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Sila: quel livre pour quelle lecture?

par Belkacem Ahcene-Djaballah

On nous bassinait avec un passé glorieux qui nous empêchait de nous projeter ! Résultat des courses ? Un passé constamment réchauffé, un présent sacrifié et un futur fantasmé ! (Saliha Kaci, « Les frondeuses». Recueil de nouvelles © Dar El Qobia Editions, Alger 2023)

Pour sûr, le Sila, cette rencontre internationale du livre en Algérie a connu, comme d'habitude, un grand succès populaire. De la grande foule, beaucoup de jeunes, garçons et filles, cheveux au vent ou sans foulards et un peu moins de « barbus ». Il est vrai que pour ces derniers, le plein a été fait dès le premier jour. De plus, l'âge (et le prix des produits ayant sensiblement augmenté) n'arrangent plus les choses. Et, on a la nette impression que la relève a bien d'autres préoccupations.

Pour sûr, comme dans toute manifestation de ce genre - surtout lorsqu'elle ressemble bien plus à une Foire qu'à un Salon, certains exposants (sic !) ayant des stands ressemblant plus à une « grande surface » avec ses prix discounts et ses produits multiples provenant de plusieurs éditeurs - il y a un grand nombre de curieux qui feuillettent mais n'achètent pas, qui posent pour une photo avec leur auteur (e) chéri (e) du moment. Il y a, heureusement, les espaces dédiés aux conférences qui, grâce aux chaises disponibles, accueillent du monde. Le temps de se reposer et on repart ! Mais, on sent, malgré tout, une envie d'apprendre et de comprendre. Et, surtout, une folle envie de mieux connaître le monde, le proche et le lointain. 4 300 000 visiteurs au total, mais combien de livres vendus ?

Globalement, les séances de dédicaces n'attirent pas grand monde, en dehors des amis, de la famille et des copains de quartier ou de café. Que la littérature proposée soit en arabe ou en français ou en…

Globalement, d'après ce que j'ai (peut-être mal) vu, on vient au Sila soit pour « passer du temps», soit pour acquérir un produit bien précis (dont «La Cuisine algérienne» ou des œuvres recommandées par les enseignants). Ou, pour rencontrer un auteur particulier. Point barre !

Problème de prix trop élevés ? Problème d'inculture? Problème d'habitudes? Problème d'un mauvais ciblage des publics ? Et, surtout, n'allez pas nous sortir la concurrence des liseuses électroniques. En réalité, on ne lit plus assez, papier ou écran, même échec !

(Mal-) Heureusement, il y a, des moments de grande cohue, frisant même un certain engouement, presque hystérique. Qui peut faire plaisir sur le moment mais qui interroge par la suite. Pour qui et pour quoi ?

Cette année-ci, la vedette est volée par un jeune romancier saoudien, Oussama Al-Muslim, le bien-nommé, «l'arabe J. K. Rowling», un diplômé en littérature anglaise de l'université du roi Fayçal à Hofouf (Al Ahsa), déjà, nous dit-on, auteur de 32 romans en 9 ans, et d'une trilogie intitulée «Khawf», tous ouvrages genre science-fiction, fantastique, magie et autres dérivés.

Loin de moi de discuter de la forme d'écriture n'étant pas expert en la matière. Qui a l'air d'emprunter, selon mon humble avis, à l'écriture la plus simplifiée possible, en arabe très accessible, une écriture simple, faite de clichés et de stéréotypes qui nage en plein dans la pensée magique. Du »fantastique», de l'»horreur» et de la «science-fiction». Pas religieuse. Magique.

De la paralittérature. Accessible et populaire. A consommer très rapidement. Faite pour une rapide consommation allant dans le sens de la pensée néolibérale pour emprunter au Pr A.Cheniki. Bref, une littérature de consommation ou ce que certains appellent la «littérature fast-food». Cela me rappelle le temps de la littérature «rose», des romans-photos, des «Mickeys», des «polars» et des œuvres de science-fiction.

Le succès auprès de la jeune génération «tik-tok «(15-25 ans, de bon (?) niveau scolaire) relève beaucoup plus, à mon avis, d'une recherche irrépressible d'évasion, de sortie d'un monde devenu (pour eux et elles) «invivable» ou «insupportable». Se sentant, quelque part,» enfermée» dans une atmosphère religieuse et politique, bref conservatrice donc contraignante. Ne pouvant ni ne voulant s'exiler, elle choisit, en attendant, l'imaginaire peuplé de sorcières et de djinns, indéniablement perçu comme un espace de liberté, libérateur, ne serait-ce que le temps de lecture.