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Il n'y a rien de plus beau que
les projets partagés par l'Humanité pour une cause enthousiasmante et noble. Il
n'y a rien de pire que les faux-semblants d'amitié des peuples et de gloire
lorsqu'ils sont portés par des mécanismes qui sont à l'antipode de ce qu'ils
prônent. Paris a voulu ses jeux pour le centenaire, elle les aura. Les grandes
valeurs du sport attendront car ce n'est absolument pas dans ses intentions de
laisser une opération de communication se faire voler la place par le seul rêve
altruiste du baron de Coubertin.
Tous les quatre ans, le monde se met à rêver dans une communion internationale où toute l'humanité fait semblant de vivre un rêve de fraternité et d'union des peuples par le partage de valeurs communes. Pour l'expliquer, je vais essayer de trouver une image que tous les Algériens ont vécu, cela leur parlera plus que des phrases aussi creuses que celles qui vient de précéder. Les Jeux Olympiques, c'est comme certains mariages algériens (j'ai dit certains, pas tous). C'est une réunion où à peu près tout le monde se déteste et a des contentieux anciens, où l'on n'a pas une sympathie débordante à partager, mais où l'on exhibe des mets à en attraper une indigestion, et des musiques, embrassades et youyous à en faire éclater les oreilles. Pour le paraître, certains dépensent dix ans d'économies. On y brûle autant d'argent que pour nourrir et éduquer un enfant en une période équivalente. On se pare du plus éclatant et, plus cela brille, plus c'est cher, plus on épate et plus on est satisfait, comme la recherche d'un but ultime dans la vie. A l'arrivée, une gueule de bois colossale, une détestation à en dire des médisances sur les uns et les autres, pendant plusieurs générations et, au final, une chance statistique non négligeable... de divorce. C'est violent, c'est provoquant mais il y a du vrai, de l'incontestable. Eh bien, voilà en gros la réalité des Jeux Olympiques qui laissent un Brésil avec une ardoise gigantesque d'un malheureux père de famille, irresponsable, après une nuit de débauche alcoolisée. Un pays, en situation économique et sociale catastrophique et qui n'a que sa samba et Neymar pour le cacher. Dans sa cérémonie rituelle, le CIO vient de déclarer définitif l'accord précédent, accepté par l'organisation, qui consistait en un partage des prochaines dates. La ville de Paris a obtenu les Jeux pour 2024 puisqu'elle tenait à en avoir l'organisation après un siècle, date pour date, des précédents Jeux, dans la capitale. Et la ville de Los Angeles est repartie avec du temps pour les préparer, accompagné d'un chèque très alléchant en dédommagement pour attendre 2028. C'est que dans les Jeux Olympiques, on rêve mais on sait compter en même temps. Et tout cela dans une réunion à l'étranger, avec des frais de mission considérables d'une organisation entachée d'une perpétuelle corruption et qui ne sait se réunir que si le lieu est loin et prestigieux, le voyage en classe ?affaires' et les repas en cinq étoiles. La vidéo-conférence, les membres du CIO n'en ont jamais entendu parler. Tous les quatre ans, donc, l'auteur de l'article est atterré, reprend son clavier pour en raconter l'immensité de l'arnaque intellectuelle et du gâchis, camouflés dans des valeurs bafouées qui, dans leur message originel et pur, lui tiennent pourtant à cœur, comme tout républicain et démocrate. Ce pauvre Baron de Coubertin, tous les quatre ans, j'essaie modestement, et je ne suis pas le seul, à le réconforter en l'entendant se retourner et se torturer dans sa tombe. Rendons-lui hommage mais, surtout, expliquons-lui en quoi son projet était voué à l'échec, dès le départ, car construit sur une idée déformée des valeurs olympiques. Il en est responsable mais, lui, était sincère malgré son erreur de jugement. Cette évocation est d'autant plus circonstanciée car Pierre de Coubertin était Français et le choix de Paris n'est pas neutre pour la justifier. Chacun l'aura compris, avant même, cette longue introduction. Coubertin et l'utopie du dix-neuvième siècle On ne peut pas comprendre le projet de Pierre de Coubertin si on ne joint pas à l'analyse la description de la pensée au dix-neuvième siècle avec laquelle il fait corps, pour sa seconde moitié, puisqu'il est né en 1863. C'est le siècle foisonnant des Sciences et des Techniques, Jules Verne nous en donne une excellente image. Le siècle où tout semble possible, même la liberté des hommes comme l'écrit si bien Victor Hugo, dans ses vers, puisqu'il est né avec lui. Dans cette tumultueuse époque sont nées des utopies, parfois extraordinaires, parfois dangereuses. Et souvent, les deux en même temps, unies dans un même élan d'enthousiasme. Jules Ferry, dont on vante le grand mérite pour avoir installé les fondements de l'Ecole républicaine était un fervent partisan de la colonisation. Il voyait en elle, naïvement, un grand espoir d'apporter la civilisation dans des contrées qui en avaient besoin, selon son jugement. Bien d'autres partagèrent cette utopie qui était pourtant accompagnée de guerres et de souffrances. De plus, le dix-neuvième siècle s'est grisé d'une frénésie comme l'apport de l'orientalisme dans la littérature (le 16ème siècle en avait déjà apporté l'idée). Partout, en toute création, littéraire ou artistique, les mirages et contes sirupeux de l'Orient ont fasciné les esprits. On y découvre, également, l'archéologie, on remet en question les dogmes religieux avec la théorie de l'évolution des espèces de Darwin et ainsi de suite. Ainsi, dans ce foisonnement, apparaît, de nouveau, une montée d'anticléricalisme qui préfigure la loi de 1905 par laquelle la religion catholique va cesser d'avoir une emprise considérable sur les esprits. C'est dans ce contexte qu'apparaît Pierre de Coubertin. Un pédagogue qui a voulu importer la pratique anglaise du sport dans les écoles françaises. Il voulait, en quelque sorte, recréer les «patronages catholiques» qui avaient le monopole de l'éducation sportive des enfants, mais en version «laïque». Il s'était, à cet égard, beaucoup intéressé à l'idée d'un scoutisme républicain, débarrassé du dogme religieux. Et c'est ainsi, dans cette ambiance, que cet homme extraordinaire, un humaniste profond, allait faire réapparaître les Jeux Olympiques modernes, en imitant au mieux possible, ce qu'on en a gardé par la survivance des écrits. Mais, si Pierre de Coubertin fut un immense humaniste, il avait fait deux erreurs d'appréciation, tout à fait innocemment. La première est qu'il s'est laissé entraîné par cette ambiance «d'universalisme» du 19ème siècle qui a voulu croire à la résurrection d'une Grèce antique qui n'a jamais existé en réalité sous cette forme fantasmée. Et pour la seconde erreur d'appréciation, ce n'est pas de sa faute, il ne pouvait prévoir l'horrible détournement de sa création par le 20ème siècle. L'illusion anachronique de la grande Grèce antique Ces Jeux de la Grèce antique, il en existait quelques-uns dans différents territoires et époques de l'année, j'invite le lecteur à une rapide recherche qui m'évitera une longueur excessive. Nous l'avons déjà dit, le 19ème siècle est l'apothéose des réécritures de l'histoire qui sont toujours guettées par l'erreur de l'anachronisme. Oui, les valeurs de dépassement de soi, d'effort et d'honneur existaient. Mais, j'ai toujours dénoncé cette grossière erreur de mes contemporains, y compris parmi les plus cultivés, à ne pas équilibrer la description par un avertissement absolument nécessaire pour la justesse intellectuelle, celle qui suit. Si nous nous référons à la réalité de l'époque, nous serions submergés d'horreur de la part de ceux que nous plaçons à ce haut niveau d'admiration. Ne nions pas qu'ils ont apporté, néanmoins, les premières valeurs philosophiques de l'Humanité. Décrire le bon côté est donc justifié mais le raconter avec la musique et l'illusion hollywoodienne n'est pas, exactement, ce que j'appellerais le recul intellectuel pour lire l'Histoire. Ces jeux, comme toute l'expression antique de la Grèce, étaient au service d'une seule cause, la suprématie des cités grecques. On ne peut s'imaginer la violence du culte de la guerre, des colonisations et des soumissions des autres peuples qui étaient dans les valeurs de ces guerriers que l'on admire dans leurs joutes olympiques. J'invite le lecteur à lire les deux tomes de l'œuvre magistrale d'Homère, L'Iliade et l'Odyssée, il sera plongé à chaque page, à chaque chapitre, à un bain de sang effroyable qui se justifiait par le combat de l'honneur, au service des cités grecques, particulièrement d'Athènes, et des Dieux dont ils imploraient aide et miséricorde par leur offrande de massacres guerriers. Mais en plus, dans la Grèce antique, la femme était totalement éliminée du droit à la citoyenneté des cités grecques. Un véritable code de la famille algérien, trois mille ans auparavant. Pas question pour elles d'être les actrices d'une quelconque manifestation vouée au culte de l'esprit olympique, non pas par la faiblesse relative du corps, mais du statut inférieur que cette grande nation lui accordait. Pas question non plus de faire participer les esclaves, encore moins les esclaves noirs, et pas question d'associer les étrangers à ces grandes valeurs du combat olympique, quels qu'ils soient, surtout ceux venus des cités «inférieures» et nouvellement conquises par le glaive et la domination féroce. Et puis, la civilisation grecque a laissé place à la grande épopée romaine de laquelle on retrouvera le même sens du spectacle morbide au service de la virilité triomphante. «Des jeux et du pain», tout le monde connaît cette expression, pas la peine de s'y arrêter. Au moins, nous servira-t-elle d'appui à notre raisonnement. Les Jeux et le 20ème siècle de l'enfer sur terre Ce pauvre et naïf Pierre de Coubertin ne pouvait imaginer que ses jeux allaient accompagner une fin de 19ème et, surtout, un 20ème siècle effroyable de boucheries sanglantes et de génocides. Et dans ce massacre ambiant, les Jeux retentissaient comme l'hymne de la bonne conscience. A l'exception de leur courte interruption, pour cause de guerre mondiale, c'était pour le moins, la musique assourdissante de «la paix des peuples» a dû arriver aux oreilles des morts dans les tombes, à celles des torturés, mutilés et gazés. C'est d'une finesse inimitable ! Le cynisme est allé encore plus loin car des régimes comme celui d'Hitler ou de l'Union soviétique, et même celui de la Chine, ont tout fait pour avoir ces jeux qui glorifiaient leur puissance. Ce ne sont plus des athlètes qui sont honorés mais des drapeaux, des hymnes nationaux et des médailles. La recherche de l'or, ce but suprême de tous les conquérants qui se fichent des valeurs de l'homme comme de leur premier assassiné ou torturé. On exulte, de joie ou de tristesse, et on comptabilise chaque jour les médailles nationales comme des trophées qui honorent un pays, sa vanité et sa puissance. La plupart des gens ne se souviennent même plus des valeurs prônées par Pierre de Coubertin. Le malheureux a bien fait de disparaître avant de voir ce qu'on a fait de son œuvre. Une débauche d'argent et de mauvaises mœurs Paris en rêvait de ces Jeux, maintes fois demandés par des actions qui ont coûté une fortune en déplacements et en campagnes de communication de grande envergure. Les valeurs du sport ? C'est l'image commerciale de la ville qui est en jeu, pas les valeurs du sport. La dépense va être colossale et, mensonge absolument honteux, on nous annonce un budget excédentaire si on tient compte des retombées. A l'exclusion de la ville d'Atlanta, aucune ville organisatrice dans l'histoire des Jeux n'a été bénéficiaire. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle quatre villes, à travers le monde ont finalement abandonné leur candidature pour 2024. Toutes ont connu des lendemains difficiles mais l'une d'entre elles est un exemple scandaleux. La Grèce est, aujourd'hui, dans la mendicité pour nourrir son peuple après ses dépenses faramineuses dont les Jeux ne sont pas responsables entièrement mais qui démontrent l'insouciance coupable. La Grèce, qui se voulait être le symbole de la réincarnation des Jeux qu'elle a vu naître, la voilà qui est l'image de ses plus désastreux détournements. L'argument des investissements est des plus fallacieux car, soit ils ne répondent pas aux besoins, démesurément projetés, soit ils devaient, de toute façon, être réalisés. Nous savons les difficultés des lendemains des Jeux de Montréal, la dépense somptuaire (cachée) des Jeux d'hiver en Russie et le presque abandon des équipements pharaoniques en Chine. Les jeux sont l'orgueil mal placé d'une nation. Et nous éviterons de parler, longuement, dans cet article, de la catastrophe sanitaire et morale du dopage, tellement évoquée depuis des décennies, dont la force se démultiplie, proportionnellement, aux moyens engagés pour sa lutte. Nous sommes à des années lumières des valeurs de ce pauvre Pierre de Coubertin. Et nous éviterons, également, de parler du veau d'or que constitue l'attrait de l'argent car le lecteur a bien compris le réquisitoire contre ces jeux qui n'ont rien à avoir avec ce que l'on nous vend. Les Jeux sont tout sauf l'image de la grandeur du sport que véhicule, normalement, sa pédagogie. Pour conclure, que ferais-je le soir de l'inauguration des Jeux et pendant leur déroulement ? Eh bien, je les regarderai, comme toujours, avec cette délectation et frémissement que l'on connaît, depuis l'enfance. Une contradiction ? Absolument pas car je les verrai avec l'intention de savourer un grand spectacle et des grandes performances sportives, sans plus et cela suffira. Comme pour tous les spectacles sportifs mais avec ce plaisir décuplé de la dimension planétaire. Cependant, en aucun cas, je n'y prêterais une autre signification que celle d'un très bon moment. Car certains d'entre nous, nous sommes très nombreux, ne nous laisserons pas distraire par les hymnes et les drapeaux que les nations foulent au pied dans leurs comportements belliqueux, dès les Jeux terminés. Et, comme toujours, j'aurais à côté de moi, assis sur mon canapé, ce bon Pierre de Coubertin, sorti de sa tombe pour me rendre sa visite habituelle. Et, comme tous les quatre ans, je lui dirai en lui tapotant les épaules : «Mon cher Pierre, sèche tes larmes et ne fais pas attention à ces imbéciles qui ont détruit ton message. Ton bébé reste, malgré tout, magnifique et il vivra longtemps encore !» * Enseignant |
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