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![]() ![]() ![]() ![]() Chaque année, dès que pointe le mois du Ramadhan, une vague
de critiques déferle comme un rituel bien rodé. On fustige la flambée des prix,
les commerçants sans scrupules, l'hystérie des consommateurs. On dénonce
l'impatience, la colère dans les rues, l'anarchie des marchés. Les médias s'en
emparent, les discussions s'animent, les esprits s'échauffent. Et dans ce
tumulte, dans ce vacarme des réprobations, quelque chose d'essentiel passe sous
silence. Quelque chose de précieux, de grand, d'invisible aux regards trop
occupés à scruter les travers. C'est l'autre Ramadhan.
Celui que l'on ne raconte pas. Celui qui n'a pas besoin de grands discours, qui se vit dans la discrétion des cœurs ouverts et des mains tendues. Celui qui, chaque soir, au moment où le soleil décline, transforme une rue anonyme en un banquet de fraternité. Il suffit d'un regard pour comprendre. De longues tables alignées, des assiettes fumantes, des visages marqués par la fatigue du jour mais illuminés par la joie du partage. Des bénévoles qui s'affairent, des inconnus qui deviennent compagnons d'un repas. Pas de questions, pas de jugements. Juste un plat chaud Hrira ou Chorba', un verre d'eau, un morceau de pain, et ce sentiment d'être à sa place, parmi les siens, même quand on n'a plus rien. Sur les routes, d'autres veillent. Aux carrefours où la circulation devient folle, des jeunes tendent des bouteilles d'eau, des morceaux de galette, un sachet de lait. Ils savent que, pris dans les embouteillages, certains n'arriveront pas à temps pour rompre le jeûne. Alors ils donnent, sans attendre de merci. Juste pour qu'un inconnu, quelque part, puisse apaiser sa faim à l'heure où tout s'arrête. Et puis il y a ces petits gestes, tellement anodins qu'ils échappent aux regards. Cette voisine qui glisse un plat de chorba ou un bol de Hrira devant la porte d'une famille en difficulté. Ce boulanger qui laisse une miche de pain de plus dans le panier du vieil homme du quartier. Cette main qui, dans l'ombre, enveloppe un vêtement neuf pour un enfant qui n'aura rien à l'Aïd. Et là-bas, loin des lumières de la ville, dans une dachra perdue au milieu des collines, c'est encore un autre Ramadhan. Un Ramadhan où la solidarité n'est pas un événement, mais une manière d'exister. Où personne ne mange seul. Où les maisons restent ouvertes. Où le peu que l'on a se multiplie dans les mains des autres. Ici, il n'y a pas de riches, pas de pauvres, juste des voisins, des amis, des frères. On partage parce que c'est ainsi, parce qu'on ne sait pas faire autrement. On dit souvent que la société change, que l'individualisme ronge tout, que le monde est devenu froid. Mais il suffit d'ouvrir les yeux, vraiment, pour voir que l'essentiel est toujours là. Chaque Ramadhan, l'Algérie se transforme en une immense maison où personne n'est laissé dehors. Chaque Ramadhan, il y a ces mains qui donnent, ces cœurs qui s'ouvrent, ces âmes qui se souviennent que l'humain vaut plus que tout. Alors pourquoi choisit-on toujours de ne voir que les dérives ? Pourquoi préfère-t-on les cris aux murmures de la bonté ? Peut-être parce que la lumière ne fait pas de bruit. Peut-être parce que la vraie grandeur est humble. Mais il est temps d'apprendre à regarder autrement. Il est temps de raconter aussi ce qui fait chaud au cœur. Parce qu'en vérité, Ramadhan n'est pas un mois de privation. C'est un mois de miséricorde, d'amour, de fraternité. Un mois où l'on redécouvre que donner est la plus belle façon d'exister. |
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