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La modestie n'est pas l'ennemi de l'ego

par Sid Lakhdar Boumediene

Il faut un grand effort pour contenir son ego qui voudrait tant rebondir et en rajouter dans les explications pour le grandir davantage que par le compliment.

J'ai toujours été sidéré que les personnes qui sont élevées au rang de la célébrité et de la notoriété (ce qui est différent) en demandent encore plus en se prêtant à des comportements comme la prétention, l'excentricité ou le désir d'omniprésence pour être constamment au centre de l'attention.

L'ego n'est pas un ressenti à rejeter en lui-même, au contraire. Il est tout simplement le « moi » dans sa définition qui nous fait dire qu'on existe dans sa singularité. Son objectif est philosophique, psychologique ou encore le simple désir de se rassurer face au regard et à l'appréciation des autres. Il ressent une douleur par la vexation, l'hostilité, le manque de reconnaissance ou le mépris envers lui. En cela il est profondément humain et respectable.

Si nous laissons Freud un peu tranquille car il est tellement sollicité à toutes les sauces, en tout et en rien à la fois, il existe un point commun à presque toutes les analyses qui ont été faites sur l'ego. Le « je » est une conscience de soi-même et son interaction avec le monde. Il est ainsi le moyen de s'adapter et de construire ses propres pensées, en toute liberté par rapport à ce monde qui l'entoure.

L'ego devient alors la perception de ses propres résistances confrontées au monde qui voudrait le mouler dans ses dogmes et cultures. L'être humain est par nature un être social, une force le relie au groupe mais en même temps c'est un être pensant qui doit avoir la force de son indépendance. Dans les conditions qui viennent d'être énoncées l'ego est bénéfique car il participe à la quête permanente de liberté.

Mais hélas, la tentation est toujours grande pour un ego de déraper, depuis la fierté prétentieuse jusqu'à l'exigence d'une aura pour une création, une pensée ou une action.

L'ego devient, dans ce cas, le signe d'un décrochage des réalités du monde. Il surdimensionne les qualités qui sont reconnues à la personne, il veut les clamer avec ostentation. L'ego n'est plus une carapace envers la société qui le contraindrait mais une tentative permanente de montrer qu'il est toujours dans le groupe mais à un niveau plus élevé. Il ne serait jamais satisfait s'il était discret et hors du groupe humain. Le commentaire qui suit est de l'ordre du sentiment personnel car c'est une perception plus qu'une certitude. J'ai effectivement souvent l'impression que c'est dans le monde de la littérature ou des arts que l'ego est le plus ostentatoire contrairement à celui des célébrités dans les sciences. Je parle donc d'une relativité entre les deux et non d'une valeur absolue en nombre car il y a des egos surdimensionnés des deux côtés. Ainsi, si nous restons dans les Lettres et les arts, mon souvenir peut citer quelques-uns pour leur prétention notoire. Ils sont d'une nature différente. Celui qui prétendait créer des œuvres à la dimension de la civilisation comme Michel-Ange (pourtant personne n'en doute). Ernest Hemingway qui faisait tout pour proclamer son combat pour les libertés (qui ne l'aurait pas perçu à travers son parcours militant, dans la vie comme dans ses romans ?). Pablo Picasso qui n'a pas arrêté d'étaler sa vie privée mouvementée (sa peinture ne suffisait-elle pas ?). Salvador Dali et son excentricité clownesque avec les médias (fallait-il lui dire que sa sublime peinture et ses sujets n'étaient en rien en accord avec ses pitreries ?)

Pourtant la modestie n'est pas l'ennemi de l'ego. La première raison est que l'œuvre d'une personne admirée doit normalement être suffisante pour satisfaire son ego sans se prêter à un état de prétention qui ne le grandit pas. La seconde raison est que la véritable satisfaction de soi-même est dans l'intérieur de sa pensée car elle n'est pas faussée par l'hypocrisie, la méchanceté ou l'intérêt de la part des autres.

Il y a par contre des exceptions, celles des œuvres ou actions qui perdurent au fil des siècles. À cette condition, l'œuvre efface le sentiment négatif qu'on aurait eu sur le créateur prétentieux dans la société qui lui était contemporaine.

Il ne reste de lui que son œuvre et seulement de rares spécialistes ou personnes cultivées connaissent ce que fut son ego démesuré. Dans ce cas l'œuvre écrase tout pour ne laisser que la notoriété et l'admiration. Qui atteint cette dimension séculaire et universelle peut alors se permettre de tout être, du plus prétentieux jusqu'au plus détestable et infâme. Ils sont si peu par rapport au fleuve des écrivains, artistes ou scientifiques.

Et ce ne sont certainement pas ceux qui se chamaillent comme des enfants dans une cour d'école pour savoir quel ego l'emporte sur l'autre. Moi, je suis connu en Europe ! Moi, dans le monde ! J'ai obtenu un prix et une médaille ! Moi, c'est mon pays et mes lecteurs qui me l'accordent ! Là il n'y a ni modestie ni talent véritable, juste des egos qui jacassent dans une basse-cour sans avoir la certitude de passer le cap d'une génération, d'un attrait passager. En fin de compte la modestie grandit l'ego, elle n'est pas son ennemi car elle le justifie et lui accorde une grande respectabilité. Le reste est balayé par le temps qui passe comme une feuille dans le vent. Et ce vent médiatique dans lequel tous les egos gonflés se sont engouffrés est puissant, versatile et sans état d'âme. Peu en échappent.

PS : j'ai choisi d'écrire le mot ego sans accent car conforme à son origine lexicale contrairement à celui qui porte un accent depuis une réforme orthographique assez récente.