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Course à l'armement

par Abdelkrim Zerzouri

L'Europe se trouve dans une position des plus inconfortables. Après le changement de fusil d'épaule opéré par les Etats-Unis, pour ne pas dire un lâchage pur et simple par les Américains, les Européens se réveillent brusquement pour constater qu'ils ne peuvent pas assurer leur propre sécurité sans le soutien militaire de leur puissant allié.

La décision brutale de suspendre l'aide militaire américaine à l'Ukraine est un autre souci qui vient se greffer au souci d'une Europe qui découvre qu'elle reste dépendante de la couverture américaine. Bien sûr, il ne s'agit pas d'une surprise, puisque cet état de fait est une réalité connue de tous, mais le changement de fusil d'épaule par les Etats-Unis a été un choc pour plus d'un dirigeant européen. Dans ce contexte difficile, on tente comme on peut de se remettre d'aplomb, en lançant un ambitieux plan de réarmement de l'Europe. Une enveloppe financière de pas moins de 800 milliards consacrée à ce plan a été validée, jeudi dernier, par le Conseil européen, convenant dans ce sens qu'il est « nécessaire d'accroître substantiellement les dépenses en matière de défense ».

Une somme impressionnante, selon les observateurs, qui relèvent dans ce sens tant de difficultés pour la récolter. Pour le moment, il n'y a que 150 milliards qui ont été mobilisés, du reste provenant d'emprunts levés par la Commission européenne, alors que le reste, soit 650 milliards, on doit les tirer dans les quatre prochaines années de la hausse des budgets d'armement des Etats membres de l'Union européenne.

Et, il semble que l'Allemagne et la France viennent en tête des Etats qui vont financer ce réarmement de l'Europe. En tout cas, le plan de financement de ce réarmement, qui va changer le classement mondial des dépenses militaires, ne sera pas de toute aise pour l'Europe. D'autant qu'on doit également trouver une solution à l'équation du soutien militaire à l'Ukraine après la suspension de l'aide américaine. Il est évident que le plan « Réarmer l'Europe » doit servir le soutien militaire à l'Ukraine, mais il y a urgence qui ne peut pas attendre son exécution. Peut-être bien qu'on table dans ce sens sur les négociations en cours pour aboutir à la paix le plus rapidement possible, comme semblent le souhaiter toutes les parties engagées dans ce conflit, afin de se consacrer entièrement à cette question du renforcement de la défense européenne sans le parapluie américain. Mais, est-ce que cela ne serait pas une erreur de mobiliser des sommes colossales pour la défense alors que sur le plan économique, l'Europe est confrontée à d'énormes difficultés budgétaires, notamment pour les deux principaux pays qui se placent en locomotive pour tirer l'Europe vers la défense commune, en l'occurrence la France et l'Allemagne ? Et que fera-t-on de l'Angleterre, un pays européen exclu de facto de ce plan, car ne faisant pas partie de l'UE ? Ce dernier pays sera-t-il le seul qui continuera de bénéficier du parapluie américain ? Les changements nombreux et rapides bouleversent les données classiques dans le domaine de la défense, avec des alliances qui se nouent et se dénouent pour donner naissance à un nouvel équilibre mondial avec des centres de gravité éparpillés, où chaque bloc, chaque pays, devrait songer à renforcer sa défense. Ce qui en dit long sur une instabilité critique dans laquelle s'engouffre le monde.