de visa long séjour présentées dans le cadre des procédures de regroupement familial. Il a également enjoint le Premier ministre de prendre «les mesures réglementaires strictement proportionnées aux risques sanitaires liés à l'entrée en France des personnes bénéficiant des procédures de regroupement familial et de réunification familiale» Cette décision s'inscrit dans un mouvement jurisprudentiel dans lequel le Conseil d'Etat sert de garant de l'Etat de droit et des libertés fondamentales face au régime exorbitant de l'état d'urgence sanitaire. Depuis l'instauration de l'état d'urgence sanitaire, le droit des étrangers s'est retrouvé particulièrement menacé par les mesures de restriction de l'accès aux frontières prises afin de lutter contre l'épidémie. La nécessité d'un contrôle du Conseil d'Etat s'imposait donc afin d'éviter des restrictions injustifiées et de maintenir les droits des étrangers. C'est ainsi que dès le 30 avril 2020 le Conseil d'Etat avait enjoint à l'administration de rétablir l'enregistrement des demandes d'asile en France. Dans cette décision en date du 21 janvier 2021 le juge des référés du Conseil d'Etat censure l'administration au motif que ses décisions n'étaient en rien proportionnées à l'atteinte qu'elles portent au droit au regroupement familial. I. La reconnaissance de la condition d'urgence Le Conseil d'Etat examine tout d'abord si la condition d'urgence, nécessaire à l'intervention du juge des référés, est remplie. Ici le Conseil d'Etat analyse cette condition en comparant la situation des familles et conjoints des ressortissants de nationalité française ou de l'espace européen qui peuvent entrer sur le territoire afin de les rejoindre, à la situation des conjoints et familles de ressortissants d'autres nationalités ayant obtenu, par exemple, la qualité de réfugié ou la protection subsidiaire qui, eux, ne peuvent plus bénéficier de la réunification familiale. Le caractère urgent est reconnu du fait des conditions d'existence dans lesquelles les personnes qui ne peuvent plus bénéficier du regroupement familial se trouvent : elles sont séparées de leurs familles ou de leur conjoint depuis plus de dix mois. II. La censure de la circulaire Après avoir accepté d'examiner la demande des requérants, le juge des référés du Conseil d'Etat constate que les mesures étaient disproportionnées et donc illégales. Selon le juge administratif la circulaire du Premier ministre n'était pas adaptée à la situation sanitaire dans le sens où l'administration ne prouve pas que l'ouverture regroupement familial aux proches de ressortissants non membres de l'Union européenne serait «de nature à contribuer de manière significative à une augmentation du risque de brassage et à un risque de contamination exponentielle». En effet, en 2019 seulement 400 personnes par semaine sont entrées sur le territoire français à ce titre, un nombre bien moins élevé que les personnes qui entrent en janvier 2020 sur le territoire français grâce aux dérogations, notamment touristiques. De plus, le Conseil d'Etat constate que le gouvernement pourrait facilement prendre des mesures moins restrictives qui permettraient d'éviter d'interdire en totalité le droit au regroupement familial pour les conjoints et familles de personnes étrangères résidant en France. Le Conseil d'Etat souligne que les personnes en provenance de zones comme le Royaume-Uni et l'Afrique du Sud où les variants sont très présents, sont soumises à un renforcement des obligations en matière de tests de dépistage et de quarantaine. Ainsi le gouvernement pourrait facilement prendre des telles mesures vis-à-vis des bénéficiaires du regroupement familial plutôt que de tout simplement leur interdire l'accès au territoire français. Le Conseil d'Etat juge également la mesure illégale dans la mesure où elle porte une atteinte trop grande au droit à la vie privée et familiale. Certes des dérogations à l'interdiction sont prévues pour «motifs impérieux», cependant aucune autre précision n'est apportée sur cette expression. La situation des requérants invoquant un motif impérieux doit donc être examinée au cas par cas, ce qui nécessite souvent le recours au juge administratif de Nantes : l'instruction recommande à l'administration d'attendre la décision de ce dernier avant de prendre une décision. Ainsi ces dérogations sont insuffisantes pour garantir le droit effectif à la vie familiale et en particulier l'intérieur supérieur de l'enfant. III. La censure de l'instruction En conséquence de la censure de la circulaire, le Conseil d'Etat condamne l'instruction du ministre de l'Intérieur adressée aux services compétents de ne pas délivrer de visa de réunification familiale. Le ministre de l'Intérieur expliquait cette instruction par le fait que les requérants, même en obtenant une autorisation de regroupement familial, ne pourraient entrer sur le territoire sans un motif impérieux, en conséquence leur autorisation risquait de se retrouver caduque. Après avoir censuré la circulaire cette instruction perd sa raison d'exister, d'où sa censure. IV. L'injonction Le Conseil d'Etat admet la demande des requérants d'enjoindre au gouvernement de prendre des mesures réglementaires permettant la délivrance de visas long séjour de réunification familiale. Il précise que les mesures que le gouvernement doit prendre doivent être proportionnées aux risques sanitaires. *Avocat au Barreau de Paris |
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