|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
Le dossier
«éducation nationale» est parmi les dossiers complexes, en difficulté, du
gouvernement. C'est un dossier délicat, sensible, et passionnant à la fois si nous
considérons l'Ecole comme un lieu d'éducation et de formation à la citoyenneté.
L'éducation nationale est considérée comme un passage obligatoire de l'enfant et de l'enfance (scolarité obligatoire de 6 ans à 16 ans en Algérie). Avec une espérance de vie de 70 ans, nous en passons près du quart à l'école ; 14 ans de vie scolaire sans compter les années du préscolaire ou de la maternelle. Ce sont autant d'année de construction de la personnalité de l'enfant et de son développement langagier et cognitif. Quoi qu'il en soit, l'enfant aborde l'école avec ses traits de personnalité acquis dans le milieu familial et social. L'enfant arrive à l'école - plus ou moins bien, selon son environnement -, préparé aux règles de la scolarité et de la vie scolaire par son entourage. Certes, en principe, tout enfant grandit par l'éducation qui favorise le développement et l'autonomie : l'éducation accompagne le développement jusqu'à l'autonomie de l'enfant. La psychologue algérienne Nefissa Zerdoumi dont les travaux portent sur l'éducation traditionnelle de l'enfant algérien durant les années 70, qualifie l'enfant comme un être en formation : «?son esprit est instable, sa pensée est influençable, ses opinions verbales sont souvent conventionnelles, sa personnalité imprégnée par l'ambiance familiale ne s'en sépare pas aisément» (Zerdoumi, 1982 : 213). Nous pouvons comprendre l'impact de l'éducation traditionnelle sur lal scolarité de l'enfant, sans pour autant dire aujourd'hui si l'éducation actuelle est plus libérale, plus sécurisante, plus propice à l'autonomie, ou pas. En outre, nous pouvons avancer que la nouvelle Ministre de l'éducation nationale est bien placée - de par sa formation et de par sa fonction - pour appréhender la problématique de la société et de l'éducation algérienne. L'école algérienne est passée par des périodes de construction/déconstruction/reconstruction, des transitions, des tensions, des gestions, des succès, des échecs, ?des réformes et des refontes du système éducatif. En didactique, " apprendre par l'échec, apprendre par l'erreur " n'est pas un échec, c'est une étape de construction, voire une reconstruction issue du modèle socioconctructiviste (Vygotski, 1930/1985, 1997), d'où l'actuelle approche par compétences basée sur la construction du savoir - par opposition aux modèles transmissifs passifs -, des savoirs transversaux et pluridisciplinaires, la centration sur l'apprenant, la médiation, la réflexion devant une situation-problème, l'agir, la tâche (d'apprentissage et/ou sociale), l'évaluation et l'autonomie. Mais lorsqu'une société entière subit un échec, comment y remédier ? Une prise de conscience de la population face aux changements institutionnels est un pas de remédiation. Aujourd'hui, la reconnaissance des langues nationales à l'école - l'arabe dit " standard " depuis l'Indépendance, le tamazight, bien tardivement, depuis 2002 -, pourrait déclencher la reconnaissance des langues maternelles à l'école, et c'est là que l'Ecole effectuerait un travail de socialisation et de passerelle avec la famille, les espaces publics et les lieux de cultes. Les valeurs institutionnelles sont des valeurs culturelles, langagières avant d'être économiques et/ou idéologiques. Il faudrait comprendre l'Histoire de l'Algérie pour comprendre la problématique de l'éducation en Algérie dans son état diachronique et même synchronique : l'Algérie, colonie romaine, byzantine puis ottomane, ensuite française, enfin pays indépendant, a vécu durant les cinquante dernières années après la décolonisation le passage d'une société traditionnelle dans ses structures mentales, sociales et économiques, à une économie et une société fondées davantage sur les richesses minières que les richesses agricoles avec une industrialisation accompagnée d'un déplacement des populations vers les villes. A partir de cela s'est forgée une élite algérienne nourrie à partir d'un substrat de culture à la fois industrialo-pétrolière et un mode de pensée de type militaire, plutôt que sur le principe de méritocratie proprement dit. Pierre Bourdieu et Abdelmalek Sayad (1964) analysant la situation d'un point de vue sociologique, parlent de " déracinement " ; celui-ci vient s'ajouter aux traumatismes de la colonisation et de la guerre de libération - avec un fond historique long de colonisations millénaires -, et cela surtout pour les populations les plus fragiles économiquement et culturellement. De quoi souffre notre Ecole d'aujourd'hui ? Et qu'en sera-t-il demain ? De quoi souffrent nos enfants ? Le démographe algérien Kamel Kateb analyse la situation d'un point de vue démographique ; la contrainte principale selon lui est l'inadaptation et l'insuffisance des infrastructures, le manque de formation face à l'explosion démographique : «Le système éducatif algérien a été finalement réduit à la gestion des flux de plus en plus nombreux d'enfants à l'entrée du système et à les accompagner jusqu'à la sortie pour répondre à l'obligation scolaire légale jusqu'à l'âge de 16 ans. En fin de compte, sa fonction s'est pratiquement limitée à la gestion des flux comme le montre l'adoption des quotas comme mode principal de progression au détriment du niveau d'acquisition des connaissances dispensées " (Kateb, 2005 : 195). Progressivement, le quantitatif a pris le dessus sur le qualitatif à l'école algérienne, mais pas seulement. Les politiques linguistiques éducatives, notamment avec l'élaboration des curricula et des référentiels en enseignement, en apprentissage et en évaluation, ont pris beaucoup de retard à cause de l'instabilité et du désagrément qu'a causés la décennie noire des années 90, par laquelle le pays est passé. Cette reconstruction a commencé avec la réforme de l'éducation nationale (cf. le programme PARE, MEN avec l'UNESCO, 2005, 2006) ; celle-ci a mis l'accent sur l'approche par compétences dans toutes disciplines confondues, sur l'importance de la langue de scolarisation et des langues étrangères. Mais dans les faits, cela reste insuffisant si nous nous comparons à l'échelle internationale où les écoles préparatoires européennes, à titre d'exemple, refusent de prendre des bacheliers algériens. Ces étudiants échouent dans les concours d'accès, avec un niveau généralement insuffisant en disciplines et en niveaux de langues, contrairement aux étudiants marocains et tunisiens qui réussissent ces tests de positionnement et ces concours d'entrée, et donc remplissent les bancs de ces écoles d'élite. Il est peut-être temps de réfléchir à donner aux langues maternelles - langue(s) de première socialisation - algériennes leur espace en classe dans la scolarisation initiale pour un bi-plurilinguisme favorable à l'évolution cognitive et langagière de l'enfant (cf. projet de recherche CRASC d'Oran " Pour une éducation au plurilinguisme dès l'enfance ", 2012-2015), et d'ouvrir des classes de section internationale si l'on veut s'ouvrir à la productivité et à la compétitivité selon le modèle LMD, auquel l'Université algérienne adhère. Le ministère de l'éducation nationale ne peut travailler et agir seul pour relever un tel défi ; il a besoin d'autres partenaires socio-économiques clés pour le développement et le progrès du citoyen et du pays, à leur tête le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique qui accueille chaque année des étudiants de " l'éducation nationale ", et des enseignants nouvellement recrutés venus essentiellement de " l'éducation nationale ". L'enseignement supérieur est devenu le à la fois le miroir et le réceptacle de l'éducation nationale. Le ministère de l'éducation nationale pourrait renforcer la formation générale du cycle secondaire par ouvrir des filières de baccalauréat professionnel d'accès à l'emploi et au marché du travail en partenariat avec le ministère de la formation et de l'enseignement professionnels. Il serait peut-être judicieux de réfléchir à une coordination adéquate entre le cycle secondaire, l'enseignement professionnel et supérieur. A ce titre, la restructuration, voire la mise en commun d'une passerelle entre l'enseignement secondaire, professionnel et supérieur, serait une bonne alternative qui devrait déboucher sur une plus large coordination et corrélation entre ces terrains d'apprentissage, de formation et d'accompagnement à l'emploi. Enfin, nous travaillons et nous collaborons tous au service de l'apprenant ! Bibliographie Bourdieu, Pierre & Sayad, Abdelmalek (1964) : Le déracinement. La crise de l'agriculture traditionnelle en Algérie, éd. de Minuit, Paris. Kateb, Kamel (2005) : Ecole, population et société en Algérie, éd. l'Harmattan, Paris. Vygotski, Lev (1997) : Pensée et langage, éd. La dispute, Paris. Zerdoumi, Nefissa (1982) : Enfants d'hier : l'éducation de l'enfant en milieu traditionnel algérien, éd. François Maspéro, Paris. * Dr en sciences du langage (Université de Mostaganem, Chercheure associée au Crasc d'Oran) |