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Pour compenser ses carences et
produire la sympathie, l'ancien Premier ministre usait de l'humour, parfois de
mauvais goût, ce qui corsait davantage son image. Les Américains ont tenté
d'évaluer leurs dirigeants avec des tests conçus à l'effet de mesurer leurs
Q.I. Ainsi, dans une étude réalisée en 2006, le professeur UC Davis Dean Simonton a utilisé des méthodes historiométriques
pour estimer le QI de chaque président. Il a analysé les informations tirées de
biographies, de discours et d'écrits qui indiqueraient l'intelligence de
chacun. Résultat : G.W. Bush, est le plus crétin des présidents avec un score
de 91 points, pas loin de celui de son père (98) alors que le plus élevé
revient à Clinton (182 points). Les observateurs ont établi ce palmarès à partir
des faibles notes liées à la difficulté apparente de G.W. Bush à maîtriser la
langue anglaise ainsi qu'à la pauvreté de son vocabulaire, limitée à 6.500 mots
contre une moyenne de 11.000 mots pour les autres. Imaginons un instant quelle
serait la réaction du système d'évaluation si on viendrait à lui introduire des
formules comme Khanfoussa, batata,
keyen tchechouka, el raya tferfer, kharjine li rabbi tay tay, harkou
l'marmita, neguelbou douminou,
Bou rourou, Rabbu y'ãss dfina bli
jumelles? Cette interaction de l'élitisme incarnée par le poste de la chefferie
du gouvernement avec ce charabia populiste provoque le malaise. M. Sellal avait du mal à communiquer. Il souffre de la
«pathologie de la rhétorique vide de sens et d'imagerie». Il n'y a jamais eu un
Premier ministre aussi médiocre que lui. L'homme n'était tout simplement pas à
la hauteur. Le président Bouteflika, dont on dit grand glouton de livres,
avait-t-il besoin d'un Sellal, d'un Saïdani, ou des autres amuseurs publics pour étoffer son
équipe !? Après tout, à quoi sert l'intelligence si
avec 800 milliards de dollars, le dinar n'a comme concurrent que le Kyat du
Myanmar (MMK). ?
Les jeunes génies algériens de l'Internet dépeignent toute la réalité dans la société politique; ils scrutent le moindre mouvement, le moindre lapsus et mettent en exergue les dysfonctionnements de l'Etat. La reproduction tendancieuse et intentionnelle sur le Net des prouesses verbales des hauts commis de l'Etat est un nouveau genre du rire politique qui agit comme libérateur mais toujours avec des réactions négatives. Aujourd'hui, dans certaines réunions feutrées, on meuble les soirées avec le visionnage des perles sellalienne sorties tout droit du premier livre de l'histoire sur les blagues «Le philogelos» (4ème siècle après J.C.). On pourrait aisément les réunir et en faire un corpus, comme l'avaient fait Hiérocles et Philagrius à propos des blagues grecques. La politique est quelque chose de très sérieux pour qu'elle soit abandonnée aux plaisantins adeptes de folklore et de burlesque. La télévision algérienne n'a pas besoin d'un The Daily Show, des guignols de l'info ou d'un Bebête Schow à l'algérienne. Nos politiques sont de vrais comédiens qui n'ont pas besoin de chansonniers pour écrire leurs sketchs. Ainsi, des personnages sont créés ; Boumarmita, Bouteh'wissa, Boulkirane, El raqi, Abu el Faqaqir?Ils n'ont rien à envier aux mises en scène de Fellag ou d'Abdelkader Secteur. Les visiteurs des Dz-Joker, Mister X, Unknown, la Grande Kechfa, Bled-Mickey? trouvent leur compte. En réponse à la courtoisie d'une cheffe de projet chinoise qui le saluait dans un arabe correct, l'ancien Premier ministre répondit : «Salam alaykoum ya l'batata». Ainsi, il inaugure la blague ethnique sur la base de la cible «stupide» que représenterait la Chinoise. Cependant, on ne rit jamais de la réussite de l'autre mais de sa faiblesse. Cet axiome philosophique longuement expliqué par les Socrate, Aristote, Platon, Spinoza, Bergson? ne semble pas tenir la route chez M. Sellal puisqu'il se moque d'une Chinoise qui parle l'arabe mieux que lui et de surcroît, elle vient d'un lointain pays, aux antipodes de l'Algérie, pour lui construire ses logements, ses stades et ses autoroutes?Le sociologue Christie Davies a beaucoup écrit sur les blagues ethniques notamment lorsque le risible est cet autre qui ne ressemble pas au rieur. C'est le cas des Polacks et des Italiens pour les Américains, des Français pour les Allemands, des Belges pour les Français, des Irlandais pour les Anglais, des Indous pour les Algériens? Avec les «sorties sellaliennes» on est dans le flou le plus total, et même un Sigmund Freud s'y perdrait, lui qui a longuement réfléchi sur les blagues et leur relation à l'inconscient. Sa typologie construite sur la différence entre la plaisanterie, l'humour et le comique va perdre son efficience scientifique avec le jeu de scène de notre ancien Premier ministre. En effet, ces distinctions deviennent difficilement perceptibles dans l'«humourologie» sellalienne. Pourquoi continuerait-il, -et peut-être en est-il le seul- à trouver dans la personne de la Chinoise, «quelque chose de drôle», qui ressemblerait à une batata. La «gélothérapie» (du gelos grec/rire) de Si Abdelmalek doit avoir droit de cité dans la Société internationale d'études sur l'Humour. Ce qui est intéressant de noter est de savoir ce qui a poussé ce personnage politique à user du rire ; serait-ce l'ignorance, l'anxiété, le chatouillement ou tout simplement une nouvelle forme «spécifique» de communication inventée pas ses conseillers en com ? Son rire ainsi instrumentalisé lui semble participer à «l'effort de guerre» pour acquérir l'acceptation de l'autre et soulager les difficultés de gouvernance (Anta rouh tergoud, wa na ndabar rassi /Toi, vas dormir et moi je m'occupe du reste) ou amenuiser les craintes : (N'ayez pas peur, il y'aura du yaourt et de la banane). Les incongruités ludiques exprimées à travers les prises de parole publiques du Premier ministre, aussi indigestes soient-elles, nous offraient néanmoins une sorte de furdja. Tout le problème était de savoir quelles en sont les limites pour qu'il n'altère pas «la légèreté de son sang» pour reprendre une expression arabe (khifet el dem). Faire rire en politique est une arme redoutable pour un peuple privé de liberté (de critique et d'expression), il s'apparente à une «petite révolution». Il y'a toujours un message politique sous couvert du comique. Parfois, la blague est rattrapée par la réalité. Questionné par El Kabbach si le président Bouteflika envisagerait une présidence à vie, Medelci répond le plus sérieusement du monde : «Tout à l'heure vous avez demandé à mon ami le professeur Khamis de dire des blagues, nous aussi nous en disons. Permettez-moi de dire que ça, c'est plutôt une blague». Hormis sa violation de l'obligation de réserve, c'est à lui que le candidat en «petite alacrité», dans un décor tragicomique, présenta quelque temps après, son dossier de candidature pour un pathétique quatrième mandat. Lorsque le créateur de la formule fondamentalement fondamental nous parlait d'histoire et de géographie, nous nous demandions de quelle école il sort : «L'Algérie n'est pas une île?L'Algérie était une île lorsque les îles Cécile étaient» ?! Peut-on dès lors lui en vouloir d'ignorer les autres domaines tels que la philosophie, les arts, l'anthropologie ? Qu'attendre d'un homme qui ne parle que de batata, thchekchouka, marmita, domino? Mais il reste que M. Sellal n'a jamais montré aucun signe d'arrogance et a souvent associé humilité et incompétence. Avec M. Ouyahia, c'est un autre style. Comme son mentor, M. Ahmed Ouyahia est atteint du syndrome d'hubris : la maladie du pouvoir ou de la confiance exagérée en soi ajoutée à l'intolérance à la contradiction, à l'obsession de sa propre image et à l'abus de pouvoir, le tout avec une irrésistible envie de faire peur. L'actuel Premier ministre n'a pas besoin de conseils, il n'écoute pas la sagesse des autres. Il a une certitude intérieure qu'il est un homme de destin, une sorte de messie. En évoquant «l'enfer» dans son discours devant les sénateurs le 27 septembre 2017, M. Ouyahia convoque inconsciemment Nietzsche sans le vouloir à l'image de M. Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir. Pour commémorer le 12ème anniversaire de la loi sur la paix et la concorde civile, la télévision d'Etat défie Daech dans la diffusion de l'horreur. Elle montre des images insoutenables d'enfants et de femmes égorgés, brûlés et exécutés par les hordes terroristes. Le message est on ne peut plus clair : toucher le psychisme national en réveillant le cycle du fatalisme. Ce ne sont plus de simples images, mais bien plus, une exhibition abjecte de la dette que le peuple doit, croit-on, à un seul homme : le passage de l'insécurité et la vulnérabilité à la quiétude et l'invulnérabilité. Comble de l'ignominie, il n'y a que le Premier ministre qui a trouvé le documentaire de la chaîne étatique digne de remerciements. Pour Ouyahia, gouverner et faire peur sont mis au même plan. Toute gouvernance par la peur aussi rationnelle ou irrationnelle soit-elle ne peut conduire qu'à des décisions contre-productives. La peur peut nuire au jugement éclairé. Un dirigeant mégalomane est indifférent à tout dommage qu'il cause, parce qu'il a une raison divine de ses actions; il est sans culpabilité ni compassion et incapable de réfléchir même à la réparation. Quelle que soit leur motivation en utilisant la peur, les politiciens travaillent contre les principes et les idéaux démocratiques auxquels le peuple aspire depuis 50 ans. Ils manipulent nos craintes pour défaire nos espoirs pour un monde meilleur. Et peu importe si le leader habilité s'appelle un Premier ministre, un général ou un président. Le résultat final est que la peur a été utilisée pour nous remettre sous le joug du souverain de Hobbes et du prince de Machiavel. Le peuple algérien est habitué au discours de la peur. Il n'y a pas un gouvernement qui n'ait pas décrit l'Algérie comme au bord du gouffre, sur une poudrière, un pas déjà dans le vide. Chaque gouvernement a augmenté la longueur de son épée avec le pouvoir de son «sacerdoce». Cependant, à force de crier au loup, le peuple finira par ne plus y croire. Si le gouvernement joue trop la carte de la peur, elle surchargera la sensibilité du public et, en fin de compte, les gens réduisent presque entièrement l'impact et les tentatives du gouvernement de les effrayer davantage. Le gouvernement a constamment compensé «la dépréciation de son stock de capital angoisse», quitte à créer des peurs qui n'existent pas comme la main de l'étranger par exemple. Aujourd'hui, tout comme hier, la menace est brandie comme argument électoral. C'est le propre des États autoritaires. Ils ne fonctionnent pas pour minimiser la peur, mis au contraire pour exercer le contrôle sur la population et servir le but principal du gouvernement, à savoir : consolider le pouvoir. Cette manière de faire n'a pas échappé à l'observation des constitutionalistes et autres penseurs. Machiavel a notoirement argumenté qu'un bon leader devrait induire une dose de peur dans la population afin de mieux la contrôler. Dans le Léviathan, Hobbes soutient que la peur motive efficacement la création d'un contrat social dans lequel les citoyens cèdent leurs libertés au souverain. M. Ouyahia innove avec l'utilisation outrancière du chantage. A l'endroit des «représentants» du peuple, il avertit : Vous ne seriez pas payés le mois de novembre si vous ne validez pas ma feuille de route. Autrement dit, vous deviez abandonner votre liberté, votre jugement, au nom de la sécurité alimentaire et l'ordre public. La seule question qui se pose est de savoir si le non-conventionnel est censé nous faire sentir plus en sécurité ou s'il est réellement destiné à nous rappeler que nous sommes déjà en danger. En semant le doute sur nos capacités de lever les défis par de vraies solutions, en nous soumettant à des règles arbitraires et irrationnelles, voire improvisées, et en nous rappelant constamment que le danger nous guette dans nos frontières, l'État «travaille» la théorie du complot et il n'y a pas mieux que lui pour brandir la main de l'étranger, une sorte de ghoula qu'on sollicite pour faire taire les enfants chahuteurs. La peur est utilisée pour nous empêcher de remettre en question les décisions censées être prises pour notre sécurité. Le fondement de cette approche remonte à l'été 1962 où la force fut proclamée principe extra et supra-constitutionnelle devant régir les institutions. Ainsi, tous les actes politiques vont consister à maintenir le plus fort et à détruire ceux qui le menacent, car ne correspondant pas à son unité homogène. Plus de place alors au pluralisme, au débat contradictoire, à l'État de droit. La démarche de M. Ouyahia est autocratique par excellence. Plusieurs études ont confirmé une relation entre l'intimidation, le chantage d'une part et l'autoritarisme d'autre part. Il s'agit d'un style de leadership autocratique poussé jusqu'au bout par tous ceux qu'ils l'ont précédé depuis 1962. Les peurs algériennes ne se résument pas seulement à des questions liées à l'appareil digestif (le risque de l'effondrement du pouvoir d'achat des produits alimentaires), c'était déjà le cas dans les années 60, 70 et 80. Aujourd'hui, le peuple souffre de ces «peurs silencieuses» et quotidiennes ; manque d'eau, peur de l'environnement urbain (dos-d'âne, embouteillages?), peur de la criminalité, amplification de la peur à travers les médias arabophones (les faits divers d'Annahar et Chourouk), l'impact de la peur sur la loi. Nous sommes peut-être le peuple le plus barreaudé au monde. Il n'y a pas une villa, un appartement, même au huitième étage d'un immeuble qui en compte seize, où les fenêtres ne soient pas cuirassées, barricadées et les portes blindées. Il n'est pas exagéré d'avancer que la crainte d'être agressé est aussi préjudiciable que l'acte criminel en soi. La crise du crédit a mis en évi-dence les tensions au sein de la gouvernance économique nationale. Après des années de rentes triomphantes, où les décideurs ont fait confiance à la baraka de la hausse des prix des hydrocarbures, et donné leur chances aux réseaux oligarchiques élitistes, voici venue l'ère des vaches maigres et ses événements sismiques attendus. * Philosophe |
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