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La
musique andalouse et ses différents standards esthétiques
Le Malhoun est théorisé par des canons sous les mètres étalons identifiés de «Soussia», «Tilimsaniya»? Le mètre dit «Tilimsaniya» est un mode de composition qui fait référence à un vers très léger traditionnellement connu dans le style du genre poétique «haouzi». Le «Gherbi», tout comme le «Haouzi» avec son mètre ?'Tilimsaniya'' entrant dans son code, ces labels marginaux ancrés dans la vie, a fleuri à la périphérie de la musique classique dite andalouse, royale et souveraine, considérée au cœur des vieilles cités maghrébines comme une œuvre parfaitement accomplie avec sa poésie classique, ses typologies monodiques ou «Toubou'» et l'architecture des différents phases rythmant son exécution voire sa cadence. Le terme ?'Haouzi'' tend ainsi plus à désigner une période riche et créative de composition qui a, à travers le Maghreb engendré pendant la période clé allant du XV e au XIX e siècle, de Said al-Mandassi à Mohamed Ben debbah, un véritable foisonnement de genres (Melhoun, Haouzi, GherbI?). La poésie populaire exalte une maghrébinité fondée sur un savoir vivre, une vision tolérante de la religion enfin, un esthétisme spécifique contre tout mépris des arts. Au Maghreb, la poésie classique eut sa période de toute splendeur avec Ibn Khamis, mort à Grenade, Kaïssi el Andaloussi, Affif ad-Din at-Tilimsani et son fils Cheb Dharif, Ibn Hadjla, Ibn Hamdoun, Ibn Khamis, Abou Abdellah Mohamed Ibn Benna, Abi Djamaa Talalissi? qui font partie du jardin de ses poètes et dont plusieurs de leurs œuvres ont été peu à peu, au fil des siècles, associées à la nouba en partage aujourd'hui dans les traditions musicales andalouses de Tlemcen jusqu'à Constantine. Les poésies d'aèdes marocains tels al-Maghraoui Abou Farès al- Masmoudi (XVIe s), Kaddour Benslimane, Nedjar, Benali Ould R'zine, Djilali M'tired, (a XVIIe s), Kaddour Alami (XIXe s) et tant d'autres qui ont vécu à l'ombre de leurs œuvres, loin des honneurs que connaîtront plus tard leurs interprètes, très appréciés et largement vulgarisées à travers le Maghreb. Les chefs d'œuvres connus : «el-l Kaoui» (le cautère), «el-Maknassia» (Ô gens de Meknès) de Cheikh Kadour al-Alami, «Dif Allah» (l'invité de Dieu) de Cheikh Bénali Ould R'zine, de ces poètes marocains à la forte personnalité, vont apporter un sang nouveau à la très vieille tradition musicale algérienne. Elles sont parmi les élégies poético-musicales majeures, les œuvres canoniques qui traversent les siècles, du genre «Gherbi» exécutées sur un registre comprenant plusieurs variantes perpétuées grâce aux échanges de musiciens dont le dernier qu'a connu Si Mohamed Bekkhoucha à savoir ?'Cheikh Ménouar Benattou (né en 1800), Cheikh Moulay Ziani (né en 1850) dont la vie était partagée entre Fès, Tlemcen, Alger et le sud. Dans la tradition du «Malhoun», parmi les grandes expériences sensibles du passé, à un moment où le mouvement de la littérature classiques se trouvait dans une impasse, la satire, les récits d'imagination et de mémoire ont connu une certaine fortune. La poésie populaire maghrébine offre un langage riche en vocabulaire avec ses néologismes, ses métaphores, ses euphémismes... Elle constitue un matériau formidable qui attend cependant d'être exploré dans les domaines de la linguistique historique et comparée, la prime authenticité enfin, musicologique. Au début du XXe s, le «Gherbi» est conduit à son apogée par des maîtres de la chanson comme Mohamed Bensmail et Lazaar ben Dali Yahia? Ces derniers ayant tous les deux passé une partie de leur vie au Maroc ont continué à faire vivre ce patrimoine accessible encore aux oreilles contemporaines suscitant, encore aujourd'hui, de nouvelles formes de composition témoignage d'un besoin permanent de retour aux racines. En effet, les poètes à côté des conteurs populaires et des ?'Guechab'' ou poètes patentés ont fait partie de la réalité quotidienne maghrébine. Ce genre poétique, gorgé de sève et de suc, à support musical, a continué à déceler, au fil des siècles, plusieurs générations de grands talents qui vont le faire revivre dont plus près de nous Abdelkrim Dali , Salah Benchaabane, Ahmed dit Rédouane fils de Larbi Bensari, ce chevalier de l'ordre des arts et des lettres, décoré avec les honneurs des rois alaouite au Maroc ?'wissam al alaoui'' et ?' housseinide'' à Tunis ?'wissam iftikhar'', décédé en 2004 à Casablanca, tous les trois nés sous la même étoile, Tahar Fergani, Mohamed Khaznadji, Dahmane Benachour, Sadek al Bidjawi, Cheikha Tetma qui, la première a introduit dans la chanson andalouse le genre féminin dit ?'Haoufi'' en l'absence d'accompagnement musical, a cappella. Rappelons que cette dernière artiste-musicienne et interprète féconde a vécu une double histoire celle d'une grande musicienne et interprète et de héroïne d'un combat pour l'émancipation de la femme. Ces maîtres très doués dans l'expressivité des œuvres, usant de leurs goûts propres de l'ornementation, avaient une éducation raffinée indispensable au goût. Chacun avait son exercice de style peaufiné en pratiquant le motif dit«Gherbi Matçana'a» (de style classique) puisant dans le canevas monodique complexe et savant de la nouba avec à chacun des interprètes ses fioritures pour embellir la ligne mélodique majeure de chaque chant usant des passerelles entre le classique et le populaire. La grande part de la beauté du patrimoine réside dans son interprétation. Cet art mince mais si exquis s'exerçait tel une sorte de montage d'un métier d'où le terme ?'sana'a'' terme faisant partie de l'univers des métiers de l'art et qui appellent à la finesse et à la virtuosité de l'artiste pour traduire la beauté du sens et du langage. Le «Gherbi», ce genre fin du XVIIIe s, connut certes une grande faveur, en Algérie. Il fait partie de la cartographie exceptionnelle de cette musique englobée sous le label de ?'Sana'a'' ou sur ce terme générique de ?'sana'a-Gharnata'' avec son statut exclusif de ?'classique'' qui persiste et sur lequel différentes typologies stylistiques se sont greffées au fur et à mesure d'autres genres se revendiquant aujourd'hui de la même filiation culturelle et artistique. Si on parle de ?'Gharnata'' c'est inévitablement pour rappeler les affinités avec les sources. Ce type de chanson avec la puissance démiurgique de son écriture accordant la priorité au récit remet en cause le statut mimétique des musiciens routiniers. Chaque interprète doit faire ressentir sa touche personnelle en allant au cœur des mots pour traduire le récit mais aussi pour faire ressortir le goût de la langue. Dans ce domaine, on ressent aujourd'hui le manque à combler dans cet art, voire son expression artistique totale. Sa poésie variée est le reflet d'une ère contrastée de bonheur, de soucis de la vie quotidienne et de passion de vivre. Traduisant une actualité vécue en temps réel, intégrant un environnement urbain avec des portraits de la société, ce chant d'une belle expérience est devenu le vibrato de la vie dans les cités. C'est aussi l'effet de mémoire qui reconduit l'œuvre. Le «Gherbi» plonge le mélomane dans les vieux souvenirs d'une société vieille d'il y a au moins trois siècles et, à ce titre, nous rendons un hommage à un inlassable prosélyte de la littérature populaire que fut Si Mohamed Bekhoucha, cet intellectuel et mélo¬mane dont les essais bibliographiques et anthologiques ont sauvé pour nous de 1'oubli, une bonne partie du répertoire des grands poètes populaires marocains de notre héritage maghrébin. Dans l' anthologie qu'il a publiée avec son ami la grande figure du classicisme Cheikh Abderrahmane Sekkal intitulée «Les printanières» (Tétouan en 1934 (premier livret), puisant dans les manuscrits laissés d'un maître accompli du «Gherbi» du nom de Cheikh Ménaouar Benattou qui avait une vie partagée entre Fès et Tlemcen : «Maître accompli, il a su charmer alternativement Tlemcen et Fès -ses villes préférées- par la souplesse des modulations de sa voie, la finesse de son doigté, l'interprétation maladive des morceaux; c'est du moins, l'appréciation unanime de ceux qui avaient eu le bonheur de l'écouter. Il se rendait régulièrement à Fès chez sa seconde femme et en revenait avec de nouveaux répertoires de poésies variées. Ainsi, il contribua, pour une grande part, à la renaissance du genre maghrébin à Tlemcen (Qassaïd el Maghreb)». Le «Malhoun» ou la passion des mots Dans la poésie populaire marocaine, il y a la force du récit et aussi la passion des mots. Elle nous fait visiter les lieux de mémoire et nous rappelle également les anciennes valeurs avec des tableaux pittoresques de la vie en société. Dans la chanson ?'Gherbi'', le texte devient musique et, usant de ressources artistiques l'interprète, devient en quelque sorte l'auteur. Tout comme le «haouzi», «le Gherbi» dont les terroirs d'exception sont respectivement Tlemcen et Fès constituent un patrimoine enraciné dans une culture acquise aux raffinements de la vie sédentaire qui écrit au moins six siècles de notre histoire maghrébine. Le ?'Gherbi'' de même que le ?'Haouzi'' est hanté avec grande pudeur par l'inspiration féminine des belles et douces «Zenouba», «Raha», «Tahra», «Aouïcha», «Hadjouba», «Aouali», «Mouny»? qui font partie de l'historiographie de ces deux motifs culturels. A Tlem¬cen, le «Gherbi» est exécuté sur un registre modal andalou très varié avec également un enchaînement de rythmes pour rendre l'exécution moins uniforme afin d'éviter la monotonie des longues «Qaçida», de tradition orale à l'origine. Du chant «el-Maknassia», un hymne à la vie, jaillit la vérité douloureuse d'un homme échoué, abandonné. Dans la tradition poétique marocaine, la satire a connu une certaine fortune. Elle livre souvent une critique fine et mordante de la société raffinée des vieilles cités marocaines. L'univers culturel du «Haouzi» dont la cité zianide fut un terroir d'exception est légèrement différent du «Gherbi» dont les poètes marocains n'ont pas grand peine à rendre compte dans leurs œuvres de leur réel avec une narration simple et factuelle de leur vécu apportant souvent en conclusion, une moralité. Conciliant texte et chant, les thèmes du «Haouzi» sont développés sur un rythme léger, dans le registre d'une prose familière. De nos jours, les jeunes chanteurs privilégient des interprétations plus créatives que littérales tronquant souvent les textes appartenant à des poètes anciens. Les mélodies sont généralement agrémentées d'un refrain qui les impose à la mémoire. Leur interprétation musicale n'est pas soumise à une rigueur particulière mais tous deux, «gherbi» et « haouzi», épousent la mélodie andalouse avec cependant plus de souplesse. Dans l'interprétation musicale du «Gherbi», l'art du chanteur consiste à broder et à enluminer le chant qui est souvent une mélodie simple. Les maîtres prodiges qui se sont distingués par une sorte d'instinct musical en reflètent l'état d'esprit en employant des chromatismes subtils plus nuancés. Certains poèmes dénoncent les vices de la société tandis que d'autres chantent leurs amours ou évoquent leurs plaisirs galants usant d'un goût immodéré de la métaphore et de formules ciselées, faisant revivre un cadre social et culturel de vie à travers les ruelles de la médina et ses cercles intimes, ses jardins ombragés, ses jardins à Mawan, Mounya, al baal, el Ourit, Koudiat al Ouchak dénommée ensuite ?'Birouana'' du nom d'une célèbre noria installée du temps des Ottomans? Le «Chaâbi» en tant que genre musical nouveau va se substituer à ces vieilles formes traditionnelles. Ce genre entré en grande vogue à Alger depuis la seconde moitié du XXe s, défie aujourd'hui le «Gherbi» par sa cadence et une plus grande liberté de mesure, enfin, sa forme musicale ponctuée et ses formules cadentielles, sa pièce poétique soutenue par un orchestre contrairement à l'orchestre traditionnel riche en cordes (luth, kouitra, rebab, centir...) est plus fourni utilisant des instruments modernes comme le banjo, la mandole? Ce genre musical a ses conventions propres du point de vue des mouvements. Du côté de l'interprétation, chaque chanson doit être un moment d'expression d'un contenu et pour cela, les interprètes doivent être très proches des sentiments exprimés par les poètes, auteurs et compositeurs. Au delà du potentiel de chants qui est ignoré, la recherche dans ce domaine repose essentiellement sur la qualité d'expression de la vraie nature du chant. Le genre «chaâbi» est symboliquement rattaché à l'évocation de chanteurs-interprètes qui ont atteint une grande renommée dont Hadj Mohamed el Anka, une véritable icône du genre «Chaâbi» qui réussit à faire de certaines pièces du «Malhoun», telles «Dif-Allah» (L'invité de Dieu), un chef d'œuvre, voire par là l'écho maghrébin que nourrissent ses œuvres. Ce style résume ce qu'il y a de plus maghrébin, aujourd'hui avec le dialecte offrant un champ d'expérience dans lequel toutes les possibilités du chant et du langage se sont essayées, avec une variété de talents. Les chercheurs font remarquer que la poésie populaire des genres «Melhoun» ou «Haouzi», remonte son origine après la chute de Grenade. Cet évènement marque en effet, pour eux, la fin du Zadjal. Les genres «Melhoun» et «Haouzi» constituent, font-ils remarquer, une autre forme du Zadjal, né bien après, au Maghreb. Cette poésie dans son secret a parfaitement conservé les dialectes dans leurs propres syntaxes. Chaque région ayant un parler estampillé ou le langage au parfum propre de par sa phonétique, avec ses inflexions, sa symbolique, son grand vivre nécessitant pour les producteurs de mots une connaissance affûtée des réalités locales. Ces poésies chantées répondent aux critères de 1'esthétique, qu'expliquent le goût et 1'engouement permanent pour la chanson populaire traditionnelle en Algérie et au Maghreb. Les poètes populaires maghrébins nous honorent autant qu'ils pérennisent les riches moments de notre histoire. La poésie populaire est un véritable conservatoire de la mémoire dans le Maghreb. Son socle de connaissances expression de son âme profonde est malheureusement encore très peu sollicité dans les études et les recherches. Les chants du répertoire «Gherbi» comme pour le «Haouzi» ont plus contribué à faire connaître leurs interprètes répétitifs plus que leurs véritables auteurs compositeurs traditionnels, restés malheureusement dans l'oubli. L'Association «el Andaloussia» de la ville d'Oujda (Maroc) créée en 1921 par un grand maître de la musique algérienne, le professeur Mohamed Bensmail, servira à la fois de foyer d'études mais surtout de relais d'échanges entre les musiciens des deux pays, ce qui a favorisé l'extension loin de son port d'attache du goût du «Gherbi» en raison de sa sensibilité musicale poétique et musicale, en Algérie. Ce professeur était un maître accompli, de la veine de Si Ghouti Bouali et de Mostéfa Aboura. Ces trois musiciens se sont en effet, vers les années 1900, associés dans une œuvre exaltante prouvant l'intérêt qu'il y a à codifier selon les méthodes conventionnelles le patrimoine de cette musique. Les poètes, les artistes ont forgé à l'aune de l'histoire des liens renforçant à travers les âges une bonne part de notre sentiment d'existence collective et communautaire. Ce passé maghrébin ?'embastillé'' aujourd'hui a plus que jamais besoin d'être compris pour un avenir mieux maîtrisé. Si le Maghreb est aujourd?hui un horizon, il était pendant des siècles, une patrie. L'identité du Maghreb ne peut être parfaitement connue, c'est pourquoi des actions sont nécessaires aux plans politique, économique et culturel. C'est seulement de cette manière que le Maghreb cher à Abdelmoumen Ben Ali cessera d'être une image figée ou une simple illusion. * Auteur : - De Grenade à Tlemcen. Mouwachate oua azdjal, E. N. A. G, Alger, 2011. - L'héritage musical ?'Sana'a-Gharnata'', ANEP, Alger, 2017. - L'épopée musicale andalouse, PAF, Paris, 2015. |
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