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![]() ![]() ![]() ![]() Je l'ai
toujours connu ainsi, silencieux, laconique, traversant la vie avec cette
économie de mots qui lui était propre. Il était de ceux qui écoutent plus
qu'ils ne parlent, de ceux qui semblent préférer le murmure du vent aux éclats
de voix, de ceux qui ne s'embarrassent ni de futilités ni de grandes
déclarations. Il était là, toujours là, sans jamais chercher à s'imposer. Nos
rencontres étaient brèves, rythmées par des salutations et quelques nouvelles
échangées à la volée, comme des miettes de conversations laissées derrière
nous.
Il ne courait pas après l'actualité, ne se laissait pas happer par le flot des journaux télévisés, et j'avais fini par accepter cette distance qu'il entretenait avec le monde. Son détachement n'était pas de l'indifférence, du moins je ne le croyais pas. C'était sa manière d'être, un choix assumé, une forme d'équilibre. Alors, lorsqu'il écourtait nos discussions, je n'y voyais pas un manque d'intérêt, mais plutôt une fidélité à lui-même. Et puis, il y eut ce changement. Saubtil d'abord, à peine perceptible. Il ne coupait plus court à nos échanges. Il me retenait, me lançait des sujets, s'attardait. J'étais surpris. Lui, le taiseux, devenait intarissable. Mais ce qui me frappa le plus, ce ne fut pas tant la soudaine longueur de ses propos, mais leur nature. Un seul sujet semblait l'animer, revenir inlassablement dans ses paroles : la France, l'Algérie, et cette tension, cette brûlure ancienne qui se ravivait dans les débats, dans l'actualité, dans les consciences. Il ne parlait plus de banalités, il ne s'égarait plus dans des mots sans poids. Non, il portait en lui une gravité nouvelle, une ferveur presque douloureuse. Alors, un jour, n'y tenant plus, je lui fis remarquer ce revirement. Je lui dis, avec cette pointe d'étonnement sincère : « Toi qui d'ordinaire es si discret, si distant des tumultes du monde, te voilà plus bavard, plus au fait des nouvelles que jamais Qu'est-ce qui t'a changé ainsi ? » Il m'a regardé, et j'ai vu dans ses yeux quelque chose de profond, quelque chose qui venait de loin, de plus loin que nous. Il n'a pas hésité longtemps avant de répondre. Il m'a dit: « L'Algérie. Mon pays. Et cette ancienne force coloniale. Comment ne pas suivre ? Comment ne pas se soucier ? Comment ne pas sentir l'amour et la fierté d'être Algérien bouillonner en moi ? » Ce jour-là, j'ai compris. J'ai compris que mon ami n'avait jamais fui la discussion par désintérêt, qu'il ne s'était jamais tenu à l'écart par légèreté. Non, il avait simplement toujours attribué du mérite aux sujets. Et l'Algérie, son Algérie, était l'ultime sujet. Le seul qui méritait qu'il brise son silence. Le seul qui justifiait que sa voix se mêle enfin au tumulte du monde. |
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