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Dans un
village de l'arrière-pays, un vieil homme se levait chaque matin pour aller travailler.
Sur la place du marché, il s'installait dans un petit coin près de la mosquée
puis sortait d'un cabas sa marchandise qu'il alignait ensuite soigneusement sur
une natte en osier presque aussi élimée que lui. Âami
Salah a exercé trente-six métiers, vécu trente-six misères.
Il a été successivement artisan-cordonnier, maçon, rempailleur de chaises datant de l'époque coloniale, garçon de café. Il lui est même arrivé de proposer à la vente des linceuls en toile immaculée, notamment durant les périodes de grande épidémie. Mais depuis quelque temps, Âami Salah vend des dentiers, il en possède bien une cinquantaine dont personne n'arrive à déterminer exactement la provenance, et chaque jour que Dieu fait, sauf les vendredis, il vient au marché avec son étrange cargaison et attend patiemment, sous un soleil de plomb ou sous la pluie, un improbable client. Âami Salah n'a aucun doute sur la rentabilité de son nouveau commerce et croit dur comme fer qu'il parviendra à écouler tout son stock de dentiers avant la fin de l'année. À tous ceux qui lui disent de changer d'activité et qu'il n'existe pas une chance sur un million pour que l'un de ses dentiers fasse l'affaire d'un édenté de la région, il rigole puis répond qu'il a tout le temps et qu'avec l'aide de Dieu, il trouvera bien des acquéreurs. La morale de cette histoire est toute simple, surtout à une époque où beaucoup de gens veulent «arriver» très vite et à tout prix : «Quand on vient de si loin, on n'est pas pressé» ! Imperturbable, sans se décourager, Âami Salah continue chaque matin à proposer ses dentiers aux chalands. |
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