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Récemment, dans un
sondage d'opinion sur le niveau de l'école réalisé par l'institut Ecotechnics
et publié par le journal El Watan du 07-08/10/2009, un chiffre m'a particulièrement
interpellé concernant le taux des sondés de 59% qui sont favorables à
l'enseignement des matières scientifiques en français.
Bien que la technique de sondages d'opinions soit très utilisée dans divers pays sur un tas de questions de la société, on ne pourrait en principe sonder l'opinion des gens que dans la limite de leurs compétences. On peut par exemple sonder leur opinion sur la qualité des prestations de services publics (administration, poste, hôpitaux, banques etc) ou sur la qualité de gouvernance des pouvoirs publics mais il se trouve que la question précise relative à la place et le rôle des langues étrangères dans notre école dans le questionnaire du sondage signalé ci-dessus est très discutable quand on cible le grand public. Il faut reconnaître et admettre que cette question est purement et strictement pédagogique. En principe, elle ne devrait être débattue qu'entres experts, en l'occurrence linguistes et pédagogues, dont seuls l'avis compte dans ce domaine. Donc, publier un chiffre statistique sur un sujet très pédagogique en se basant sur l'opinion publique me parait absurde et surtout trompeur. Je crois que cette fausse démarche est due au fait que la problématique des langues étrangères dans notre école est mal posée chez nous et par conséquent mal comprise au sein de la société. Souvent, la méthodologie et les recommandations des experts sur ce thème sont occultées par la voix de pseudo-pédagogues s'autoproclamant experts en la matière. Afin de clarifier davantage cette problématique dont les retombées et les implications pédagogiques sont si importantes, je voudrais l'aborder ici encore une fois avec l'intention de corriger quelques fausses conceptions qui y sont cultivées. Pour l'argumentation, je rappelle d'abord quelques évidences linguistiques très significatives. L'utilité de la langue dans diverses circonstances de la vie est d'une importance capitale. Particulièrement, sans une réelle maîtrise d'une langue standard, l'acquisition de tout savoir académique serait aléatoire sinon hypothétique. En plus, aujourd'hui, tous les experts s'accordent à dire que l'instruction de base à l'école doit absolument se faire dans la langue maternelle de l'apprenant ou à défaut dans la langue la plus voisine de son parler maternel. Ceci est clairement indiqué dans un rapport sur l'éducation rédigé par des experts de l'U.N.E.S.C.O. où il est mentionné : «Il est prouvé que le fait de commencer l'instruction dans la première langue de l'apprenant améliore les résultats d'apprentissage et a un bon rapport coût/efficacité, réduisant les taux de redoublement et d'abandon» [1]. Partant de ce dernier postulat, quelle serait alors l'outil linguistique le plus rentable pédagogiquement dans l'apprentissage des sciences dans notre école? Chez nous, la langue standard la plus voisine de notre dialecte dominant (seul outil de communication maîtrisé par la majorité des apprenants avant leur scolarisation) est évidemment l'arabe scolaire. Donc, incontestablement, c'est l'arabe scolaire qui a la plus grande chance d'être maîtrisé dans notre école pour servir naturellement de langue d'instruction. Concernant la maîtrise effective de la langue arabe, comme toute langue vivante internationale, elle est parfaitement maîtrisable moyennant une approche pédagogique moderne dans son enseignement. La preuve en est qu'il suffit d'écouter à maintes occasions sur des plateaux de télévisions satellitaires arabes des académiciens, des journalistes et des diplomates étrangers s'exprimant couramment en arabe. En ce qui concerne l'enseignement des disciplines scientifiques, si l'on adopte une langue étrangère en cycles moyen et secondaire à cet effet, il clair que cela ne peut que contribuer à la dispersion de l'effort des apprenants pour maîtriser la langue arabe. En effet, la maîtrise de cette dernière dans notre système éducatif ne peut se réaliser qu'à travers sa pratique comme langue d'instruction dans toutes les matières programmées. Ceci peut être confirmé par l'expérience de tous nos cadres formés en français dans leur maîtrise de cette langue qui ne s'est réalisée qu'après une longue scolarité durant laquelle le français était la langue d'instruction dominante. En plus, cette maîtrise ne s'est perfectionnée qu'avec la pratique professionnelle. A mon avis, il est illusoire de croire qu'en enseignant les matières scientifiques en français ou toute autre langue étrangère améliorerait automatiquement le niveau d'instruction des apprenants. Cette idée va carrément à contre-courant de la pratique pédagogique universelle. Le problème fondamental dans notre système éducatif et notre enseignement universitaire est parfaitement identifié. C'est la qualité de formation du corps enseignant qui pose énormément problème. Ceci d'ailleurs a été clairement reconnu par la tutelle de l'Education nationale en proposant aux enseignants non-diplômés une formation diplômante pour perfectionnement. Donc, il serait de mauvaise foi et intellectuellement malhonnête de réduire la baisse du niveau de l'enseignement scientifique au sein de notre système éducatif au seul problème de la langue d'instruction. Quant à la pratique et l'usage des langues étrangères, il faut clairement distinguer entre les cycles fondamental, secondaire et universitaire. Puisque la mission des cycles fondamental et secondaire est d'inculquer aux apprenants une culture scientifique de base et un développement de leur sens critique et artistique, il est évident que cet apprentissage ne peut être bien acquis et assimilé qu'en langue maternelle des apprenants. Quant aux langues étrangères, ces deux cycles d'enseignement seraient une période d'apprentissage et de perfectionnement de ces langues qui permettraient aux apprenants de s'ouvrir sur les différentes cultures du monde qui devient un village planétaire. Par contre, l'usage des langues étrangères en cycle universitaire serait assez différent. Particulièrement, l'usage des langues étrangères véhiculaires de sciences et techniques sert d'outil nécessaire aux étudiants pour être en temps réel au diapason des avancées scientifiques et techniques à travers le monde. En plus, dans notre cas, vu le grand retard que nous accusons en traduction des ouvrages scientifiques de base, toutes disciplines confondues, l'usage des langues étrangères est incontournable pour l'enseignement en graduation et éventuellement pour la recherche et la publication en post graduation. D'où la nécessité de la maîtrise de ces langues. Seulement, il faut préciser ici que pour utiliser une langue étrangère comme langue de travail, il ne suffit pas uniquement d'éditer des lexiques bilingues de terminologie scientifique et technique et recommander aux étudiants de les apprendre par cœur. Aujourd'hui, il est bien prouvé par expérience que pour utiliser efficacement une langue étrangère comme langue d'instruction, il faut préalablement que l'apprenant acquière une certaine compétence minimale dans cette langue jugée par des tests standards mis au point par des instituts spécialisés avant qu'il ne soit admis dans une université respectée à travers le monde. Non seulement, l'apprenant doit acquérir un vocabulaire académique assez riche dans la langue étrangère cible mais il doit s'approprier les réflexes et les schémas de pensées propres à cette langue. Autrement dit, l'apprenant devrait être capable de penser dans cette langue pour éviter l'exercice pénible et frustrant de la traduction de / vers sa langue maternelle. Pour atteindre un tel objectif dans et par notre système éducatif, il est évident qu'il faut une préparation linguistique adéquate des apprenants tout le long des cycles moyen et secondaire. En termes pratiques, ce qui est souhaitable en fin de cycle secondaire comme compétences linguistiques chez les apprenants serait naturellement l'usage de leurs parlers maternels ( dialecte arabe, toutes les variantes de l'Amazigh) dans la vie ordinaire (situations intimes, familiales, activités sociales, commerciales etc.), la maîtrise parfaite de la langue arabe scolaire pour les usages académique et officiel, une pratique assez aisée d'aux moins deux langues étrangères avec le français comme première langue. Armés de cette préparation linguistique, les bacheliers optant pour des études scientifiques universitaires éviteront facilement le choc linguistique à l'université. Ceux optant pour les sciences humaines et sociales, les langues étrangères leur servent d'appoint très utile pour l'accès à la littérature spécialisée dans ces langues. Ainsi, les deux catégories d'étudiants se sentiront à l'aise dans leurs cours dispensés en arabe et en français. Afin d'éclairer davantage la problématique en question, il est important de rappeler ici la nécessité et le rôle de la traduction dans la diffusion et la vulgarisation des sciences et techniques au sein de la population d'un pays. D'ailleurs, bien que très coûteuse, la traduction scientifique est une industrie très florissante dans les nations développées. Sa rentabilité pédagogique en vaut bien le coût. La maîtrise parfaite des langues étrangères n'est en général à la portée que d'une frange restreinte de cette population (interprètes professionnels, diplomates, chercheurs scientifiques) car leurs métiers exigent une telle maîtrise. En plus, maîtriser une langue étrangère est un long processus qui demande toute une carrière professionnelle. Donc, pour le citoyen moyen, la voie facile et rentable pour l'accès aux œuvres intellectuelles universelles est la traduction dans sa propre langue. D'un autre côté, en matière de production scientifique, l'expérience ancienne ou moderne montre que toute nation productrice de sciences passe par trois étapes. Il y a la phase d'acquisition du savoir scientifique qui est suivie par une phase de son assimilation. Ces deux étapes plus ou moins longues sont nécessaires pour digérer les différentes sciences produites par les nations contemporaines scientifiquement développées. Enfin, pour prétendre au statut de productrice de sciences, il faut que cette nation soit capable de «métaboliser» les différentes sciences assimilées en un nouveau savoir scientifique utile. Ceci constitue l'ultime étape dans le processus de production de sciences. Si les deux premières phases peuvent se réaliser par la traduction et l'usage des langues étrangères moyennant bien sûr leur maîtrise, l'expérience montre que la dernière étape ne peut se réaliser qu'en la langue propre de cette nation. Enfin, en ce qui nous concerne, je crois qu'il nous faut une thérapie de groupe à l'échelle nationale pour se décomplexer vis-à-vis des langues constituant notre paysage linguistique. Au niveau de la personne, nos parlers maternels sont l'un de nos patrimoines les plus précieux. Ce sont nos moyens naturels de communication irremplaçables et spontanés pour exprimer nos sentiments et émotions profonds. Donc, à mon avis, if faut se sentir pleinement fier en s'exprimant dans son parler maternel. D'un autre côté, pratiquer un bilinguisme académique en milieu universitaire est tout à fait normal et intellectuellement très enrichissant. Par contre, parler une langue étrangère en milieu familial pour exprimer ses sentiments ou demander ses besoins vitaux est tout à fait bizarroïde. Pour conclure, à travers cette contribution, je voudrais essentiellement rappeler et confirmer la normalité des choses en matière linguistique. Je crois que notre attitude concernant le rôle et le statut des langues étrangères dans notre école et université ne ferait pas exception à la norme. En matière linguistique, c'est le réalisme qui doit l'emporter. L'approche doit être purement pédagogique loin de toute considération idéologique. *Pr - Département de physique Université de Tlemcen Notes: [1] Résumé du Rapport mondial du suivi sur l'Education Pour Tous. 2005 p.30. Document disponible au site : www.efareport.unesco.org |
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