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LAGUNA
BEACH - Déjà secoué par deux chocs importants au cours des dix dernières
années, le câblage haut débit de l'économie mondiale interconnectée est
aujourd'hui soumis à un troisième choc sous l'effet de la pandémie de Covid-19.
Ainsi la mondialisation se trouve-t-elle dans la situation du batteur ayant
manqué trois fois la balle au baseball - il doit sortir.
Une situation qui pourrait fort bien se traduire par une déconnexion progressive mais probablement prolongée touchant les échanges et les investissements, qui s'ajouterait au ralentissement - voire à la stagnation - séculaire à quoi l'économie mondiale est déjà confrontée. Les appels à relancer le processus de mondialisation tel que nous le connaissons tomberont presque certainement dans des oreilles qui ne voudront pas les entendre - notamment parce que ce dernier choc résulte tout ensemble de la conduite des pouvoirs publics, des entreprises et des ménages dans les pays développés. Ceux qui voudraient préserver dans le long terme la mondialisation seraient au contraire bien inspirés de consacrer leurs forces à atténuer les turbulences de la période de démondialisation qui s'annonce et à jeter les fondations d'un processus ultérieur plus soutenable. ll apparaît d'ores et déjà, pour commencer, que de nombreuses entreprises chercheront à trouver un équilibre plus prudent entre efficacité et résilience, à mesure qu'elles se remettront des dégâts du choc de la pandémie. La lune de miel entre le monde de l'entreprise et des chaînes d'approvisionnement mondiales qui permettaient de réduire les coûts et de gérer les stocks « juste-à-temps » s'est prolongée plusieurs dizaines d'années, mais des conceptions plus localistes vont désormais voir le jour, impliquant le rapatriement d'un certain nombre d'activités. Ces propensions seront renforcées par les exigences des pouvoirs publics, afin de sécuriser les moyens de production dans des secteurs jugés indispensables à la sécurité nationale. Nous sommes déjà témoins de cette évolution aux États-Unis pour la production d'énergie, les télécommunications, les équipements de soins de santé et les médicaments. Ces tendances s'étendront à d'autres secteurs et à d'autres pays, ce n'est désormais qu'une question de temps. Les suites de la phase actuelle de gestion de crise se caractériseront probablement par une radicalisation des accusations réciproques, qui donneront à la démondialisation ses ressorts géopolitiques. Les États-Unis reprochent déjà à la Chine de n'en avoir pas fait assez pour contenir la propagation du virus et de n'avoir pas informé à temps les autres pays de sa dangerosité. Certains responsables politiques américains ont même publiquement réclamé que la Chine paie en conséquence des réparations. Et beaucoup de gens, en Amérique et ailleurs, perçoivent la réaction initiale de la Chine face au Covid-19 comme un exemple supplémentaire de l'incapacité du pays à assumer ses responsabilités internationales. En outre, la dégradation de la situation géopolitique renforcera probablement la tendance à considérer les outils de la politique économique comme des armes, tendance qui a déjà connu un net regain lors de la récente guerre commerciale sino-américaine - l'autre coup majeur récemment porté à la mondialisation. Nombre de sociétés multinationales y verront se confirmer leurs craintes de ne plus pouvoir compter sur deux conditions sine qua non de leurs opérations : l'intégration et l'interconnexion toujours plus poussées de la production et de la consommation mondiales ainsi que des flux d'investissement mondiaux, mais aussi la résolution relativement prévisible et ordonnée des différends commerciaux ou financiers au moyen d'institutions multilatérales appliquant des règles de droit. La rhétorique antichinoise donne aujourd'hui un nouvel élan aux premiers mouvements de rejet de la mondialisation, apparus voici une dizaine d'années. Certains segments de la population qui se sentaient exclus et marginalisés par le processus avaient nourri à l'égard des élites une hostilité alimentant à son tour, ici et là, des mouvements politiques extrémistes capables d'enregistrer de surprenants succès, au nombre desquels le Brexit. Ces évolutions ont considérablement affaibli les dispositifs mondiaux de collaboration, comme l'a crûment montré le manque de coordination internationale lorsqu'il s'est agi d'endiguer le Covid-19. Le moment n'est pas le mieux choisi pour que l'économie mondiale entreprenne une démondialisation séculaire. La plupart des pays, et peu ou prou tous les segments de leurs économies (entreprises, puissance publique et ménages) sortiront de la crise avec un niveau d'endettement plus élevé. En l'absence d'une grande négociation sur la restructuration de la dette, les pays en développement, en particulier, verront leur capacité à assurer le service de cette dette obérée par de hauts niveaux de chômage, des pertes de revenus, une activité économique anémiée et, peut-être, une consommation moins dynamique. Dans un tel contexte, celles et ceux qui comprennent l'énergie que peut apporter au déblocage d'opportunités gagnant-gagnant l'interconnectivité transfrontalière ainsi que sa faculté à réduire les risques de grandes confrontations militaires auront tendance à défendre le statu quo qui prévalait avant la pandémie. Mais il est peu probable qu'une telle approche connaisse un grand succès en un temps où les gouvernements sont portés à compter sur leurs propres forces dans leur combat contre les ravages directs et indirects de la pandémie, où les entreprises sont encore sous le choc des perturbations sur leurs chaînes d'approvisionnement et sur leurs marchés, et où les ménages éprouvent un sentiment croissant d'insécurité économique. Plutôt que de livrer une guerre de principe perdue d'avance, les partisans de la mondialisation devront adopter une approche plus pragmatique, reposant sur deux priorités. Il leur faudra premièrement trouver les moyens d'organiser un processus ordonné et graduel de démondialisation partielle, en évitant notamment un basculement vers des perturbations en cascade qui se traduiraient pour beaucoup par d'inutiles souffrances. Ils devront ensuite mettre en place des bases plus fermes pour relancer un processus de mondialisation plus inclusif et plus durable, où le secteur privé sera inévitablement appelé à jouer un rôle plus important de conception et de mise en œuvre. Pour revenir à l'analogie avec le baseball, la troisième prise a temporairement renvoyé le batteur - la mondialisation - sur le banc. Mais comme au baseball, un autre batteur de l'équipe en attaque viendra le remplacer. La difficulté, pour le moment, est de mettre à profit ce temps sur le banc des remplaçants - ou des futurs batteurs lorsque leur tour sera venu - pour mieux comprendre la situation et reprendre la partie avec de nouvelles forces. Traduit de l'anglais par François Boisivon *Conseiller économique en chef d'Allianz a été président du Conseil pour le développement global du président des États-Unis Barack Obama. Il est notamment l'auteur, pour son ouvrage le plus récent, de The Only Game in Town: Central Banks, Instability, and Avoiding the Next Collapse (non traduit). |
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