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UN SOIR, UN IDIOT À L'OPÉRA

par Sid Lakhdar Boumediene

La culture ne vient pas à vous facilement, elle exige un travail et une constance et ne vous donne les clés d'entrée dans son monde qu'à cette condition.

J'ai reçu, hier soir, une leçon bien méritée de sa part qui m'a rappelé ce que j'avais oublié. Tout part de deux cadeaux pour une entrée à un spectacle à l'Opéra de Paris pour le départ vers un autre poste de mon algéroise.

Pour un tel moment dans un monument prestigieux, la culture vous fait savoir, dès le départ, que vous n'y étiez invités qu'au prix exorbitant des billets d'entrée. Bien entendu que ce prix dénonce son côté le plus répréhensible par l'exclusion de ceux qui n'en ont pas les moyens, mon propos dans cette chronique est tout autre.

La culture veut prouver que ce n'est pas une excuse pour ceux qui ont tourné le dos volontairement, par ennui ou par refus de faire l'effort de la comprendre lorsqu'elle essaie de vous élever au-delà de l'écoute de Taylor Swift sur Spotify ou sur les K7 de ma génération pour les Beatles.

Ce soir-là, elle voulait éprouver mes capacités dans les sphères hautes de son domaine, les plus hermétiques et les plus difficiles à comprendre et à en tirer plaisir, plus facilement arraché lorsqu'il s'agit de littérature ou de peinture.

Dès la première demi-heure, je me suis senti humilié et accablé. Un très fort sentiment m'avait envahi. Un de ceux que vous ne voulez pas voir, de ceux qu'on devine et qui vous accable. Je connaissais son effrayant verdict depuis plusieurs décennies par mon ancien métier.

C'était le spectacle que donnait le cancre du fond de la classe au bout d'un quart d'heure de cours qui lui était impossible de supporter s'il ne prenait pas sa dose d'antidépresseur, le bavardage.

Ce terrible sentiment, je l'ai eu, ce soir-là, je m'ennuyais !!!

Je ne comprenais rien si ce n'est voir des pirouettes, encore des pirouettes, toujours des pirouettes qui semblaient ne jamais vouloir s'arrêter. Les situations comme les décors défilaient sur la scène, ils étaient totalement opaques dans leur compréhension.

Au cours du second acte sur les trois de l'œuvre, tout s'est subitement éclairé. J'avais totalement oublié ce que j'avais pourtant redécouvert avec mes étudiants en arts appliqués sans en être le professeur de tous les arts mais de droit.

J'avais oublié tous les articles que j'avais publiés, notamment en 2020. Il ne faut jamais se risquer à écouter ou voir une œuvre lyrique sans en avoir un minimum de connaissances. J'avais compris que si j'étais un idiot à l'Opéra ce soir-là, c'est que je n'avais pas fait l'effort de consulter une documentation qui me fasse connaître l'œuvre dans son histoire, elle-même dans un contexte historique et la vie et la production d'un auteur. Pour les airs d'opéra classique, mon apprentissage avait été facilitée par leur écoute mille fois répétée tant ils étaient célèbres. J'ai pu y entrer car la connaissance de l'opéra de Carmen ou de Figaro est préparée depuis l'enfance. Surtout lorsque les œuvres sont tirées de romans aussi connus que Tintin et Milou. L'approfondissement de la connaissance permet alors de donner une pleine dimension au plaisir qui est sublime.

De retour à la maison, avant de dormir, malgré l'heure tardive, je me suis jeté sur une compilation de textes à propos de Mayerling, l'œuvre présentée en ballet.

Et là, mes chers lecteurs, tout s'était éclairé, je venais enfin de comprendre le sens des pirouettes et l'histoire déroulée par les différents tableaux qui se succédaient.

Miraculeusement, chaque pirouette, chaque note de la musique de l'œuvre interprétée par un majestueux orchestre m'apparaissaient comme la magie d'un matin naissant. J'avais redécouvert combien ces pirouettes servaient magnifiquement l'œuvre. Chacune d'elles évoquait tous les sentiments humains qui s'expriment à travers l'histoire racontée, la colère, l'amour, les ambitions et les drames.

J'avais enfin pu être admiratif rétroactivement devant une virtuosité de danse acquise pendant des années et répétée pendant des dizaines de semaines pour pouvoir aboutir à ce magnifique spectacle. C'était le résultat extraordinaire d'un travail acharné.

Je venais de voir le drame du suicide du fils de l'empereur François-Joseph 1er d'Autriche et de son épouse, la merveilleuse Sissi, celle pour laquelle tant d'Algériens aussi bien que le monde entier étaient scotchés devant un écran de télévision. Qui ne se souvient pas de cette merveilleuse interprétation de Sissi l'impératrice par la sublime Romy Schneider ?

Son fils, comme sa maîtresse, furent retrouvés morts dans le pavillon de chasse, Mayerling, voilà pourquoi le titre du ballet. Les raisons des deux suicides, en étaient-ils ?, n'ont jamais été élucidées. Voilà pourquoi la culture ne vous ouvre jamais ses portes aussi facilement sans que vous lui prouviez votre travail et envie de vous cultiver. Contrairement à une idée si facilement répandue, la sensation créée par la vue et l'écoute d'une œuvre ne suffit pas.

Voilà pourquoi nous pleurons notre insouciance de jeunesse à ne pas être entrés dans sa connaissance et prendre sur soi l'effort qui nous semblait impossible à cette époque de la vie.

Rien n'est pourtant définitif, je venais de découvrir à mon âge, la beauté d'un ballet qui vaut les centaines d'heures que nous passions à jouer au football. Mais malgré tout, la culture doit faire un effort pour nous laisser venir à elle. Si l'exorbitant prix des billets a été plus facile à subir car offerts, la canette de coca à l'entracte pour 5 euros nous prouve qu'elle a, elle aussi, beaucoup d'efforts à faire. L'édifice est somptueux mais, lui, je l'avais découvert auparavant en visite guidée. À lui seul il est un moment de jouissance culturelle offerte par le très grand et talentueux architecte, Charles Garnier. Hier soir, je suis allé dormir un peu moins inculte.