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Ferveur littéraire ou illusion médiatique

par Mustapha Aggoun

Dans l'effervescence du Salon international du livre d'Alger, il est fascinant de voir cette marée de jeunes se précipiter, non pas pour découvrir de nouveaux horizons littéraires, mais pour un livre précis, un auteur en particulier. Un instant de foule, un moment qui interroge. Que cache cet engouement soudain ? Est-ce la force irrésistible de la lecture, la promesse de nouvelles idées ? Ou bien ce tumulte n'est-il que le reflet d'un phénomène plus insaisissable, un reflet d'images et de désirs fabriqués par l'écho persistant des réseaux sociaux ?

Pour certains, cette scène est le signe vibrant d'une passion renaissante, celle d'une jeunesse avide de mots, enfin éveillée à la beauté des pages imprimées, prête à absorber les idées de ceux qui écrivent. Peut-être est-ce là, se disent-ils, le souffle d'une nouvelle génération de lecteurs, qui donne espoir en la pérennité du livre. D'autres, cependant, voient dans cet enthousiasme une chimère, une quête illusoire attisée par le battage médiatique. Une jeunesse, disent-ils, piégée dans un mirage, cherchant non pas la profondeur des mots, mais la satisfaction fugace d'avoir côtoyé une célébrité, juste l'ombre fugace d'une rencontre, la brillance d'une image. Ainsi, pour une partie de ces jeunes, l'auteur devient plus important que l'ouvrage, comme un personnage plus grand que ses propres œuvres. Il ou elle incarne la célébrité construite par l'empreinte digitale, l'icône que l'on suit et avec laquelle on rêve de s'afficher. Une photographie, une poignée de main, suffisent à faire d'eux des témoins d'un moment ancré dans la culture de la visibilité.

Cette question revient sans cesse, puissante et insistante : pourquoi ce livre, et pas un autre ? Pourquoi cet auteur, et pas un autre écrivain ? En ces lieux d'abondance littéraire, où des milliers de livres déploient leurs mondes, où des centaines d'auteurs partagent leurs histoires, pourquoi cet intérêt singulier pour un seul visage, une seule couverture ?

Les réseaux sociaux ont redessiné les contours de notre rapport à la culture. Plus puissants que les moyens traditionnels, ils jouent un rôle quasi-hypnotique sur les jeunes, transformant la quête de lecture en une quête de l'instantané, du sensationnel. Cet élan n'a plus pour but la connaissance mais l'émotion fugace de l'image, la réaction rapide et facile, l'adhésion collective à des tendances qui, demain, pourraient s'évanouir. Les jeunes sont comme happés, guidés par une impulsion qui les mène vers ce qui est populaire, vers ce qui brille davantage.

Je me souviens de la venue en Algérie d'un jeune prédicateur, Wasim Youssef. Sa renommée, bien que sans fondement solide selon les plus grands savants, n'en avait pas moins été amplifiée par sa maîtrise des réseaux sociaux. Il fut reçu comme un érudit, adulé par une foule avide de sa présence. Mais l'image parfaite s'est brisée lorsque, peu après, il s'est engagé à promouvoir la normalisation avec les sionistes, reniant les droits des Palestiniens, révélant ainsi l'envers de son influence.

Devant cela, il devient difficile de ne pas ressentir une certaine amertume, un scepticisme presque inévitable. Ce que nous voyons aujourd'hui, ce n'est pas un éveil littéraire, ce n'est pas une soif véritable de connaissance, mais le produit d'une culture façonnée par l'instantanéité des réseaux sociaux, par l'envie de voir et d'être vu, sans s'attarder sur la profondeur. La lecture, ici, devient un objet de consommation rapide, réduit à l'image de son auteur, effaçant l'essence même de l'expérience littéraire.

Loin d'être un acte intime de découverte, la lecture devient alors un acte social, une étiquette, un reflet de soi dans le miroir du monde numérique. Que restera-t-il de cette ferveur éphémère ?