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Une communauté constituée ne
peut exister, se développer et durer
que dans un cadre organisé, régi par des règles établies et adoptées par
consensus social, pensées en rapport avec la nécessité du bien vivre et du
vivre ensemble. Outre les mécanismes mis en œuvre pour les besoins matériels
vitaux, et aussi du bien-être, les hommes construisent un environnement
conceptuel de gestion des affaires de la cité, assurant la socialisation et la
cohésion sociale, notamment au sein d'un Etat. L'ensemble des lois ainsi
conçues est appelé législation. Jean-Jacques Rousseau l'évoque en ces élogieux
termes : ?'La législation est le plus sublime effort de la sagesse et de la
prévoyance humaine''. On ne peut plus vrai ! Il reste que l'œuvre est humaine,
et à ce titre elle ne saurait être parfaite. Chaque société élabore ses lois
selon ses besoins, ses coutumes, ses croyances, etc. A bien des égards, ce qui
est loi a d'abord été coutume. Le moraliste et essayiste français Joseph
Joubert a raison lorsqu'il affirme que ?'les meilleures lois naissent des
usages''. Dans une note, non publiée, écrite par J. Joubert, recueillie après
sa mort par son ami Chateaubriand, on peut lire : ?'En Grèce, les sages avaient
égard, dans leurs lois, à la commodité des peuples dont ils évitaient de
contrarier les habitudes et les mœurs. Ils les faisaient propres à plaire,
comme ils auraient fait des vers. Il faut bien en effet que les lois
s'ajustent, jusqu'à un certain point, aux habitudes et aux mœurs, et qu'elles
soient bonnes, comme disait Solon (640-558 av. J.-C., homme d'Etat, législateur
et poète grec, initiateur de la démocratie à Athènes), pour le peuple qui les
reçoit ; mais il faut qu'elles soient meilleures que lui. On doit avoir égard,
peut-être, à la grossièreté des esprits, mais non à leur dépravation ; car il
s'agit de redresser, et il y a dans les hommes une chose qui est éternellement
flexible : ce sont leurs vices''. En résumé, les us constituent le substrat des
lois. Il y a dans ce bref exposé matière à heurter les thèses et certitudes des
adeptes de l'universalité du modèle occidental, voire de sa sacralité.
Autrement dit, les chantres d'une législation à l'occidentale faisant fi de
notre identité, de nos coutumes et de notre religion, devraient revoir leur
copie.
La législation, dans le sens global du terme, est constituée de sous-ensembles de lois de portée restreinte à une matière déterminée. Pour tout ce qui a trait au droit et à la justice, on se réfère à la législation juridique. Du point de vue moral, la justice est un sentiment que l'être humain éprouve et revendique pour lui-même, comme pour son prochain, au demeurant. La passion, l'égoïsme, l'entêtement, l'erreur dans l'appréciation, l'arbitraire, l'abus de pouvoir, l'esprit revanchard, et autres caractères propres à l'homme, font que la notion de justice est de fait, sinon subjective, au moins relative. Dans le sens juridique, c'est une institution, appelée communément pouvoir juridique, dotée d'une législation juridique dont l'idéal est de rendre justice avec équité. En plus d'être un moyen d'organisation en vue d'assurer une justice sociale, elle constitue un contre-pouvoir, principe qui garantit la légitimité et l'équilibre des pouvoirs dans un système politique. Ainsi, en vertu de la loi qui fixe, en établissant l'égalité entre les citoyens, les droits et devoirs de tout un chacun, le pouvoir juridique règle les différends, punit le délit et protège contre l'arbitraire, l'abus de pouvoir, les règlements de compte, la vengeance, et autres fléaux sociaux, le tout selon des règles inscrites dans un code : la législation. La pertinence d'un tel outil, son applicabilité et son efficacité, notamment, soulèvent une kyrielle de questions. Au passage, posons-en quelques-unes en vrac. Est-ce suffisant d'adopter une législation pour que justice soit correctement rendue et que la loi soit appliquée en toute rigueur et transparence ? Est-ce que le code a prévu le traitement de tous les cas d'affaires justiciables ? Doit-on attendre en toute chose justice ? Faut-il appliquer les lois à la lettre en toute circonstance ? Doit-on inscrire l'indulgence dans l'esprit de la législation juridique ? Peut-on par exemple éviter une peine à une faute involontaire ? Est-ce que la légalité justifie les injustices ? Est-ce que la légitimité permet le contrôle de la justice ou son instrumentalisation ? Est-ce que l'intérêt général, ou la raison d'Etat, autorise le non-respect, voire la violation, de la loi ? Faut-il faire taire, mettre en veilleuse, les lois dans les situations particulières, de troubles notamment ? Devrions-nous respecter la loi et nous y conformer alors que d'aucuns, tenants du pouvoir et autres privilégiés, la bafouent ? Enfin, est-ce que la législation est elle-même juste afin que justice le soit ? Sans hésitation aucune, le commun des mortels vous dira que la justice n'est ni infaillible, ni totalement libre et loin d'être parfaite. Elle n'est pas à l'abri des manipulations, de l'influence du pouvoir politique, du fléau de la corruption et aussi des erreurs juridiques. Fatalement, la raison et la sagesse nous dictent de céder à la réalité et au pragmatisme une bonne partie de nos espérances à ce sujet. Nul besoin de s'attarder sur l'état de délabrement du système juridique, généralement sans âme car vendue, dans les pays sous-développés où les dictatures sévissent sans retenue. Les pays développés, où la justice jouit d'un niveau de liberté assez élevé, lui conférant une crédibilité appréciable, souffrent beaucoup moins des tares juridiques. Dans ces contrées où dame justice se plaît et s'efforce à être belle, respectueuse et respectée, les cas de dévoiement ne sont pas légion. En revanche, les exemples d'erreurs de jugement ayant conduit des innocents à l'emprisonnement ou à la potence ne manquent pas dans l'histoire. En France, la très médiatisée affaire Dreyfus, qui avait défrayé la chronique en son temps, est à ce propos très édifiante. L'affaire Seznec est un autre exemple qui montre comment les services de sécurité et les magistrats peuvent orienter, de manière déterminante, à tort ou à raison, les accusations et les jugements. Je fais grâce ici au lecteur des péripéties et intrigues pratiquées couramment et normalement dans les systèmes pervers, semblables au nôtre. Il est admis qu'une justice absolument libre n'est qu'une vue de l'esprit, une utopie. Néanmoins, on considère qu'une justice est libre dès lors qu'elle s'est affranchie de la tutelle de tout pouvoir afin qu'elle exerce librement le sien, au moins pour l'essentiel de ses attributions et domaines de compétence. Quoi qu'il en soit, il demeure que la liberté de la justice est un enjeu hautement stratégique dans le combat pour la démocratisation du mode de vie socio-économique et politique d'une société. De prime abord, on s'interroge sur les prédispositions mentales de la communauté à intégrer l'idée et se battre pour en réaliser les objectifs. Survient après la question des procédures et moyens à employer au service de la bonne cause. La tâche n'est pas aussi aisée qu'il n'y paraît, en particulier pour notre pays. En la matière, la bérézina du système algérien n'est pas à démontrer. Elle est criarde. L'évidence exclut toute possibilité de doute. On a beau chercher des éléments à positiver, on ne dénicherait même pas un tantinet de circonstances atténuantes pour en plaider la faveur. Et pour cause ; la corruption, par le pouvoir politique ou celui de l'argent, s'est profondément et abondamment incrustée au sein du corps magistral et des instances chargées des enquêtes et investigations. On imagine aisément le désastre. Que l'on ne s'étonne point de l'ampleur du fléau des abus de pouvoir, des détournements, de la gabegie, de la dilapidation effrénée des deniers de l'Etat, etc. Les mailles de la justice étaient modulables au gré des rapports de force, des enjeux et des intérêts des uns des autres. Commandées à distance, elles se rétrécissaient ou s'élargissaient selon la taille de la prise en vue. Les gros poissons de la race ?'royale'' et autres ?'satrapes'', grands prédateurs, les traversaient sans peine. A plus forte raison s'ils appartiennent à la coterie dominante, ou s'ils bénéficient de sa protection. C'est généralement le menu fretin ?'plébéien'' qui remplit la nasse. Le soulèvement populaire, la révolution du sourire comme le décrivent certains, a violemment bousculé les mauvaises mœurs et pratiques. Il a libéré les bonnes volontés. Exsangue, quasiment vidée de sa noble substance, la justice tente, tant bien que mal, de se ressaisir, de se relever de sa léthargie. De sa propre volonté ou sur injonctions, allez savoir, elle fait depuis peu montre de fermeté. Elle semble décidée à donner un bon coup dans le gigantesque nid de guêpes. A priori, elle compte bien punir toute forfaiture, à sévir contre tout contrevenant quel que fut sa qualité ou son rang politique ou social. La citadelle qui se comptait imprenable a perdu ses remparts, n'a plus de capacités de résistance. Telle un tsunami béni, un rouleau compresseur, la justice balaye le putride personnel qui sent la corruption, qui a sévi sous le règne de Bouteflika. Du jamais vu dans l'histoire de l'Algérie indépendante : incarcérer des ex-Premiers ministres, des ex-ministres, des oligarques, des satrapes? la liste est longue et reste ouverte. Fait rarissime, quasiment inimaginable, dans les pays dits du tiers monde, en particulier arabo-musulmans. On ne peut que s'en réjouir. Car, pour le moins, mais certainement, cela augure d'une reconfiguration de la scène politique, que nous espérons plus saine dans le futur. Quant au système, qui survit cahin-caha, on peut espérer, peut-être présager, l'amorce du processus de son changement. L'équation est autrement plus complexe eu égard à la foultitude de variables et inconnues. Pour être résolue, elle nécessite des préalables tels que la révision d'une panoplie de lois, le changement des règles de conduite, l'assainissement au niveau des institutions ; enfin, et surtout, l'adaptation des mentalités au nouvel ordre, au nouveau pacte social. L'objectif majeur de notre révolution est de donner vie à une république où seront consacrés, au premier chef, le droit, la justice et l'égalité. C'est alors que l'espoir et le rêve retrouveront toute leur vigueur. On applaudirait bien cette volonté affichée de vouloir solder un passé lourdement chargé de scandales, cyniquement étouffés par les hommes du pouvoir et leurs affidés. Cependant, l'opinion publique reste dubitative du fait que certains pontes et autres caciques du système ne sont toujours pas inquiétés. Les citoyens demeureront sceptiques tant que l'ensemble des dossiers de corruption et autres graves délits, couverts par les vassaux du pouvoir, ne seront pas exhumés des obscurs doubles fonds de tiroirs. Toute démarche d'assainissement doit se faire dans la transparence, avec équité, et surtout au nom de la loi et par la force de la loi. Il n'est pas dans l'esprit, ni la conception, et encore moins la vision, d'un Etat de droit que l'instrumentalisation de la justice, en vue des règlements de comptes, fasse office de justice. Même à l'endroit du grand banditisme, des pires criminels, une telle conception, à la limite de l'inquisition, est à bannir. Dès lors que le Saint-Office d'une quelconque chapelle se substitue aux tribunaux de la république, la justice se fanatise et se prête à toutes les iniquités, à tous les débordements, à tous les excès et à toutes sortes d'abus. Avant le mot de la fin, je voudrais saluer l'engagement citoyen pour une Algérie meilleure. Et que la mobilisation ne s'écroule pas sous le poids des lourds dossiers de corruption. Les opérations spectaculaires, menées par les services de sécurité et les instances juridiques, bien que louables, ne devraient pas nous écarter de l'objectif essentiel. C'est dans les durs moments de l'épreuve ou de l'affliction que la sagesse et la méditation doivent présider. Un vieux dicton italien dit : ?'j'ai besoin de la lumière qui éclaire et non de celle qui éblouit'' *Professeur. Ecole Nationale Supérieure de Technologie. |