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Les deux jeunes recrues, Nourredine Djaballah et Athmane Benaziez,
anciens fonctionnaires des Contributions diverses sont maintenant en face de
Mohamed Chabani, commandant en chef de la wilaya VI.
Leur accompagnateur et recruteur, n'est autre que Mohamed Tahar Khalifa alias Hamma Tahar, responsable politico militaire de l'époque. Ces citadins n'avaient aucune idée sur les difficultés qu'ils allaient rencontrer, ni des dangers qui les guettaient à tout instant. Après la longue marche qui les a conduits des Houamed (Romana) à l'est, à El Homrania au nord ouest de djebel Messaâd sur une cinquantaine de kilomètres, l'aventure qu'ils croyaient épique ne l'était déjà plus. Accoutrés de vieilles nippes, ils empestaient déjà, l'odeur de fumée de genévrier et les relents âcres du purin du seul mulet qu'ils enfourchaient, par alternance, tout au long du périple. Le Sagh Tani (colonel) Si Mohamed, après leur avoir souhaité la bienvenue, les entretint longuement sur la rude vie du maquis. Il leur avoue que les temps sont durs ; si le ravitaillement des troupes était plus ou moins assuré par la large contribution de la population, l'armement posait de sérieux problèmes. Il proposait aux deux jeunes recrues des études en Tunisie. Les deux nouveaux maquisards, déclinèrent poliment l'offre et demandèrent qu'ils soient affectés à des unités combattantes. Athmane fut affecté comme secrétaire auprès de Ahmed Benammar(Aksa) responsable de la kasma 51(Houamed et Bou Saâda) et Nourredine auprès de Abdeldjabar Benmadani, responsable de la kasma 53 (djebel Messaâd). Dotés chacun d'une tenue de combat et d'un P.A, ils suivront séparément leur destinée. Comment en sont- ils venus à la décision de rejoindre le maquis ? Noureddine, du haut de ses 72 ans, porte encore dans son regard pétillant, cette folie de jeunesse qu'il ne s'explique pas encore. Issu d'une famille aisée, son père était fonctionnaire, il eut même la chance de «dégotter un job pénard» à une centaine de mètres de chez lui, prend un jour de septembre 1961, la décision de rompre cette «vie de nabab» pour foutre le camp. Il venait il y a, à peine un an, de convolait en justes noces avec une belle jeune fille de noble extraction. Il faisait partie, en 1952, de la première fournée de médersiens du tout nouveau lycée Franco-musulman d'Alger sis à Ben Aknoun. Après une brillante scolarité de près de quatre années au cours desquelles il est primé en fin d'année, il quitte le lycée au lendemain de la grève des cours de mai 1956. Abdelatif Mokhtar, ainé de la petite colonie de lycéens, leur recommanda de rejoindre «L'bled» en rangs dispersés pour éviter les rafles policières. Erigé en plein campagne, le lycée était relativement distant du tissu urbain ; il fallait surtout éviter Châteauneuf où la Garde Mobile était cantonnée dans les garages de la T.A (Transports algérois). Mokhtar ne fit plus parler de lui ; il ralliait le maquis de «Gouégaâ» en compagnie de Mohamed Attig en wilaya VI. Mohamed Baza, faisait de même à partir du lycée de Blida ; il rejoignait le maquis en wilaya IV. Ils tomberont, tous trois, au champ d'honneur. Rentré chez lui, Noureddine trouvait une occupation chez Abelkader Hattab communément appelé Belhafnaoui, un petit négociant de la place Canrobert (Ramlaya) ami de son père. De là, il put voir à plusieurs reprises Ziane Essed activiste connu pour être l'agent de liaison attitré du maquis environnant. Il fréquentait la «Maison de la Datte» tenues par Tayar et Messaoudi. Ce dernier qui était en accointance avec les «frères» du Djebel, recevait fréquemment Si Ziane. La tentative d'approche de Nourredine avec le rusé moussebel fut infructueuse ; ce ne sera qu'en 1961 que le contact sera rétabli par le dernier nommé. A la rentrée scolaire 1956/57, on demandait aux grévistes de reprendre les cours. Noureddine comme beaucoup d'autres, reprit le chemin du lycée. Certains d'entre eux et à leur grande surprise, reçurent en guise de représailles leur ordre d'appel sous les drapeaux. Après une vaine démarche auprès de M.Hadj Sadok, proviseur du lycée par l'entremise de M.Rachid Oussedik, alors surveillant général, Noureddine rejoignait le contingent de la classe 1957 2 A pour une longue incorporation en «Métropole». Il achevait les deux mois restants de son service militaire à Hussein Dey. Au sortir du service armé, il réussit à trouver un emploi. Son père postier à cette époque à Chéraga, lui trouvait du travail dans l'administration des Impôts. Et c'est à partir de là qu'il demandait et obtenait sa mutation sur la Recette de Bou Saâda où il était affecté avec son collègue Athmane à la perception. Par leur qualité de guichetiers, ils devenaient des personnages importants et pour cause, ils manipulaient de l'argent. Ils avaient subséquemment la confiance de M. Such, le receveur, qui leur confiait même les clés du coffre fort. A la fin de septembre 1961, le 27 plus exactement, Ziane Essed faisait son apparition à la Recette. Il demandait discrètement à Nourredine d'aller au verger de Amar Benkheira (Kheidri) qui jouxte le sanctuaire de Sidi M'Hamed Ben Brahim, là, où est inhumé l'Emir El Hachemi. A la pause de midi, Nourredine frappait à la porte du jardin ; il y trouvait à l'intérieur de la maisonnette enfouie à l'intérieur de la végétation, quatre personnes. Il ne connaissait du groupe que M'hamed Belaouissi (Boutchicha) célèbre par ses actions d'éclat de «fidai». Hamma Tahar, le chef, n'avait pas besoin d'être présenté ; reconnaissable à son teint blond et ses yeux bleu vert, on pouvait facilement le confondre avec un Européen. L'autre baraqué, n'est autre que Mohamed Bensalah Benmadani, intrépide baroudeur, le quatrième avait pour prénom, Ameur. Impavide, ce groupe de choc tenait, en plein jour, sa réunion à portée de voix d'une forte garnison. A travers l'entretien qui ne dura que quelques minutes, Nourredine comprit que l'on demandait, ni plus ni moins, l'argent de la Recette. Pour ce faire, comment procéder pour l'attaquer, lui demandait impromptument le chef. Il dissuadait le groupe pour toute action violente et qui ne serait pas sans danger. Il se proposait lui-même de procéder au «casse» tout en regrettant que la cagnotte de ce jour ne soit que la moitié de celle de la veille, soit 12.000.000 de cts. Il proposait à ses commanditaires, de s'adjoindre un «acolyte» en la personne de son collègue Athmane Benaziez qu'il n'avait pas encore mis au «parfum». Son autre collègue Said Dzib, plus jeune, avait été écarté pour charge de famille. De retour au bureau, il obtenait, sans hésitation, l'accord de son collègue qui rencontrera le groupe, cette fois ci, chez Chaoui Smain. Leur transbordement, après le coup «fumant» sera assuré par Mohamed Kacimi à bord de sa «Simca Aronde». Nourredine n'informait de sa prochaine fugue que sa jeune épouse ; Athmane quant à lui, aurait été vu entrain de faire d'insolites emplettes chez Si Aissa Hanafi. Son jeune cousin, intrigué, le voyait acheter des aiguilles et du fil à coudre ainsi que des rasoirs. Le lendemain, l'atmosphère était lourde et le risque incommensurable. A l'heure de la pause, le receveur rejoignait son logis attenant à la Recette pour son déjeuner et sa sieste habituelle. Les deux complices, vidèrent le contenu du coffre dans leurs cartables de percepteurs. Les deux plantons qui pressentaient quelque chose d'anormal, quittèrent les lieux prestement. Au sortir du bureau, Nourredine et Athmane, mettait irrémédiablement les pieds dans l'inconnu. Prenant le chemin touristique, ils adoptèrent une démarche des plus naturelles; ils avaient toujours l'habitude de partir ainsi en tournée de perception. Passant nonchalamment près de la cité militaire, ils se dirigèrent sur l'école de garçons du Plateau près de laquelle rendez vous était pris avec leur «passeur». Arrivés sur les lieux, point de voiture, quelque peu désemparés, ils allaient adopter une autre attitude. A ce moment même, Kacimi déboulait avec son «Aronde» et sous le crissement de pneus fit une manœuvre giratoire pour les prendre à son bord. Ils s'engouffrèrent sans un mot dans la voiture et prenaient la route de Romana à 20 minutes de là. Ils traversaient non sans témérité insolente, le barrage militaire du commandement de l'hôtel «le Caid». Le remuant Hamma Tahar les recevait dans sa «tanière» des Houamed. C'est comme cela que les deux compères furent mis, en ce 28 septembre 1961, face à Mohamed Chabani. Très modeste et peu prolixe, sur ses faits de guerre, Nourredine se rappelle encore de la bataille de N'Sinissa qui s'est déroulée en janvier 1962. Les katibas de la wilaya VI en conclave se jour là, étaient prises sous le feu croisé de l'aviation et des blindés. Elles décrochaient au crépuscule sans aucune perte humaine ; il faut dire aussi, que compte tenu de la disproportion des forces en présence, l'encadrement très expérimenté, réussit à soutirer ses hommes d'une hécatombe certaine. La longue marche nocturne qui s'en suivit, fit égarer Nourredine dans la désolation. S'étant légèrement assoupi sur une touffe d'alfa, «El Djeich» partait sans lui. Ce n'est que le lendemain qu'il réussissait à rejoindre son unité. Sombrant encore dans un sommeil profond, il fut réveillé par une vive douleur au bras ; il venait de découvrir qu'il était allongé dans une séguia, le corps à moitié immergé. En contre bas, il entendait un tumulte, se mettant à l'abri d'une crête rocheuse, il découvrait un casernement ennemi ; c'était le campement de Bou Mellal à une cinquantaine de kilomètres de son point de départ. Deux jeunes nomades qui passaient à proximité, craignant l'infiltration par la partie adverse, lui déclinèrent toute assistance. Quelques instants après, Abdeldjabar Benmadani, son chef, lui envoyait du café chaud et des galettes. Il avait compris que les deux bergers en dépit du refus qu'ils lui opposèrent, ont néanmoins averti sa hiérarchie. Ainsi s'achève, l'histoire de Nourredine Djaballah qu'il qualifie lui-même de banale et du défunt Athmane Benaziez. Ils n'avaient, tous deux, qu'un peu plus que la vingtaine?l'âge de la belle déraison. |
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