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Le «Messie» saoudien au SILA

par El Yazid Dib

Après avoir vu ces masses humaines, ce monde fou faire la chaîne aux cris hystériques de jeunes filles, pour acquérir un des livre de ce Oussama, auteur saoudien, j'ai acquis la franche certitude que j'évolue dans un monde qui n'est plus le mien et que je dois le quitter en toute sérénité. Tout un service d'ordre, des corridors, des agents de gardiennage, des éléments de la sécurité sont mis en branle pour canaliser une foule en totale effervescence. Je n'ai jamais vu autant de ferventes lectrices faire de la bousculade, du coude-à-coude pour une «fantasy» devant un romancier. Seul Yasmina Khadra avait pu drainer une foule, pas aussi dense que celle-là. L'on dirait une super star du raï ou un rifka de l'époque. Oui à chacun son style, à chacun ses fans. Questionnées par mes soins, pourquoi ne lisez-vous pas nos écrivains Mohamed Dib, Mouloud Feraoun, Mammeri, Kateb Yacine, deux jeunes filles au moule de nonnes, livre en main, étreint comme un amant, me répondent, yeux écarquillés : Pourquoi ? Ils sont là, ici dans le SILA ! Mon inquiétude s'est aggravée, car ces jeunes filles ignorent même le décès des auteurs suggérés, voilà plus de 40 ans ! Elles ont compris qu'ils sont là, quelque part dans un stand en séance de dédicace !

Dépité, je quitte définitivement ce SILA et j'annule toutes les séances de signature programmées pour mes ouvrages. Je me noie dans «Le déluge» pour rejoindre mon «L'îlot».

D'autant plus que des chaînes de télévision nationales privées, de tout bord ont fait de cette huée un évènement culturel de niveau. Au lieu d'aller chercher ce qui a motivé cette catégorie de jeunes à s'amouracher de cet écrivain, de fouiner dans l'idéologie que véhicule son œuvre et d'expliquer la haute préférence dont il est investi par rapport aux auteurs algériens, toute expression d'écriture confondue, elles se sont bien mises, otages de la stratégie de la machine du terrible marketing qui est derrière ce «phénomène». Un auteur saoudien ?

Quand l'on saura qu'il est âgé de 45 ans, avec une enfance passée aux États-Unis, avec dans sa sarcelle 32 romans, dont la plupart ont été traduits en anglais, on peut ainsi comprendre les miracles messianiques d'une certaine intelligence toute désignée dès la prime jeunesse étasunienne. Rajouter à cela la dynamique du lobbying et voilà que les sources de l'apogée s'expliquent en partie.

Mais en finalité, je crois qu'il a raison de déclarer lors d'un récent entretien «Je pense que les anciens modèles ne sont plus attrayants pour cette génération. Utiliser un langage difficile et mettre en avant ses compétences linguistiques et cognitives pour défier le lecteur n'est plus attrayant. Les lecteurs d'aujourd'hui ont besoin d'une histoire simple, bien tissée et dans un langage fluide».

En l'état, il ne faut plus se tortiller l'arachnoïde pour peinturlurer avec une escouade lexicale un artefact épistolaire alors que sans boudage et avec des mots simples l'on peut faciliter la vie au lecteur. Voilà le message que tend à nous diffuser la foule du SILA.