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«La
nature a donné aux grands hommes de faire, et laissé aux autres de juger» Luc
de Clapiers Marquis de Vauvenargues
Durant toute sa vie professionnelle, passée dans les plus hautes sphères de l'État et de la diplomatie, Boualem Bessayeh a été un homme de dossiers, mais aussi un homme de plume. L'occasion ici d'évoquer dans ces lignes l'homme, le diplomate et l'intellectuel, en donnant prioritairement la place à son héritage, loin de tout éloge panégyrique. Il serait prétentieux de ma part de retracer, en quelques lignes, son histoire plurielle. Je me contenterai donc d'évoquer quelques situations dans lesquelles son action a été riche pour moi et, je pense, pour un certain nombre de personnes qui l'ont côtoyé. Dans le sens commun, parler des hauts faits d'un défunt, aussi célèbre fût-il, est infaisable, mais se taire s'agissant d'un homme de pensée et de valeur de la dimension de Boualem Bessayeh, cet homme qu'on ne peut oublier de sitôt, est impossible : voilà l'immense paradoxe auquel j'étais entre autres confronté en rédigeant ces quelques lignes à l'occasion de la Journée de la diplomatie algérienne. Il fallait, pour cela, infiniment puiser les ressources et «l'expérience de l'homme», que j'ai connu au Maroc en 2001, et se rythmer aux valeurs de cet intellectuel d'une immense envergure, tant par l'ampleur de son érudition que par la nouveauté de sa conception de l'histoire nationale, pour en arriver à surmonter ce paradoxe et réduire à néant les formules et les visions d'essayistes superficiels qui ont voulu le cibler avant sa disparition, quoique balayées d'un revers par l'hommage que lui a rendu le président de la République, qui n'a pas par ailleurs manqué, jeudi passé, d'accoler le nom du défunt Boualem Bessayeh à l'Opéra d'Alger, symbole de culture, d'ouverture et d'authenticité . Ceci dit, la plupart des critiques, voire reproches formulés par des voix malveillantes ne tiennent pas debout pour quiconque a personnellement connu le fils d'El Bayadh, ni pu cerner la sagesse de son ami de lutte Si Abdelkader El Mali, qui a voulu, me semble-t-il, couronner l'itinéraire d'un grand Homme, en guise de reconnaissance d'une carrière riche en repères et symboles. Comment rester silencieux? Pour ma part, toute autre est ma perception de Boualem Bessayeh, car on trouve dans ce débat trop d'esprits primaires, de déformations de la vérité et d'acharnement contre un geste noble en direction d'un homme qui incarnait une volonté de fierté de «l'Algérie belle et rebelle». «Les grands hommes ne sont pas grands parce qu'ils rapetissent les autres ; ils le sont parce qu'ils les rehaussent. C'est le respect pour les fortes individualités et l'enthousiasme spontané pour leur œuvre qui construisent la légende des grands hommes». (sic) «Que dire de cette source jaillissante de sagesse et de mesure, de littérature et d'art, de poésie et de finesse, de diplomatie pondérée et de politique avisée, d'expérience longue et émérite, de fidélité en amitié et de loyauté à la patrie, de vertus et de valeurs. Des qualités qui ont fait sa grandeur, une grandeur à la hauteur des missions qu'il a habilement assumées dans toutes les fonctions qu'il a occupées avec mérite», a écrit le président Bouteflika dans son message à son adresse. Même ses adversaires politiques, les plus redoutables, respectaient en lui l'homme d'Etat, le diplomate et l'intellectuel qui a toujours fasciné par «la finesse et la pertinence de son style et les thèmes qu'il choisissait en histoire». Pour ma part, je suis convaincu que c'est la fidélité aux valeurs nationales et au sens des choses et des hommes qu'il nous a toujours enseignés à Rabat qui en est la véritable armature. Constance et rigueur Tout comme il y a des principes intangibles auxquels on ne saurait toucher sans encourir les foudres des «gardiens du temple» et des «arbitres du sens commun», il existe dans l'espace public des valeurs morales, esthétiques et politiques qu'il est de bon ton de rappeler. Pour ceux qui connaissent Boualem Bessaih, la chose est moins aisée. C'était un grand Homme, un homme d'honneur et de parole, attaché à l'honneur des hommes, avec qui on ne pouvait pas rester indifférent. Je pense qu'on peut aisément considérer que sa proverbiale humilité, doublée de précision et de sérieux, lui a donné tout au long de sa vie politique, intellectuelle et diplomatique, de la consistance et de l'élégance. L'anagramme de son prénom Boualem - «Abu Al Alam», dont l'avait affublé son ami Moubarak Amazouz, ancien conseiller culturel à la présidence de la République, ne l'embarrassait pas du tout. Bien au contraire, il s'en vantait volontiers, même par écrit. Pour un écrivain de sa trempe, la modestie n'est ni quelque chose de rare ni un trait repoussant. Tout est dans l'intention. Discret et digne, il a touché à toutes les disciplines et avec bonheur : poésie, critique, cinéma, histoire -«Mohamed Belkheir, Etendard interdit», «De l'Emir Abdelkader à l'Imam Chamyl. Le héros des Tchétchènes et du Caucase», «De Louis Philipe à Napoléon III L'Emir Abdelkader, vaincu mais triomphant», «Au bout de l'authenticité, la résistance par l'épée ou la plume», - «Abdellah Ben Kerriou, poète de Laghouat et du Sahara». Il est aussi l'auteur du scénario du film historique Epopée du Cheikh Bouamama. Parmi ses autres publications : Roses de printemps et feuilles d'automne. Son dernier ouvrage, publié à l'occasion du 50e anniversaire de la Révolution, L'Algérie belle et rebelle, de Jugurtha à Novembre et préfacé par le président de la République Abdelaziz Bouteflika, se veut aussi une rétrospective des combats menés par ce peuple pour sa liberté. Pour ne citer que «Mohamed Belkheir», considéré comme un grand moment de l'histoire, et pour reprendre une formule qu'on prête à Jacques Berque, qui a préfacé le livre sur ce poète qui fut déporté en Corse, ce «chantre du courage nomade et de l'éternel désir, propose, sous la dictée des formes pures, un message de demain et de toujours» (sic). «Arabe est sa langue, raffinée sa poésie, exemplaire son combat», disait aussi Ben Badis de ce poète qui fut un valeureux combattant de la résistance des Ouled Sid Cheikh et son porte-parole. «Dès mon enfance, je connus le nom de Mohamed Belkheir. Certains de ses vers tombaient de la bouche de mon père comme des énigmes, des allusions à l'inconnu. C'était déjà l'histoire : cavaliers, épées, fusils et poudre. Le jour du marché, j'accourais, j'écoutais, et ma mémoire entremêlait tout : récits interminables et légendaires, épisodes de la vie du Prophète, évocations d'Omar le Juste et d'Ali l'Intrépide, ou encore poèmes de Ben Kerriou, amoureux et innocents, accompagnés d'une flûte naïve et nostalgique?», écrit Bessayeh à propos de son intérêt pour ce grand poète. Boualem Bessayeh n'a eu qu'une seule vocation, qu'une seule ambition, servir l'Etat algérien et par extension l'intérêt général, comme militant de la première heure, notamment comme membre du secrétariat général du Conseil national de la Révolution algérienne de 1959 à 1962, et chef de la section de contre-espionnage de la base Didouche à Tripoli en Libye en 1961, comme commis de l'Etat, comme ambassadeur dans plusieurs capitales européennes et arabes (Bruxelles, Berne, Le Vatican, le Caire puis représentant de l'Algérie auprès de la Ligue arabe de février 1971 à juin 1974, Koweït, Rabat), puis comme secrétaire général du ministère des Affaires étrangères en 1971, et émissaire du président Houari Boumediene, comme ministre, en occupant successivement l'Information, la Poste et les Télécommunications, la Culture et enfin les Affaires étrangères en 1988. A ce titre, il participe activement au sein du comité tripartite Algérie-Maroc-ArabieSaoudite, décidé par le sommet arabe de Casablanca, aux efforts déployés pour aboutir à l'Accord de Taïef qui a mis fin aux souffrances du peuple libanais, comme sénateur, au titre du tiers présidentiel, puis élu président de la Commission des affaires étrangères, comme président du Conseil constitutionnel, en septembre 2005 et comme ministre d'Etat, conseiller spécial et représentant personnel de M. le Président de la république. En pensant à lui, un ambassadeur, qu'il admire fort ne peut s'empêcher de s'exclamer: «Cet homme avait du cœur» et c'est ce qui le fait grand. S'il n'avait eu que son intelligence, nous l'eussions admiré sans doute, mais à cause de son cœur, nous faisons plus, nous le respectons. Et si nous sommes si petits devant ses semblables, c'est parce que nous avons moins de cœur. Dire ce que Boualem Bessayeh a laissé comme héritage, comme valeurs humaines, intellectuelles et professionnelles, nous ses disciples, montre qu'il fut et demeurera l'un des porte-flambeaux de cette catégorie d'hommes qui n'ont d'autre ambition que celle de «retracer le parcours des épopées successives de notre peuple et de saluer avec admiration les personnages qui en ont été les artisans et les meneurs». Un modèle pour les générations futures L'autre hommage que je veux lui rendre, consiste à faire revivre l'atmosphère des années passées à ses côtés, sous sa direction. Il fut à la fois un ambassadeur, un penseur, un nationaliste respectueux et respectable et un guide. «Par ces qualités, il demeurera un exemple pour les générations et un modèle à suivre dans la fidélité au serment», a soutenu le président Bouteflika. «Aujourd'hui que s'éteint cet esprit vivace, nous ne pouvons que nous résigner devant la volonté d'Allah», a écrit encore le président Bouteflika. S'il conservait une renommée d'homme de plume, entretenue d'abord par la qualité de son «œuvre», c'est parce que ce natif d'El Bayadh se gardait de confondre ouvertement la culture et le monde de la gouvernance. Au vu de ses talents multiples (notamment son doctorat ès lettres et sciences humaines, ses actions ne pouvaient qu'être diverses et dans lesquelles il se distingua remarquablement, à tel point qu'à lire son dernier livre, l'on serait tenté de lui attribuer la «perfection». Diplomate hors pair, le docteur Boualam Bessayeh avait bien raison en disant «Si Bouamama était une personnalité légendaire, il n'en était pas moins un résistant farouche et un combattant héroïque, habillé de son Burnous tel un cavalier du Sahara, ce Sahara qu'il aimait tant, qu'il a défendu jusqu'au dernier souffle de sa vie et qui a longtemps été pour lui une source de méditation et de contemplation, entre la prière et le combat, le silence du sud et le tonnerre des canons». En terminant cet hommage rendu au fils d'El Bayadh, cette terre algérienne qui l'a vu naître, je pense à El Moutanabi, traversant le désert, reprenant courage face aux brigands, à la voix de ses compagnons lui récitant ses vers : «Les chevaux et la nuit et les déserts semés d'embûches Me connaissent Et les combats et les coups, et le papier et la plume». C'est cette vérité portée par Boualem Bessayeh durant toute sa vie qui fait réconcilier l'autre avec son être, avec sa communauté, et avec l'histoire dans la confiance retrouvée. |
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