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2ème partie
Le président a demandé des explications, mais nous n'avons jamais eu de suite. [...] Chadli avait discuté de la torture avec la LADH [Ligue algérienne des droits de l'homme] de Brahimi. Les choses sont restées en l'état et les enquêtes n'ont pas abouti. [Les tortures] ne sont pas le fait des unités de l'armée.» ( Larbi BELKHEIR, in Sid Ahmed SEMIANE (dir.), Octobre, ils parlent, pp. 111-126). Autant d'interrogations empreintes de suspicion, soulevées un peu partout, dans la presse étrangère et par quelques rares voix algériennes locales, tentant de deviner qui sont derrière ces actes ignobles ?. Ainsi, Frédéric Fritscher, du journal Le Monde qui écrivait : «Où étaient donc les forces de police, ce mercredi [5 octobre, premier jour des émeutes] ? Elles avaient reçu des instructions précises. Même les agents de circulation avaient déserté les carrefours. Comme si tout était prévu, à défaut d'être orchestré. Qui avait donc bien pu, mardi soir [4 octobre], prévenir certains commerçants de la rue Didouche-Mourad, en leur conseillant de laisser leur rideau baissé le lendemain ? Qui étaient ces adultes à l'air sévère et décidé qui guidaient, mercredi matin, ces hordes déchaînées dans Alger, ville ouverte. Si nous avions entendu parler des uns, nous avons vu les autres ! Fallait-il donc en arriver à cette extrémité pour pouvoir en appeler aux militaires et décréter, le lendemain, l'état de siège ? Qui étaient ces civils en jeans, baskets et blousons de cuir qui, au milieu des manifestants sortaient soudain un pistolet et ouvraient le feu ? Qui étaient ces cinq hommes en civil montés sur le plateau arrière d'une 404 bâchée qui ont tiré sur la foule à Kouba ? Qui étaient encore ceux qui, à bord de voitures de sociétés nationales, lâchaient, ici et là, quelques rafales d'armes automatiques ?» (Le Monde du 15 octobre, par Frédéric Fritscher). Coté presse algérienne, qui était bâillonnée et pour ne citer qu'un titre rapportant les échos d'un débat, lors d'une table ronde organisée en décembre 1988, dans les locaux de l'ex revue «REVAF», la publication restitua les propos d'un participant témoignant sur les journées mouvementées, qui évoquera de go : «Il y a eu (...) un travail de sape. Certains éléments ont encadré les jeunes durant la tragique semaine d'octobre. Par exemple, les jeunes déferlant devant le Ministère des Transports, ont été stoppés par un adulte qui leur a ordonné de saccager la vitrine de l'institution et de la Banque à coté. Au- delà des causes fondamentales, il y a, manifestement, manipulation par des gens armés qui ne se sont pas gênés de tirer sur les enfants comme ce fut le cas à Cheraga. C'était la provocation pour faire soulever la population - ce sont des gens qui avaient pour mission de déstabiliser le pays»( Débat : Cartes sur table, in Révolution Africaine n° 1291du 02 décembre 1988). Pour en revenir aux émeutes, ces dernières qui se sont ébranlées le 5 octobre à Alger, connaissent un répit au soir du 7, l'état de siège ayant été décrété et le couvre-feu relativement respecté. Ce qui permet aux hommes de l'ANP de vite déployer ses importants contingents militaires et se préparer à toutes éventualités. Certains observateurs auraient vu d'un oeil louche «un tel déploiement de moyens, dépêchés de si loin, (...) intervenu que pour faire fuir de vulgaires pillards et quelques lycéens déchaînés», considérant l'opération, «de surcroît, pour justifier la neutralisation du FLN et le maintien au pouvoir du président Chadli, celui-ci «devant» apparaître comme pliant sous la pression de la rue, «concédant» la démocratie pour préserver le pays d'un désastre». Comme quoi, ces interprétations tendent à justifier « la présence du corps d'armée pro - Chadli (contesté par les factions rivales) sur le terrain» pour l'appuyer énergiquement ! D'autres commentaires n'ont pas manqué de relever le recours de Chadli, dans un moment de désarroi, aux conseils du président Français M. Mitterrand, et dans ce contexte, le choix sollicitant le concours du général Khaled Nezzar, un ex- du corps d'armée française, ne semble pas du tout fortuit ! D'autant plus que l'Hexagone ne voyait pas d'un mauvais oeil l'émergence d'un nouveau régime expurgé de l'héritage Boumediéniste, alors que, selon divers échos de presse, les stratèges du Royaume Uni guettaient l'émergence d'un pourvoir islamiste théocratique à Alger vers lequel ils se rueraient aussitôt pour sceller «d'excellents rapports de coopération privilégiée !» Sur le terrain des opérations proprement dites, tout semble témoigner de la mise en chantier d'un plan de manœuvres, «rigoureusement exécuté par des équipes qui agissent depuis une cellule de la Présidence», rapporte-t-on. Cette cellule, pour accélérer la bonne marche de ce plan, ( celui secret que le nouveau patron de la redoutable sécurité militaire, Mohamed Betchine, - en remplacement de l'ex boss Lakhal Ayat, démis de ses fonctions, en même temps que Mohamed Chérif Messadia le n° 2 du FLN, - croit savoir dénommé «plan Potemkine»), ira jusqu'à «instrumentaliser un courant politique d'opposition qui, loin d'avoir été à l'origine des émeutes, n'avait fait que «prendre le train en marche: l'islamisme radical» ( Larbi BELKHEIR, in Sid Ahmed SEMIANE (dir.), Octobre, ils parlent, pp. 111-126). De même qu'un Coordonnateur des services de sécurité à la Présidence, est-il rapporté, «prend langue avec les leaders islamistes et leur demande d'organiser une manifestation pour ramener le calme» ( Medjdoub LAKHAL AYAT, in Sid Ahmed SEMIANE (dir.), Octobre, ils parlent, p. 132). Ce qui concourut à ramener un certain calme, avec notamment la cessation de scènes de pillage, l'évitement des incendies des édifices publics, la sédition sociale se muant en... «manifestations islamistes» ! Mais, après qu'une première marche s'est déroulée sans heurts, tout allait basculer par la suite : précisément à partir du 7, et les 8 et 9 octobre, c'est l'escalade : «d'étranges provocateurs en civil sillonnent les manifestations islamistes et tirent dans la foule» ( Cf. Fréderic Fritscher, Le Monde, 15 octobre 1988). Ceux -là mêmes qui, depuis le commencement des troubles, sillonnaient dans des véhicules banalisés les points chauds de la capitale, tirant et sur la foule et sur les représentants des forces de l'ordre, cherchant visiblement l'embrasement général. Ce qui, bien entendu, a contribué à ajouter de l'huile sur le feu, poussant les insurgés à s'en prendre, rageusement à tout ce qui symbolise l'institution de l'État, la réplique suscitée des militaires embusqués fauchant ,alors, plusieurs centaines de jeunes manifestants... Ce qui importait, surtout pour les calculateurs tapis dans l'ombre, c'était bien évidemment le bon déroulement de leur machination, exploitant habilement toutes manœuvre susceptibles de canaliser la furia déchaînée des islamistes en direction de «l'obstacle gouvernement - conservateur et ses alliés» pour inciter à le décrier publiquement et le rejeter massivement, facilitant et justifiant, de la sorte, la velléité de sa liquidation politique officielle, pour servir, évidemment, les parties occultes tirant profit de l'opération. Cependant, et tenant compte de nombre de considérations et détails d'échos de presse et avis divers qui se recoupent, vraisemblablement, certains hauts responsables, n'étaient pas au courant des stratagèmes secrètement déployés, déplorant sincèrement les effroyables bains de sang, comme l'a publiquement regretté Chadli Bendjeddid, visiblement non mis au parfum de certaines manoeuvres souterraines de son propre staff. Cette préoccupante question de heurts sanglants et de répression traumatisante, fort embarrassante pour les animateurs du plan dénommé «Potemkine» (?) attelés surtout à l'exécution, coûte que coûte, de leur machination, ces derniers ne pouvaient, tout au plus, que tenter d'en limiter les dommages occasionnés. Leur principal souci consistant , en cette étape opérationnelle, à impulser une autre tournure aux évènements: c'est-à-dire accroître de l'ampleur de l'»islamisation» de la révolte qui n'apparaît pas, au début de façon évidente aux yeux de la presse étrangère qui couvre les événements. Ceci en vue de l'exposition d'un semblant de rapports de forces agissant sur le terrain, tendant à avertir ou dissuader, vraisemblablement, l'armada du camp adverse FLNiste conservateur pour tétaniser toute tentative de réaction de sa part. En dressant, notamment en face de lui, l'épouvantail de cette autre présence de force «publique», qui le rejette totalement, et qui est à même de s'opposer «massivement» et «durablement» à son règne perdurant. Autrement dit, «force populaire», et «islamiste puissante» anti-FLN, légitimant «solidairement» le vœu de renouveau idéologique libérateur, en s'affichant, apparemment, ouvertement du coté de leurs adversaires, de surcroît : les réformistes, accréditant, ainsi du coup, la thèse (évidemment leurrante ) du soutien de la rue au train des réformes envisagées, et ce, dans le but de rallier aux projets des partisans du changement, la majorité des cadres apparatchiks hésitants et isoler les têtes dures, afin de les évincer, le moment venu, en catimini, et le tour est joué !... Le manœuvre tendant à donner «un cachet islamiste à la révolte» s'annonçait dès lors fructueuse, apparemment, puisque les islamistes secrètement contactés par les architectes des chamboulements en cours, n'allaient pas tarder à réagir pour faire entendre «pacifiquement» leurs voix dans les rues, comme «cela leur avait été demandé» par les «tireurs de ficelles», redoutant les fâcheuses dérives et leurs répercussions Et ce d'autant plus qu'il fallait «faire gaffe» face aux débordements imprévisibles du bouillonnant Ali Benhadj futur numéro 2 du FIS ( Front Islamique du Salut qui naîtra plus tard à la faveur de la loi sur les libres associations à caractère politique), et qui la veille du 10 octobre, «légitime dans un prêche la révolte des jeunes - l'une de leurs demandes est de pouvoir récupérer les corps de leurs proches abattus. Il les invite à manifester le lendemain à partir de la mosquée de Sidi-M'hammed (Alger). Mais une cellule de crise réunie autour du cheikh Ahmed Sahnoun, l'un des leaders historiques de la mouvance islamiste, flaire la provocation. De fait, des hommes armés seront repérés parmi les manifestants, comme en attestera notamment le journaliste Abed Charef»( Cf. Abed CHAREF, Octobre 1988, le Grand Dérapage, p. 3). Le bulletin du CCU ( Comité de Coordination inter- Universitaire d'Alger Centre, rapporte dans in témoignage sur la journée du 10 octobre : «A l'appel de Ali Belhadj des milliers de citoyens (jeunes, vieux, femmes) se rassemblent à Belcourt, les jeunes des quartiers Nord Ouest (Casbah, Bab El Oued, Bologhine, Soustara) entreprennent une marche silencieuse et pacifique vers Bab El Oued. Au niveau du siège de la DGSN, un franc tireur ouvre le feu, l'Armée riposte en mitraillant la foule, bilan : 36 morts.», « (...) l'état de siège est levé le 12 octobre . Vient ensuite l'heure des bilans : 179 morts sont dénombrés officiellement, plus de 500 morts d'après les Algérois, des milliers d'arrestations et les personnes libérées témoignent des tortures subies.» (Cf. Bulletin de liaison du Comité de Coordination inter- Universitaire région Centre n° 1, Alger 1988). Autre témoignage sur la fusillade à Bab El Oued qui fait plusieurs morts: selon El-Hadi Khédiri, il y aurait eu «un coup de feu, provocateur tiré de la foule islamiste», mais on n'a jamais pu le prouver. Mais force est de constater que ces « coups bas», qui rappellent curieusement ceux des « tirs perfides à l'improviste des mystérieux véhicules banalisés», ne sont pas sans servir, vraisemblablement, les desseins obscurs des «concocteurs» attitrés d'un plan démoniaque visant à amener les islamistes en première ligne, pour justifier, par là- même, a posteriori, l'initiative de l'état de siège, «condition sine qua non de la favorisation, en sourdine, du changement de fusil d'épaule pour la nouvelle équipe du pouvoir (et les redistributions de cartes) qui pourrait désormais se passer du bureau politique du FLN, placé hors jeu. Et last but not the least, on se chargera de retourner, par la suite, les furieux manifestants s'attaquant aux symboles de l'Etat et du parti FLN, à un apaisement relatif en leur annonçant, publiquement, des promesses de renouveau social... Le discours historique de Chadli du 10 octobre Les lendemains immédiats des émeutes des premières journées d'octobre s'ouvrent sur le constat horrifiant de centaines de morts, les chiffres officiels minimisant manifestement le nombre véridique des jeunes infortunées victimes de la tragédie qui ont crié le ras le bol de leur mal vie, poitrines nues face aux canons faucheurs du rouleau compresseur des forces de l'ordre. L'émotion de la population indignée est à son comble, l'angoisse est insoutenable, devant le spectacle désolant d'un massacre qui aurait pu être évité, l'ampleur du désastre s'observant également dans les hôpitaux et les établissements de santé, les Algériens atterrés, implorant le ciel pour que cesse au plus vite le cauchemar incroyable auxquels ils ont assisté, impuissants, n'en croyant pas leurs yeux : ils ont vécu jusqu'ici pour voir non pas se réaliser les promesses de progrès, de développement d'une Algérie pourvoyeuse d' un avenir radieux pour leur progéniture mais pour voir, hélas, l'Armée Nationale Populaire (ANP), héritière de la glorieuse Armée de Libération Nationale (ALN), tirer sans état d'âme sur leurs malheureux enfants laissés pour compte!!!... Devant la colère populaire, le fiasco général et la tournure tragique qu'avait pris l'ampleur catastrophique des émeutes, l'opprobre jeté sur les dirigeants défaillants, et la révolte qui menaçait de s'attaquer à tout moment, à tous les membres de l'appareillage du système, sans exception, conservateurs et partisans des réformes, une réunion des hauts cadres décideurs de la nation, fit convoquée d'urgence. Et dans ce contexte particulier de tensions, de dérouté et de désarroi du président, des voix d'intervenants s'élevèrent, entre autres celle du général Benyelles, selon l'ouvrage « Sanawat el fawdha wa el djounoun» ( Les années d'anarchie et de démence) de l'universitaire Mohamed Khodja ), pour suggérer au chef de l'Etat de présenter sagement sa démission et d'annoncer des élections présidentielles, après l'intervalle de 45 jours d'intérim, assuré par le président de l'Assemblée Nationale. Ce que Chadli semblait résolu à entreprendre «si cela devait servir à ramener l'accalmie sociale», selon lui. Et c'est dans ce contexte pesant, qu'au soir du 10 octobre 1988, à 20 heures, le président Chadli prend la parole sur l'unique chaîne de télévision du pays, commençant par son faire part et son regret devant les pertes humaines et dégâts immenses à travers Alger et les autres villes d'Algérie gagnées par la furia des émeutes, pour interpeller, par la suite : « A qui profite tout ceci ? Pourquoi toutes ces destructions des biens publics du peuple?...». Il justifie dès lors l'état de siège qui s'imposait ne disposant pas d'autre moyen dissuasif efficient que celui du recours à l'intervention de l'armée, affirmant sur un ton pathétique ne pas comprendre que les manifestants aient pu saccager des lycées et des centres de santé... Et alors que certains caciques s'attendaient à ce que le président annonce sa démission devant les caméras de la télévision, coup de théâtre ! Chadli, met de coté son propos attendu, et sort de la poche gauche de sa veste un «autre discours», concocté par le staff Hamrouche selon Mohamed Khodja, et poursuit, avec un peu plus de résolution les lignes - forces de cette autre «feuille de route», commençant par rappeler, au préalable, qu'il n'avait pas voulu de ce poste en 1979 lorsqu'on l'avait sollicité la première fois pour la magistrature suprême. Et invitant tout le monde à ne pas croire ceux qui tenteront de «dénaturer» son intervention en la «prenant pour le début d'une campagne électorale prétendant à un troisième mandat», il exhortera, pour la circonstance, les citoyens à le soutenir «en cette étape difficile», pour la «patrie, pour la Révolution et pour le peuple». En contre-partie, il promet d'engager une lutte inlassable contre la hausse exorbitante des prix des produits de consommation et à assurer leur disponibilité sur le marché, indiquant que «des mesures ont été prises dans tous les domaines au profit des (...) revenus bas [et] de la jeunesse». Mais ce qui a particulièrement retenu l'attention des Algériens dans le discours présidentiel, c'est cette petite phrase selon laquelle «on ne peut procéder à des réformes économiques, agricoles, éducatives et administratives sans aborder les réformes politiques, [qui] seront soumises prochainement». A suivre *Auteur indépendant de textes journalistiques, dramatiques et littéraires ( éditeur de l'ex-magazine culturel bilingue indépendant «Tassili Star» (1999 - 2001). |
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