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Le
second long métrage d'Anis Djaad est un drame social
qui met en scène et en valeur Samir El-Hakim et quelques étonnants comédiens du
théâtre de Mostaganem.
Dans le cinéma algérien contemporain, Anis Djaad est un cas à part. Film après film, il brouille tous les radars de la critique et rend difficile toute tentative de classification idéologique et artistique de ses œuvres. Comme un électron libre et ivre qui se contrefout aussi bien de l'air du temps (et des sujets qui «marchent»), que des injonctions du moment (les sujets qu'il faut impérativement «éviter»). Avec le recul, ses courts métrages ressemblent à des petits manifestes de résistance au grand formatage des films. Tournant avec peu de moyens, il n'arrive pas toujours à ses fins, mais au moins ses films n'ont pas de date de péremption. On peut encore regarder aujourd'hui comme s'ils étaient réalisés cette année : «Le Hublot» (2012 ) et ses jeunes désœuvrés qui ont autre chose à faire que de susciter de l'empathie ou de la pitié, et l'étrange et méditatif «Passage à niveau» (2014), sur la solitude d'un vieux garde-barrière de trains. Ces courts annonçaient déjà une envie d'aller voir ailleurs, précisément pour montrer des ailleurs familiers mais étrangement absents du cinéma algérien Avec son premier long, les intentions se précisent. À la manière d'un Almodovar recyclant les ingrédients des soap-opéras pour leur offrir le meilleur écrin possible sur grand écran, Anis Djaad s'empare des recettes de «la DZ-drama», le feuilleton social et dramatique algérien, pour tenter de cuisiner des films de qualité qui ne tourneraient pas le dos aux attentes présumées du grand public. Dans «La vie d'après» (2021), une veuve dont le mari a été tué par des terroristes islamistes, flanqué de son jeune fils névrotique, est contrainte de déménager d'un village à l'autre pour échapper aux harcèlements. Si la réalisation technique est plutôt soignée, le film peine pourtant à convaincre, sans doute parce que les interprètes principaux sont très loin des ambitions affichées par l'auteur. Est-ce pour se venger de ce raté qu'Anis Djaad s'est investi comme jamais dans la direction de ses comédiens dans son deuxième long métrage «Terre de Vengeance» ? Dire, une fois de plus, tout le plus grand bien qu'on pense de Samir El-Hakim risque à la longue de devenir lassant, néanmoins on gardera pour une occasion plus propice la tentation de se démarquer coute que coute des jugements unanimes (Prix du meilleur acteur au dernier festival d'Oran), car non seulement le comédien est ici au top de sa forme pour son premier grand rôle au cinéma, mais il a réussi à valoriser ses partenaires de jeu, en n'en faisant jamais trop. Bref, ils sont tous très bons les comédiens du dernier film d'Anis Djaad, et comme cela n'arrive pas souvent dans le cinéma DZ- c'est le moins que puisse dire- on peut se permettre de le surligner ici. Zohra Faidhi dans le rôle de la sœur ? Tout simplement impeccable ! A-t-on déjà vu un frère et une sœur s'aimer dans un film algérien ? Meriem Medjkane, dans le rôle de l'épouse affranchie ? Parfaite de précision, enfin un rôle digne de son talent ! Et surtout, double révélation, venus du théâtre de Mostaganem, l'étonnant Mohamed Mouffok et la splendide Lydia Lebgae, qui se contentent d'être tout simplement le plus beau couple jamais vu dans le cinéma algérien, ils font preuve ici d'une étonnante subtilité dans des rôles très complexes. Sans oublier enfin Chawki Amari, impec dans ce qui semble être devenu son nouveau registre : le rôle du vieux patron pourri. Pour la mise en scène, Anis Djaad pend le risque de privilégier les plans fixes à la manière du cinéaste turc Nuri Bilge Ceylan. Jamais ce dispositif «auteuriste» n'est gratuit pour autant, la forme est au service du fond : dans ce drame âpre et inconfortable qui se déroule d'abord dans les quartiers pauvres de Mostaganem avant de nous embarquer dans un douar de l'ouest algérien, le réalisateur nous invite d'abord à découvrir et à ressentir des territoires oubliés, avec leurs climats et leurs atmosphères, filmant avec une précision de sociologue les intérieurs (maisons, bureaux, administrations, cafés) et les extérieurs (petits vergers du Paradis dans l'Enfer de la campagne sèche et bétonnée ). Acclimaté à son contexte géographique et social, le film épouse le rythme du temps tel qu'il s'écoule dans ces terres balayées par la misère et l'ennui. Grace au remarquable travail du directeur photo Hamoudi Laggoune (Kindil Al-Bahr de Damien Ounouri et les meilleurs des derniers films de Merzak Allouache), on a l'impression de sentir au plus profond cette «Terre de Vengeance»- excellent titre- en même temps qu'on ressent les affects profonds des protagonistes. Le héros du film aurait pu être l'antihéros par excellence, la figure romantique du voyou-justicier qui règle ses comptes à sa sortie de prison, que nada ce n'est pas du tout cela ! Quand il sort de taule le personnage incarné par Samir El-Hakim apprend qu'il a tout perdu : sa maison, sa femme, son fils. Tentant de récupérer l'argent qu'on lui doit pour les besognes qui l'ont conduit à 3 ans de prison, il se fait tabasser comme une sous-merde. Il ne lui reste plus que de tenter le retour à la terre, dans son douar, où il devra affronter l'aridité de la nature et la rancune des cœurs blessés. La bonne idée du film est de prendre la défense de ce paria sans jamais le transformer en victime. Attachant sans être sympathique, notre pauvre diable va se battre non pas pour rétablir un semblant de justice (de ce côté-là c'est râpé) mais pour conserver un semblant de dignité. Il ne faudrait ni trop spoiler le film (pour lui attirer le maximum de spectateurs le moment venu), ni trop dire que sous ses airs de western méditerranéen c'est l'oeuvre la plus politique qu'on ait eu l'occasion de voir ces dernières années (pour ne pas lui attirer d'ennuis). Mais au moins on peut saluer les prouesses de l'auteur-réalisateur qui a su reprendre tous les thèmes récurrents de la drama algérienne (les conflits-familiaux, la lutte des classes, les rapports hommes-femmes, la misère sociale) pour les sortir des cadres simplistes -pour ne pas dire niais, moralistes et moralisants- auxquels ils sont automatiquement cantonnés dans les séries et les films produit en Algérie ou ailleurs dans la région. Profondément algérien et absolument universel, «Terre de Vengeance» est, pour reprendre la formule consacrée. Un film qui parle de son époque. Mais en lui crachant dessus, c'est quand même la moindre des politesses. |
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