Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
À Tlemcen, dans les années
1953/1954, d'après un témoignage de l'écrivain et militant de la cause
nationale, le regretté Omar Dib, «il y avait pratiquement un climat
pré-insurrectionnel. Des militants connus pour leurs opinions et leur activisme
patriotiques (comme Mohammed Guenaneche, Boumediene Marouf ou Berrezoug) avaient été
arrêtés quelques semaines avant le 1er novembre 1954.
Le travail alors manquait cruellement et le chômage atteignait des sommets. La misère était palpable partout. Souvent, dans une seule maison, s'entassaient cinq ou six familles. Dans les campagnes, les fellahs ployaient sous le poids de l'impôt et des mesures coercitives de l'administration coloniale. Les enfants algériens étaient peu scolarisés, les maladies fréquentes et l'accès aux soins très difficile. A la veille du 1er novembre 1954, il n'existait pratiquement plus de relations humaines entre la société algérienne et les Européens, et le fossé qui les séparait était devenu si grand qu'il ne restait, pour les Algériens, d'autres alternatives que la soumission ou la révolte. À Tlemcen, comme dans d'autres vieilles villes traditionnelles, le lien entre le citadin et le travail de la terre était vivace, de sorte que l'appauvrissement des campagnes, qui avait atteint la côte d'alerte, ces années-là, avait totalement désarticulé la société citadine tlemcenienne. (Voir les romans, «La Grande Maison», «L'incendie « et «La Danse du roi» de Mohammed Dib)». Face au colonialisme, le Sud-ouest oranais a suscité, dès le début de la colonisation, la révolte ininterrompue des Ouled Sidi Cheikh. Depuis la fin du 19ème siècle et jusqu'à la veille du 1er novembre 1954, «les habitants de Tlemcen, à l'instar de ceux des autres villes d'Algérie, soulignait Omar Dib, avaient manifesté leur opposition au pouvoir colonial par des grèves incessantes, des mouvements de protestation des corporations artisanales et autres, et surtout des manifestations de masse qui ont été des armes formidables de mobilisation des citoyens. En 1911, la population de Tlemcen a montré sa colère contre la conscription obligatoire. En août 1953, la déportation du roi Mohammed V à Madagascar a accentué le sentiment d'hostilité de la population de l'Oranie contre le colonialisme français. Le 15 octobre 1953, des émeutes populaires ont eu lieu à Nedroma, ayant pour héroïnes les femmes de Djâmaa Sekhra. Le 1er mai 1945, à Tlemcen, une semaine avant les massacres de Setif, Guelma et Kherrata, une foule disciplinée descendit dans la rue. Un militant du PPA-MTLD et plus tard du FLN, Hami Missoum, lança pour la première fois ce célèbre mot d'ordre des militants nationalistes algériens : «Algérie libre! Libérez Messali!» pour protester contre la mise en résidence surveillée de Messali Hadj au Congo-Brazzaville, fin avril 1945. (Hami Missoum fut immédiatement arrêté par les autorités coloniales)». Durant cette période, c'était surtout dans les rangs des paysans, des artisans et des instituteurs que les partis nationalistes recrutaient l'essentiel de leurs troupes. «Les fellahs, nous faisait remarquer Omar Dib, qui avaient été dépossédés de leurs terres par les colons puis rejetés vers les sols incultes des montagnes, et les artisans qui étaient les gardiens d'un pan important de la mémoire collective, entretenaient une économie fondée sur le troc et vivaient en dehors du système économique colonial». À Tlemcen, au début des années 1950, les figures de proue du PPA-MTLD (le parti ayant le plus d'influence) avaient pour nom Larbi Hamidou (un grand militant très proche de Messali Hadj, et dans la maison duquel de nombreux militants et responsables nationalistes, comme Abdelhafid Boussouf, trouvèrent refuge, durant des années), Chaïb Tchouar, responsable important du PPA-MTLD à Tlemcen, victime d'un règlement de compte FLN-messalistes à la veille de l'Indépendance, le futur historien Mohammed Guenaneche, Boumediene Marouf, Berrezoug, l'avocat et mécène Omar Bloukli-Hacene (le fondateur du Croissant Rouge algérien, en 1956, à Tanger) Mohammed Benhamed Louadj (plus connu sous son grade de commandant Ferradj) ainsi que le neveu de Messsali Hadj, Mohammed Mamchaoui. Les Udmistes (partisans de Ferhat Abbas) étaient représentés, quant à eux, par l'avoué de justice Taleb Abdesslam (ancien sénateur de la IVème République française, poste dont il démissionna en 1947), le professeur Abdelkader Mahdad ainsi que Mhamed Guermouche et l'instituteur Abdelkader Belkharoubi. Les communistes étaient réunis autour de Djilali Guerroudj, Mostefa Berber, Bouayad Allam Hmida et le chahid Sid Ahmed Inal (mort sous la torture de l'armée coloniale, le 20 octobre 1956, à l'âge de 25 ans). Les oulémas étaient regroupés autour de Cheikh Bachir El Ibrahimi (représentant pour l'Oranie de l'Association des oulémas et qui dirigeait alors l'école «Dar El-Hadith» à Tlemcen) ainsi que cheikh Zemmouchi. Quant aux socialistes, ils avaient, paraît-il, à Tlemcen, en tout et pour tout, une quinzaine de sympathisants. L'influence des zaouias nationalistes, qui n'ont pas collaboré avec le colonialisme et ont propagé l'idéal de résistance, n'aurait pas été négligeable, par ailleurs. Feu Belhadj Tahar Miloud a été toute sa vie un homme discret et modeste. Il avait intégré, très jeune, en 1944, à Tlemcen, la fraction clandestine du PPA-MTLD, devenue plus tard, en 1947, l'Organisation Spéciale (l'OS) à l'issue du fameux congrès tenu à Belcourt (Alger). Dans un témoignage recueilli il y a une douzaine d'années, il nous a confié que «Abdelhamid Grari qui était, de 1947 à 1949, le responsable de l'OS à Tlemcen, a exigé de moi un engagement sans failles. J'étais d'abord seul et isolé. J'effectuais des missions de liaison à Ghazaouet, tous les mercredis, puis j'ai été mis en contact avec Bilem, Mahdjoub Djelloul et Mohammed Berber. En 1949/1950, Ben Bella, qui présidait alors l'OS, organisait des réunions, en compagnie de Abdelhamid Grari, chez Ghaouti Mahi, mon beau-frère, qui était aussi membre de la cellule de l'OS de Tlemcen. Il y avait également avec nous, dans cette cellule, Hami Missoum, Djamel Boukli-Hacene, Djelloul Klouche, Larbi Benamar (qui a défrayé la chronique pour s'être échappé du tribunal de Tlemcen, durant son procès, après avoir été arrêté comme de nombreux militants de l'OS de Tlemcen, en 1950), Aissa Ben Diboun (mort au champ d'honneur durant la guerre de Libération), Abdellah Belkhodja, Sid Ahmed Berrehil, Abdelkrim Kinta (mort au champ d'honneur), Omar Kanoun, Madjid Rostane (qui s'est enfui de l'hôpital après son arrestation puis décéda au champ d'honneur) Baba Ahmed Sid Ahmed, major Ali Khedim (mort au champ d'honneur) Tahar Gaouar, Djelloul Bloud (un ancien de la guerre d'Indochine) et le futur colonel Lotfi et d'autres encore. 113 éléments de l'OS de Tlemcen avaient assisté à une réunion secrète tenue au milieu de l'année 1955, dans la forêt de Sidi El-Ghrabli, près de ?'Villa Marguerite», une résidence hôtelière située sur les hauteurs de la ville». Tlemcen, ville natale de Messali Hadj, a été jusqu'à 1954 (et peut-être même au-delà) un bastion du messalisme. Même à l'époque charnière qui a immédiatement précédé novembre 1954 et qui a vu se diviser le PPA-MTLD entre messalistes et centralistes, et a abouti à la création du CRUA, beaucoup de militants et responsables tlemceniens du vieux parti nationaliste sont restés fidèles à leur leader charismatique (y compris, animés par l'esprit de son combat, nombre d'éléments de l'OS de Tlemcen qui allaient passer à l'action armée, après novembre 1954, sous la bannière du FLN). En 1950, suite à la trahison du dénommé Benzina dit «Corbus», un élément de l'OS de Tebessa, l'OS fut démantelée et environ 1400 militants furent arrêtés (dont Abdelhamid Grari à Tlemcen). Ceux qui ne le furent pas se retrouvèrent livrés à eux-mêmes. Messali Hadj refusa «d'excommunier» ces militants de l'OS arrêtés, comme le lui demandèrent les centralistes et indirectement les autorités françaises. («Il y a eu 1400 arrestations en 1950, dit-il, et ce ne sont pas des prisonniers de droit commun!»). À Tlemcen, cheikh Bekkar (de son vrai nom hadj M'rah Boubekeur), un grand lettré nationaliste, se contentera de faire cette remarque à ses élèves réunis en cours, à la mosquée de Sidi Bouabdellah : «Si Messali a trahi l'Algérie, sidna Omar a trahi l'islam!». Belhadj Tahar Miloud, devenu dans l'Algérie indépendante un modeste et dévoué instituteur puis directeur d'école (il a été arrêté en 1956, condamné à 10 ans de prison puis libéré seulement en 1962) nous a précisé que lui et ses camarades de la première cellule de l'OS de Tlemcen ont été complètement surpris par les événements du 1er novembre. «Messali Hadj était alors en résidence surveillée à Niort, en France. Cette nuit du 1er novembre 1954, et je ne le saurais que plus tard, un groupe de moudjahidine dirigés par Larbi Ben Mhidi (responsable de la wilaya V à partir du 1er novembre 1954) ont incendié un dépôt de bois de liège dans la forêt de Hfir (sur la route reliant Khemis à Tlemcen). Un second groupe dirigé par Abdelhafid Boussouf (délégué du CRUA pour l'Oranie) a tenté vainement de mettre le feu à la maison d'un garde forestier près de Sebdou. Lors de son procès en 1956, Sid Ahmed Bouzidi (responsable régional pour l'Ouest du PPA-MTLD et ensuite du FLN) a été, selon l'acte d'accusation des services de l'armée coloniale, directement impliqué dans l'organisation de 11 embuscades entre novembre 1954 et son arrestation qui a eu lieu le 4 octobre 1955, dont le déraillement d'un train à El-Ourit et une attaque d'un poste de gendarmerie». Selon une observation du Pr Amine Damerdji (ancien militant du recouvrement de l'Indépendance nationale et frère du chahid le docteur Tidjani Damerdji) «Après la déposition, le 20 août 1953, du roi du Maroc, Mohammed V, des troubles ont éclaté dans ce pays frère. Et les journaux marocains de l'époque, sous tutelle de l'administration française, pour calmer la situation dans la rue marocaine, ont décrit la réalité en Algérie comme idyllique et ont présenté les événements de Novembre comme «un coup de tonnerre dans un ciel bleu». Par ailleurs, la propagande coloniale a voulu cantonner, à l'intention des médias et de l'opinion publique mondiale, le soulèvement de Novembre aux seules Aurès, alors que, par exemple, dans la Mitidja, ce même 1er Novembre, une attaque fut menée sous la conduite de Krim Belkacem, grâce à un lot d'armes datant de la seconde guerre mondiale, caché dans une ferme à Kheraïchia, chez une famille de patriotes. Le but recherché était d'éviter de donner aux événements de Novembre un caractère de révolte du peuple algérien dans son ensemble». À Tlemcen, deux réunions qui se sont déroulées, l'une quelques mois avant et l'autre quelques mois après le 1er novembre 1954, en présence de Abdelhafid Boussouf, sont révélatrices du climat politique qui existait, durant cette période, dans la région, lourd d'un malentendu qui s'est heureusement dissipé dans le feu de l'action de la guerre de Libération. La première fois, lors d'une réunion qui s'est tenue dans la maison de Larbi Hamidou, dans le quartier de «Fekharine» à Tlemcen, une sérieuse altercation, dont le motif était d'ordre politique, opposa Abdelhafid Boussouf au militant messaliste Chaïb Tchaour. Ce dernier avait alors contesté à Abdelhafid Boussouf sa volonté d'imposer une «primauté exercée d'en haut» à une vieille tradition militante locale et il paiera de sa vie, 8 ans plus tard, cette opposition frontale à l'homme du MALG. La deuxième fois, au milieu de l'année 1955, lors d'une réunion qui s'est déroulée la nuit, dans la forêt de Tameksalet (près de la localité de Sebra, sur les monts de Tlemcen) entre des éléments de l'OS de Tlemcen (Djamel Boukli-Hacene, Djelloul Klouche, un dénommé Boualem de Aïn Tallout et Larbi Benamar (rappelé à Dieu, le 10 septembre 2016 à Paris, à l'âge de 86 ans, puis enterré dans sa ville natale, paré de l'emblème national), des représentants de l'OS de plusieurs régions de l'Oranie (Nedroma, Ghazaouet, Béni Snous, Ouled Sidi Belhadj, etc) et le FLN représenté, entre autres, par Abdelhafid Boussouf. Ce dernier déclara d'emblée à ses visiteurs: «Nous avons décidé de soustraire Tlemcen du combat!». Mais Djamel Boukli-Hacene lui répondit : «Ce n'est pas parce qu'il y a eu un différent entre vous et Chaïb Tchouar, il y a un an, que vous allez soustraire Tlemcen du combat. Nous sommes venus pour savoir si vous êtes en mesure de mener ce combat!». Puis il ajouta cette remarque qui était un immense bluff : «Nous avons beaucoup d'armes!». (En fait l'Oranie manquait cruellement d'armements, durant cette période. Car ce n'est qu'à partir du début de 1955 que la région ouest de l'Algérie allait être approvisionnée, via le Rif marocain, grâce au bateau Dhina qui venait d'accoster à Mellilia, transportant dans ses soutes une importante cargaison d'armes). Abdehafid Boussouf invita alors le groupe venu de Tlemcen à venir «déguster un méchoui» et montra du regard, une sorte de protubérance recouverte d'un drap, qu'il dévoila aussitôt pour laisser apparaître un fusil mitrailleur FM24. «Éteignez les bougies!» rétorqua alors le dénommé moudjahid Boualem et, dans l'obscurité la plus totale, ce dernier se mit à démonter puis remonter l'impressionnante arme, sans la moindre hésitation. Cet épisode de Tameksalet scella définitivement le contact entre les jeunes membres de l'OS de Tlemcen et le FLN. Belhadj Tahar Miloud n'assista pas à la réunion de Tameksalet mais reçut le lendemain une instruction disant que «l'Oranie devait rester calme jusqu'au 1er octobre 1955». Quelques jours après le 1er novembre 1954, de nombreux militants connus du PPA-MTLD furent arrêtés à travers toute l'Algérie (dont Larbi Hamidou et Chaïb Tchouar à Tlemcen). L'Oranie, à partir de janvier 1955, commença à s'armer et s'organiser. Dans la nuit du 1er octobre 1955, plusieurs attentats contre des cibles de la colonisation eurent lieu à Tlemcen et dans de nombreuses localités de l'Ouest algérien et ils allaient donner le signal de la véritable entrée en guerre de l'Oranie pour la cause de la libération de notre pays. Pourtant, dès le début de l'année 1955, Belhadj Tahar Miloud blessa grièvement d'un tir de révolver, un indicateur d'origine marocaine connu sous le pseudonyme de «Zaouèche». Mais ce n'est qu'à la date fixée par Boussouf pour l'entrée en lice de l'Oranie dans la guerre d'Indépendance (soit le 1er octobre 1955) que Abdelkader Senouci et Ghaouti Zerrouk tuèrent, par balles, le colon Janoit qui avait tiré auparavant sur un enfant algérien âgé de 12 ans pour, a-t-il expliqué, «tester son habilité au tir!». Senouci Abdelkader et Ghaouti Zerrouk, natifs des quartiers populaires de Sidi Chaker et Sidi El Haloui, furent guillotinés en avril 1957. Ce même 1er octobre 1955, la manufacture «MTO» du quartier El-Hartoun de Tlemcen fut incendiée ainsi que le garage «Pons». Une attaque armée dirigée par Rachid Bendimered eut lieu, ce même jour, contre la commune mixte de Sebdou. Les monts de la région de Tlemcen (comme ceux de Béni Snous, Ras El-Asfour, Tameksalet, Bouhlou) commençaient à trembler sous les semelles des moudjahidine. L'assassinat du Dr Benaouda Benzerdjeb, sous la torture de l'armée coloniale, le 16 janvier 1956, provoqua une grande émotion parmi la population tlemcenienne qui fit sienne, à partir de cette date charnière, quasi unanimement, le combat livré par ce valeureux fils de l'Algérie pour l'indépendance de son pays. |
|