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Amnésie coloniale

par Mustapha Aggoun

La France, une fois de plus, s'adonne à son exercice favori : accuser l'Algérie de profiter de relations déséquilibrées, tout en oubliant qu'elle est la première bénéficiaire de ces mêmes accords. L'extrême droite française, avide de boucs émissaires et de récits simplistes, trouve dans cette rhétorique un moyen commode d'alimenter ses fantasmes xénophobes et de détourner l'attention de ses propres contradictions. Bruno Retailleau et ses semblables n'hésitent pas à marteler l'idée d'une Algérie qui vivrait aux crochets de la France, tout en passant sous silence des décennies d'injustices et de spoliations dont l'Algérie a été victime.

Cette semaine, Alger a convoqué l'ambassadeur de France, Stéphane Romatet, pour exiger des clarifications sur un sujet trop longtemps ignoré : l'occupation de 61 biens immobiliers français en Algérie, à des conditions dérisoires, parmi lesquels l'ambassade de France qui s'étend sur 14 ha dans un des quartiers les plus prestigieux d'Alger, ainsi que la résidence de l'ambassadeur de 4 ha, longtemps louée au franc symbolique. Pendant des décennies, Paris s'est arrogé le droit de profiter de largesses que jamais elle n'accorderait en retour à l'Algérie. Cette asymétrie s'inscrit dans une longue tradition de domination et d'exploitation, qui ne date pas d'hier.

Depuis 1830, la France a systématiquement pillé les richesses algériennes : en 1833, à peine trois ans après l'invasion, un rapport officiel reconnaissait déjà que la France s'appropriait, sans vergogne, les terres et les biens des Algériens sous prétexte de colonisation. Durant plus d'un siècle, les ressources algériennes ont alimenté l'économie française, de la spoliation des terres agricoles à l'exploitation des hydrocarbures après la Seconde Guerre mondiale. Et lorsque l'Algérie a arraché son indépendance en 1962, la France a tout fait pour maintenir un contrôle économique déguisé, notamment à travers des accords inégaux comme celui de 1968 sur la circulation des personnes, que Paris dénonce aujourd'hui, tout en omettant de mentionner ses propres avantages. Cet accord, loin d'être un privilège pour les Algériens, a surtout permis à la France de bénéficier d'une main-d'œuvre qualifiée et bon marché, venue reconstruire un pays ravagé par la guerre et participer à son essor industriel.

Qui peut nier que des générations d'Algériens ont façonné la France d'aujourd'hui, des mines du Nord aux usines Renault, en passant par les chantiers de construction qui ont érigé les infrastructures modernes ?

Et pourtant, au lieu de reconnaître cette contribution, l'extrême droite préfère nourrir l'illusion d'une France généreuse et d'une Algérie ingrate. Loin d'être un cas isolé, cette logique se poursuit avec l'accord de 1994, qui permet aux entreprises françaises d'opérer en Algérie avec des avantages considérables, alors que les entreprises algériennes peinent à s'implanter en France face à des barrières administratives et économiques démesurées.

Cette situation est le reflet d'un néocolonialisme économique qui ne dit pas son nom. Si la France veut aujourd'hui ouvrir le débat sur la réciprocité, alors elle devra commencer par rendre des comptes. Qu'elle se souvienne qu'elle n'a pas seulement occupé militairement l'Algérie, mais qu'elle l'a exploitée, pillée, martyrisée. Qu'elle se rappelle que son économie, son industrie et même son prestige international doivent une part indéniable aux ressources et à la sueur du peuple algérien. L'ère de la condescendance est révolue. L'Algérie ne quémande rien, elle exige simplement que la vérité soit dite et que la justice soit rétablie. L'hypocrisie de l'extrême droite française, qui prétend défendre les intérêts de la France tout en occultant ceux qui l'ont servie et enrichie, ne trompe plus personne. L'Algérie, forte de son histoire et de son peuple, refuse désormais de jouer le rôle du coupable idéal, dans un discours politique délétère.