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Quand le roitelet joue au prophète

par Mustapha Aggoun

Le roi Mohammed VI, commandeur des croyants, a pris une décision inédite : interdire aux Marocains d'accomplir le sacrifice rituel du mouton. Un tel décret, s'il peut être justifié par des raisons économiques ou sanitaires, revêt en réalité une portée bien plus profonde, une démonstration de pouvoir qui dépasse de loin la simple gestion du quotidien.

Il ne s'agit pas ici de discuter de la validité théologique d'un tel geste. Ce qui importe, c'est l'usage qui en est fait. Car derrière cette interdiction se cache une ambition bien plus vaste : celle d'affirmer, une fois de plus, que le souverain chérifien détient non seulement le pouvoir politique, mais aussi le monopole de l'interprétation et de l'application du Le Maroc n'est pas qu'un simple royaume. Il est l'un des rares pays où le chef de l'État s'arroge le titre de «commandeur des croyants», un héritage historique qui le place au-dessus des oulémas et des institutions religieuses. Cette position permet à Mohammed VI d'agir comme un véritable arbitre de la foi, non pas seulement pour protéger la religion, mais pour mieux en faire un outil d'asservissement.

En interdisant le sacrifice de l'Aïd, il rappelle au peuple marocain qu'il est le seul maître des rites et des traditions. Ce faisant, il s'inscrit dans la continuité de ses prédécesseurs, qui ont toujours manié la religion avec habileté pour asseoir leur autorité. Le roi devient ainsi une figure qui ne se contente plus d'appliquer la loi divine, mais qui la façonne à sa guise.

Ce geste rappelle étrangement les actes des califes omeyyades et abbassides, qui modifiaient les dogmes en fonction des intérêts politiques. C'est aussi une manière implicite de se rapprocher de la figure prophétique de son ancêtre, le prophète Mohammed. Le message est clair : l'islam au Maroc n'est pas celui des savants, ni du peuple, mais celui du roi. Si l'argument religieux est si puissant dans ce décret, on ne peut s'empêcher de s'interroger sur les autres pratiques qui gangrènent la société marocaine et qui, elles, ne sont pas frappées d'interdiction royale.

Pourquoi un tel décret n'a-t-il pas été pris contre la culture massive du cannabis, qui fait du Maroc le premier producteur mondial de haschich ?

Chaque année, des tonnes de résine de cannabis transitent par le pays, alimentant les réseaux criminels et corrompant une partie de l'économie. Ce fléau, qui détruit des vies et gangrène la jeunesse, n'a jamais fait l'objet d'une fatwa royale interdisant sa culture ou son commerce. Pire encore, il est souvent toléré, voire organisé, sous le regard bienveillant des autorités. Et que dire du tourisme sexuel, qui fait du Maroc une destination prisée pour les déviances les plus abjectes ? L'exploitation des mineurs dans certaines villes touristiques est un secret de Polichinelle. Pourtant, aucun décret royal n'est venu frapper d'interdiction ces pratiques honteuses qui souillent l'image du pays. Le pouvoir ne semble donc manier l'interdit religieux que lorsqu'il lui est utile. Il ne sert ni la morale, ni le bien commun, mais uniquement la consolidation de l'autorité royale. Depuis des siècles, le pouvoir marocain a toujours utilisé la religion comme un levier de contrôle social. Sous Hassan II, l'islam officiel était celui de la soumission totale au roi. Toute opposition, même politique, était rapidement qualifiée d'hérésie ou de complot contre l'ordre divin. Aujourd'hui, Mohammed VI perpétue cette tradition en imposant une lecture religieuse qui sert avant tout ses intérêts. L'interdiction du sacrifice n'est pas une mesure neutre. C'est un acte d'autorité qui rappelle au peuple que la foi est sous contrôle, que les rites ne sont pas immuables et que leur pratique dépend du bon vouloir du souverain. Si réellement le roi voulait s'attaquer aux problèmes de la société marocaine par le prisme de la religion, il aurait pu décréter la fin de la corruption endémique, interdire l'exploitation des plus vulnérables ou encore mettre fin aux pratiques mafieuses qui gangrènent le pays. Mais ces interdits-là ne servent pas le pouvoir.

En fin de compte, ce n'est pas la religion qui guide ces décisions, mais bien la politique. L'islam au Maroc est devenu une arme, maniée avec précision pour renforcer l'autorité du trône. Et tant que ce pouvoir continuera d'instrumentaliser la foi au lieu de servir le peuple, les Marocains ne seront que des croyants sous tutelle, associant divin et royal dans un hymne chanté jour et nuit.