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Le mouvement populaire qu'on
peut qualifier de soulèvement, voire de révolte contre le système
politico-économico-social en Algérie, a déjà 8 mois d'existence. Il reflète
bien évidemment le ras-le-bol général des Algériens.
Ces derniers ne revendiquent pas seulement un autre mode de gouvernance mais un changement de système. «Yetnahou Gaa» proclament-ils, avec en premier lieu l'instauration d'un État de droit1. Ce système, aux mains d'un pouvoir prédateur et corrompu, qui dirige ce pays depuis l'indépendance, a montré toutes ses facettes qui ont fait tant de mal au pays et aux Algériens. Ces derniers font preuve d'une très grande intelligence et conscience politique. Ce peuple qu'on (les dirigeants) croyait amorphe et indifférent, dénué de toute conscience politique, démontre toutes les semaines son excellente analyse de la situation, confortée par une vigilance accrue devant les tergiversations et autres manipulations du pouvoir effectif. Au-delà de ses caractéristiques qui sont largement connues, comme la corruption généralisée, la gabegie permanente, le népotisme à tous les niveaux, il faudra approfondir la réflexion et analyser la nature même de ce Système et du Pouvoir dont l'objectif n'est pas et n'a jamais été le développement du pays. Cette réflexion aura le mérite de nous permettre de mieux comprendre, pour les transformer, les fondements et les finalités du Pouvoir algérien dont l'origine remonte bien avant l'indépendance. Le propos de cette contribution n'est pas d'examiner les origines historiques de ce Pouvoir. C'est un vaste sujet qui a déjà fait l'objet de nombreuses analyses et publications d'historiens et d'acteurs de cette période de l'histoire algérienne.2 Il n'est pas non plus d'analyser les stratégies qu'il a pratiquées et qu'il continue de pratiquer de détournements de l'appareil d'État au point de neutraliser et de vider toutes ses institutions de leur objet et leurs finalités. Notre contribution, bien plus modeste, est d'attirer l'attention sur les effets des politiques et pratiques de ce Système sur les Algériens afin de mesurer l'immense tâche à accomplir si l'on veut que le Hirak politique ne soit qu'un élément, certes important et nécessaire, de ce qu'il est convenu d'appeler un Hirak sociétal car l'ensemble de la société algérienne est impactée par le Système. D'emblée, soulignons la difficulté de ce travail due aux temporalités différentes des différents chantiers qui attendent le Hirak. Si le chantier politique s'inscrit dans le court et moyen terme, le « Hirak sociétal » relatif aux problématiques fondamentales touchant la société dans ses différents aspects ne peut se faire que sur des périodes longues équivalentes à plusieurs générations. Son démarrage le plus tôt possible est d'autant plus nécessaire. Sans vouloir faire une liste exhaustive de l'ensemble des méfaits de ce Système qui doivent faire l'objet de chantiers importants3, nous aimerions concentrer notre réflexion sur les conséquences de ses pratiques sur les Algériens et les efforts que ces derniers devront fournir pour retrouver une certaine normalité en se guérissant des plaies béantes laissées par le Système sur la société algérienne. En effet, dans l'ensemble de l'œuvre funeste accompli par le Système, le dévoiement sociétal n'est ni le plus simple ni le plus anodin. Il a littéralement gangrené la Société. Ni les valeurs fondamentales, ni l'identité algérienne dans ses multiples facettes, ni la rapport au travail et au bien-être, ni l'éducation et la santé, ni le patriotisme sain n'ont été épargnés. La rente et la valeur-travail La gestion de la rente est devenue une véritable idéologie que le Pouvoir a distillée dans la société. La rente s'est substituée à la valeur travail. Pour illustrer notre propos, nous citerons la problématique de la mise au travail des Algériens largement soulignée. Ces derniers « ne vont pas travailler mais vont au travail » dit-on et ce depuis de nombreuses années, au moins dans le secteur public. Cette « allergie » au travail n'est certes pas spécifique à l'Algérie. On la retrouve dans bon nombre de pays à économie centralisée4. Le salaire n'est pas ou peu dépendant du travail fourni encore moins de sa productivité, mais du prix du baril de pétrole5. Cela se traduit par des comportements rentiers qui transforme le « droit à la paresse »6 à un devoir, d'autant plus que le travail n'est plus automatiquement lié à une quelconque motivation, fût-elle financière. Travailler sérieusement et consciencieusement se transforme en comportement anormal, voire dangereux. La gestion de et par la rente pétrolière et gazière a été utilisée par le Pouvoir, depuis l'indépendance, comme l'alpha et l'oméga de toutes les politiques des gouvernements qui se sont succédé. Pour le Pouvoir, le postulat qui sous-tend cette politique est relativement simple ; l'Algérien est considéré comme un individu à qui il faut concéder quelques miettes du gâteau provenant de la rente en contrepartie de sa soumission implicite ou explicite au système. « Regda ouet mangi » telle est la règle qui régit le peuple algérien, ou du moins les employés algériens. Nous utilisons à dessein le mot employés et non pas salariés car le salaire doit être la contrepartie d'un travail. Dans cette règle, on emploie les personnes pour leur assurer un revenu, fût-il misérable. L'individu n'est pas perçu comme producteur ou créateur de valeur et donc de richesse mais comme un simple consommateur. Bref, dans cette optique, la personne est perçue plus comme un estomac à alimenter que comme un producteur et citoyen qu'on écoute et qu'on associe au fonctionnement du pays. On attend de lui ni compétence ni productivité mais seulement un comportement dont « l'éthique » est régie par les règles de la soumission et de la gratitude7. Lutte de classes et lutte de places : quand le Système se croit immortel La logique rentière pratiquée repose également sur la corruption généralisée. On ajoute à la lutte des classes « la lutte des places » pour faire en sorte que l'Algérien, au lieu de prendre conscience de sa marginalisation et de se révolter, s'embourbe dans une espèce de lutte pour sa survie. La prise de conscience politique de la lutte de classes qui risque de déboucher sur des actions collectives visant à transformer la société laisse de plus en plus de place à la lutte de places condamnant les Algériens à de la débrouillardise individuelle dont le résultat est, au final, la perpétuation du système. L'Algérien ne doit pas condamner et remettre en cause ce Système mais, bien au contraire, il doit, sa lutte pour la survie, consolider et pérenniser le Système. Ce paradoxe explique parfois le comportement de l'Algérien devant une situation de corruption ou d'injustice dans laquelle il peut être la victime. Dans ce cas, il ne remet pas en cause le Système qui institutionnalise la corruption et la prédation mais sa situation de victime préférant celle de bénéficiaire. C'est ce que nous appelons la lutte des places. Dans ce cadre, le « piston » lui confère des privilèges non négligeables. Avoir un réseau fait partie du capital social de toute personne qui veut s'assurer des biens et des positions confortables dans la Société. Ce capital social est aussi indispensable que le capital matériel et financier. Parfois, ce capital social permet d'acquérir un capital matériel et financier de façon immorale, voire amorale. En outre, le système a réussi à faire croire aux Algériens que l'enrichissement sans efforts ni risques et en un minimum de temps doit être le but ultime aux dépens du travail, des valeurs morales et l'éthique du vivre ensemble si chères à la Société traditionnelle algérienne. Dès lors, pourquoi s'embarrasser à former des citoyens là où on ne veut que des estomacs ambulants en quête de survie ou à la recherche d'un utopique eldorado ? Évidemment, ce Système a mis en place des politiques et des stratégies qui permettent ce type de fonctionnement dont les résultats sont d'anesthésier et d'appauvrir la majorité et d'enrichir une minorité à l'ombre d'un État dont les fonctions principales sont de « bien » gérer la rente et d'assurer la reproduction du Système. Pour asseoir son pouvoir, une classe ou plutôt une caste de privilégiés est née à l'ombre tutélaire de l'État. A suivre... * Universitaire - Université de Lille |
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