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Laura Veccia Vaglieri et les archives secrètes du Vatican: À la recherche de la vérité sur la conquête de l'Algérie

par Salah Lakoues

Le livre intitulé « Les archives secrètes du Vatican sur la conquête de l'Algérie » est un ouvrage inédit qui cherche à éclairer, sans clichés ni préjugés, les raisons ayant conduit à l'expédition coloniale française en Algérie, en 1830. Rassemblant et analysant des documents tirés des archives secrètes du Vatican, l'ouvrage offre une synthèse historiographique visant à établir un consensus sur les causes profondes de cette conquête.

Écrit par Laura Veccia Vaglieri (1893–1983), reconnue comme l'une des plus grandes orientalistes italiennes du XXe siècle, le livre se présente moins comme une étude purement scientifique que comme un véritable pamphlet de vérité sur un pan essentiel de l'histoire algérienne. Il met en lumière des éléments méconnus qui permettent de mieux comprendre comment, après le débarquement des troupes françaises en 1830, la conquête s'est poursuivie sous différents régimes politiques jusqu'en 1871.

Cet ouvrage, publié récemment par Héritage Editions et composé d'environ 100 pages, se distingue par son approche érudite et sa volonté de dépasser les interprétations simplistes pour offrir une lecture approfondie d'un épisode historique majeur.

L'approche de Laura Veccia Vaglieri se distingue par sa volonté de repenser la conquête de l'Algérie non pas uniquement sous l'angle militaire ou politique, mais en intégrant des dimensions souvent négligées dans la tradition historiographique dominante. Voici quelques points de comparaison :

Utilisation de sources inédites et institutionnelles

Là où la plupart des travaux historiques sur la conquête se fondent sur des documents d'État, des récits militaires ou des archives nationales, Vaglieri puise dans les « archives secrètes du Vatican ». Cette démarche offre une perspective différente en révélant des aspects diplomatiques et religieux souvent absents des analyses conventionnelles. Ce recours à des sources rarement exploitées permet de mettre en lumière les influences des réseaux ecclésiastiques et diplomatiques qui auraient pu jouer un rôle dans la légitimation ou le financement de l'expédition coloniale.

Déconstruction des clichés et préjugés

La méthode de l'auteure se veut résolument anti-clichés. Plutôt que de se contenter de récits déjà établis qui présentent la conquête comme un simple acte de puissance militaire ou un impératif économique, elle cherche à déconstruire ces récits en apportant des éléments qui révèlent une réalité beaucoup plus complexe. Cette approche critique contraste avec d'autres travaux qui, parfois, reproduisent des schémas narratifs standardisés et manquent de nuancer les facteurs motivants (politiques, économiques, religieux et diplomatiques).

Approche multidimensionnelle et polémique

En qualifiant son œuvre de « pamphlet de vérité », Vaglieri adopte une posture à la fois érudite et engagée. Elle ne se contente pas d'un travail scientifique froid ; elle y intègre une dimension polémique qui vise à réévaluer les causes profondes de la conquête française. Cette démarche peut être mise en regard avec d'autres approches historiographiques qui tendent à être plus descriptives ou factuelles. Son travail invite ainsi à un débat sur la légitimité des récits officiels et sur l'importance d'une relecture des événements historiques à partir de sources alternatives.

Intégration de l'aspect religieux dans l'analyse coloniale

Une autre spécificité de cette approche est la mise en avant du rôle des institutions religieuses dans la dynamique coloniale. Là où la conquête est souvent interprétée, exclusivement, comme une entreprise politique et militaire, Vaglieri suggère que le Vatican, par le biais de ses archives, a pu contribuer, de manière moins visible, à la configuration de la politique coloniale française. Cette perspective enrichit le débat en y ajoutant la dimension de la diplomatie religieuse et des intérêts confessionnels, ce qui contraste avec des approches plus séculières et purement étatiques.

L'approche de Vaglieri se démarque par sa recherche de la « vérité » au-delà des récits officiels, en exploitant des sources inédites pour questionner et nuancer le récit traditionnel de la conquête de l'Algérie. Comparée à d'autres travaux, elle offre une lecture multidimensionnelle qui intègre le rôle de la religion et de la diplomatie dans un contexte colonial souvent réduit à des enjeux purement militaires ou économiques. Cette démarche, bien qu'elle puisse susciter des débats sur sa méthode et son interprétation, constitue un apport précieux à la réévaluation des causes historiques de cet épisode majeur.

La proposition de confier la gestion d'Alger à l'Ordre de Malte illustre une approche coloniale qui, au-delà des motivations purement économiques (comme l'attrait du trésor d'Alger), intègre une dimension évangélique et civilisatrice. Voici quelques points d'analyse comparée :

Une stratégie multidimensionnelle :

Là où certains projets coloniaux se concentrent exclusivement sur l'exploitation économique ou sur le contrôle militaire et administratif, la proposition de «doper Alger à l'ordre de Malte» suggère de combiner intérêts financiers et mission évangélique.

L'Ordre de Malte, fort de son histoire de défense de la chrétienté et de soins aux populations en détresse, représentait un instrument capable d'incarner à la fois une fonction de protection et d'évangélisation. Cette approche vise donc à légitimer la conquête non seulement par la puissance économique mais aussi par la mission «civilisatrice» et religieuse.

Une vision «mission civilisatrice» :

Dans l'imaginaire colonial français, l'idée de « mission civilisatrice » justifiait souvent l'intervention dans des territoires étrangers. La proposition d'impliquer un ordre religieux, tel que l'Ordre de Malte, renforce cette idée en suggérant que la conquête allait apportera la lumière de la foi chrétienne aux populations locales. Cette démarche contraste avec une gestion purement bureaucratique ou militaire, en insistant sur un rôle d'évangélisation et d'assistance morale.

Comparaison avec d'autres modèles coloniaux :

Approche économique/militaire stricte : Dans certains contextes, l'administration coloniale s'appuie essentiellement sur une logique d'extraction des ressources et de contrôle militaire, sans véritable dimension religieuse intégrée à la gestion du territoire.

Modèle missionnaire direct : D'autres projets, par exemple dans les territoires espagnols ou portugais, ont vu les ordres religieux jouer un rôle prépondérant dans l'organisation sociale et la conversion des populations. La proposition française d'associer l'Ordre de Malte relève d'une tentative de marier ces deux logiques (économique et religieuse) afin de présenter la conquête comme une entreprise à la fois lucrative et moralement légitime.

Implications politiques et symboliques :

Envisager d'attribuer Alger à l'Ordre de Malte avait aussi une portée symbolique importante: cela aurait permis d'instaurer un mode de gouvernance qui se voulait moins oppressif, fondé sur des valeurs religieuses et charitables, en opposition à une domination purement étatique ou militaire. Cette proposition reflète les débats internes au sein de l'administration française, tiraillée entre une logique purement pragmatique et une volonté de légitimation morale et religieuse de l'action coloniale.

Confier Alger à l'Ordre de Malte aurait incarné une stratégie hybride, mêlant impératifs économiques, militaires et évangéliques. Cette approche se distingue des modèles exclusivement économiques ou militaires en mettant en avant l'idée d'une mission civilisatrice, qui vise à transformer le territoire conquis par le prisme de la foi chrétienne et des valeurs qu'elle porte, tout en assurant la sécurisation et l'exploitation des richesses locales. L'échec de l'évangélisation en Algérie pendant la période coloniale était, en effet, largement prévisible pour plusieurs raisons interdépendantes :

Un enracinement historique de l'Islam :

La population algérienne est profondément ancrée dans une tradition islamique qui s'est développée et consolidée sur plus d'un millénaire. Les institutions éducatives et religieuses islamiques, telles que les madrasas, ont transmis de génération en génération non seulement un savoir religieux mais aussi une identité culturelle forte. Cet enracinement a constitué un rempart face aux tentatives de conversion, rendant difficile l'imposition d'un modèle évangélique étranger.

La durée et la nature de la conquête :

La conquête de l'Algérie par la France, qui s'est étalée sur plus de quarante ans, n'a pas seulement été une opération militaire. Elle fut également un processus de transformation sociale et administrative qui a souvent privilégié le contrôle par la force et l'exploitation économique plutôt que l'engagement religieux actif. La résistance – tant sur le plan militaire que culturel – des populations locales a créé un environnement hostile aux efforts d'évangélisation.

Des politiques coloniales restrictives en matière de prosélytisme:

Dans la plupart des colonies françaises, y compris en Algérie, la politique officielle limitait, le prosélytisme auprès des musulmans.

L'État colonial, conscient des tensions que pouvait engendrer une conversion forcée ou trop intrusive, préférait confiner l'action évangélique aux domaines de la charité et de l'éducation, sans viser une transformation religieuse en profondeur.

Une résistance identitaire et culturelle :

Au-delà de l'aspect religieux, la résistance à la conquête s'inscrivait dans une volonté de préserver un mode de vie et une identité culturelle distincts. La scolarisation en arabe et la transmission des valeurs islamiques ont permis de renforcer ce sentiment d'appartenance, rendant toute tentative d'imposition d'un discours chrétien étrangère non seulement indésirable mais perçue comme une atteinte à l'identité même des Algériens. En effet, même si l'État colonial français en Algérie n'a pas posé de restrictions légales explicites au prosélytisme, les tentatives d'évangélisation – notamment celles des Pères Blancs dans les régions kabyles – se sont soldées par un échec quasi systématique. Plusieurs facteurs expliquent ce résultat :

Un enracinement de l'Islam et une identité culturelle forte :

La population kabyle (comme celle de beaucoup d'autres régions d'Algérie) est profondément ancrée dans une tradition islamique et dans des structures éducatives et sociales locales qui transmettent de génération en génération, leur foi et leurs valeurs. Cet enracinement rend toute conversion forcée ou même volontaire mais extérieure difficile, quelle que soit la liberté laissée par le cadre légal.

Une approche évangélique limitée aux actions caritatives et éducatives:

Même si les Pères Blancs bénéficiaient souvent d'un soutien de l'administration coloniale dans leurs activités caritatives et éducatives, leurs efforts de conversion active se heurtaient à une réalité sociale où la dimension spirituelle de l'Islam était indissociable de l'identité et de la résistance culturelle. Les conversions massives n'ont jamais été envisagées, et l'action évangélique se réduisait souvent à un aspect secondaire par rapport à des missions humanitaires.

Une dynamique coloniale ambivalente :

D'un côté, l'administration coloniale voyait dans la présence de missionnaires un moyen d'instaurer un certain ordre et de contribuer à la « mission civilisatrice » de la France. De l'autre, elle restait consciente que des tentatives trop agressives de conversion pouvaient compromettre la stabilité en exacerbant les tensions entre communautés. Cette ambivalence a limité l'efficacité d'une politique de prosélytisme active.

Malgré l'absence d'une interdiction formelle, les initiatives de conversion entreprises par les missionnaires – et particulièrement par les Pères Blancs en Kabylie – se sont heurtées à des obstacles culturels et religieux majeurs, qui ont rendu tout changement de paradigme religieux extrêmement difficile à obtenir. Ces résultats témoignent de la complexité du contexte colonial, où la liberté d'évangélisation ne suffisait pas à surmonter la solidité des traditions et de l'identité musulmane.

La colonisation française a été conçue comme une colonie de peuplement pour plusieurs raisons interconnectées :Un projet de transformation sociétale et territoriale

Plutôt que de se limiter à l'exploitation des ressources, l'État colonial visait à transformer en profondeur le territoire conquis. En encourageant l'installation massive de colons – notamment des « pieds-noirs », des immigrants européens et corses – la France cherchait à créer une société conforme à ses valeurs, en y implantant ses institutions, sa culture et son droit. Ce processus visait à « franciser » le territoire et à instaurer un nouvel ordre social durable.

Des motivations économiques et stratégiques

Le peuplement avait pour objectif de tirer parti des richesses locales tout en consolidant la présence française dans une région stratégique. En établissant des communautés stables, l'administration coloniale assurait la défense des intérêts économiques et géopolitiques de la métropole, notamment dans un bassin méditerranéen concurrentiel.

Une politique de légitimation coloniale

L'installation de colons permettait de justifier la conquête comme une mission civilisatrice. Le peuplement était perçu comme un moyen de prouver la supériorité des valeurs européennes et d'instaurer un ordre considéré comme moralement et politiquement supérieur. Cette approche visait à renforcer la légitimité de l'intervention française, tant auprès de la population métropolitaine que sur la scène internationale.

L'expropriation et la restructuration des rapports de force

Le modèle de colonie de peuplement impliquait une réorganisation radicale du territoire : l'expropriation des terres aux populations autochtones et leur marginalisation étaient au cœur d'un projet visant à transformer l'économie et la démographie locales. En créant un espace réservé aux Européens, l'État colonial cherchait à établir un contrôle durable et à assurer la pérennité de son influence.

La colonisation française a été une colonie de peuplement parce qu'elle dépassait la simple exploitation économique pour devenir un projet global de transformation territoriale, sociale et politique. En favorisant l'installation permanente de colons, la France a voulu remodeler le paysage colonial selon ses propres normes, assurant ainsi à la fois la défense de ses intérêts stratégiques et la diffusion de ses valeurs dans les territoires conquis.