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![]() ![]() ![]() ![]() Je
souhaiterais aujourd'hui évoquer avec le sourire, presque burlesque, la notion
de relativité. Oh, n'allez pas croire qu'Einstein s'est ressuscité en moi. Si
vous aviez vu mes notes en matières scientifiques, vous comprendriez que je
serai démasqué aussitôt dans une telle imposture. Il s'agit d'une toute autre
relativité, celle de la perception du risque. Commençons la démonstration avec
ce sourire que je vous avais promis.
Je me souviens avoir reçu un coup sur la tête, il y a très longtemps, lorsqu'on m'avait demandé de payer une contravention à propos d'un tout petit dépassement de vitesse de la limite autorisée, soit 5 km à l'heure. L'injustice venait de s'acharner sur moi alors que toute ma petite famille était toujours désespérée de me voir conduire comme un vieux pépé, comme ils disaient. Et voilà qu'à la première aventure d'accélération, la griserie téméraire de l'aventure, la hardiesse des imprudents et la volonté de révolte envers la loi, je suis sanctionné. Aucune marge autorisée habituellement ne m'avait été accordée alors que le code de la route le permet. C'est que la stupide borne de radar n'a pas la même sympathie que le beau-frère de la cousine devenu gendarme et avec qui vous seriez bien entendu innocent. Pour un petit écart de rien du tout on m'avait présenté une facture salée. Nous venions à peine d'acheter une petite voiture d'occasion après avoir trimé. Voilà que la société venait de me dire que j'étais une personne dangereuse pour la sécurité de la population sur la route. Dangereux pour l'humanité, moi ? Cette injustice n'a pas eu l'instinct de relativiser le danger par rapport à d'autres. Qu'a fait la gendarmerie jusque-là alors pour qu'elle avertisse d'un autre danger sur la route considérablement plus vital pour l'humanité que mon insignifiant dépassement ? Sur la route de l'espace, la galaxie d'Andromède fonce sur la voie lactée, notre galaxie, à une vitesse de 400.000 km/h, soit 112 km par seconde. Aucune disposition de prévention ou de condamnation n'ont été prises contre ce chauffard bien plus dangereux. Et on dit que je suis dangereux pour l'humanité sur la route avec mon ridicule dépassement de 5 km/h ? Il est vrai que je ne suis pas la princesse éthiopienne Andromède, fille d'un roi, sauvée héroïquement par Persée. Elle, ce n'est pas seulement le beau-frère gendarme de la cousine qu'elle doit connaître mais le colonel de la brigade. Et que fait la gendarmerie de la route pour sanctionner la ruée de la plaque tectonique africaine sur celle de l'Europe ? Des centaines de milliards de tonnes de roches qui vont non seulement fracasser les côtes françaises dans quelques millions d'années, c'est-à-dire très peu à l'échelle du temps, mais la puissance du choc va entraîner la montée fatale de la première sur la seconde. Et je suis un danger de la route pour l'humanité ? Que fait la gendarmerie pour verbaliser ? Bon, c'est vrai, mon piteux dépassement de 5 km/h ne fera pas disparaître les visas et ne permettra jamais le retournement de colonisation, il n'est pas une vedette des catastrophes pour l'humanité. Je terminerai par la dernière injustice d'un manque de relativité à mon égard. On sait de très longue date que le carburant atomique de notre soleil va s'épuiser et que l'étoile, par effet de gravité, s'effondrera sur elle-même. Il est attendu que le soleil gonflera alors jusqu'à dévorer toutes les planètes. Je suis sûr qu'on ne sanctionnera jamais le coupable de n'avoir pas rempli le carburant. Et moi, toujours avec mes malheureux 5 km à l'heure, la sanction est immédiate, sans remise de peine ni indulgence. Mes chers lecteurs, vous avez bien entendu compris la moralité de cette histoire. La notion de risque est le propre d'une relativité qui n'entraîne pas la même démarche de précaution et de sanction. L'une des causes est la sensation d'éloignement, aussi bien territoriale que temporelle. C'est pour cela que les nombreuses campagnes de sensibilisation pour la prévention d'un risque, quelle que soit sa nature, ont du mal à fonctionner, du moins dans la proportion espérée. Ainsi, pour l'humanité, le risque du réchauffement climatique a été pris en compte depuis seulement quelques années. Comment persuader les gens que la planète va disparaitre, eux qui sont dans un présent tout à fait lointain de cette sensation de risque ? Comment persuader des jeunes du danger du tabac, du cancer et de la mort qui guette par bien d'autres risques, alors qu'ils sont dans le début explosif et joyeux de la promesse d'une vie ? Des entreprises fabriquent et vendent des produits mortels, plusieurs milliards de personnes dans le monde polluent la planète, les guerres atomiques menacent périodiquement la disparition de l'humanité et, moi, avec mes ridicules 5 km/h de dépassement, je mettrais en danger mortel la planète et l'humanité. En quelque sorte, c'est la prise en compte du seul moment présent qui annihile la perception relative du danger. Et c'est donc moi-même qui me traite d'ignorant de la notion de relativité du grand Einstein ? Finalement, ce sont toujours les incompris qui payent pour les autres. Á cette époque il fallait aller à la poste pour acheter un timbre fiscal pour paiement de la contravention. Je vous jure que j'ai couru très vite pour y aller afin de leur prouver que là, j'avais leur autorisation de dépasser la limite de vitesse autorisée dès lors que c'était pour le budget de l'Etat, celui qui rémunère les sympathiques gendarmes. L'injustice est de ce monde. |
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