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C'est par le débat que les
nations progressent et les sociétés évoluent. Autant le débat est source de
consensus et de cohésion, autant la polémique est, elle, source de divisions et
de solutions inadaptées, surtout quand il s'agit de la santé, facteur de
cohésion sociale.
Malheureusement, au lieu de débat, c'est le début d'une polémique autour des «traitements innovants» qui est rapportée par certains titres de la presse nationale. Un «quotidien» titre «Prescription de traitements innovants contre le cancer : Une décision ministérielle sème la zizanie». (Il s'agit de la décision portant sur la désignation de trois services hospitaliers référents en oncologie pour leur accorder l'exclusivité de prescription des traitements innovants). Un autre «quotidien» titre «Des oncologues exigent l'accès aux molécules innovantes à tous les patients algériens». Le terme «exige» lui-même exclut toute idée de débat. Les deux articles m'ont interpellé comme ancien chef de service, mais surtout comme l'un des pionniers de la lutte contre le cancer à Oran, sous la direction de mon maître le Pr BOUDRAA (Allah yerhamah). Au cours de ce mois de novembre, deux quotidiens de la presse nationale ont publié ma contribution sous le titre «Les traitements innovants du cancer, un grand pas pour l'humanité, mais?». Du fait du coût de plus en plus élevé de ces traitements, de larges pans de la société humaine en seront exclus car pauvres, ou citoyens d'un Etat à faibles ressources, ou encore, tout en vivant dans un pays riche, sont dépourvus de couverture sociale. Je citais dans cette contribution la déclaration de l'OCDE en janvier 2017 «Les prix menacent l'accès aux soins? C'est remettre en cause l'égalité d'accès à l'innovation et aux meilleurs traitements à l'ensemble des citoyens». Quant à la société française, elle craint la remise en cause du système social français du fait de ces coûts. Devant cette ascension vertigineuse des coûts des traitements innovants, aucun pays, même parmi les plus riches, ne peut faire l'économie d'un débat, particulièrement du financement de la prise en charge, engageant l'avenir de la santé de la population. Je terminais ma contribution par le regret que l'Algérie vit en marge de ce débat, en émettant le souhait qu'un tel débat national s'engage. Cette semaine donc, l'on apprend par voie de presse que des oncologues exigent l'accès aux traitements innovants pour tous les patients algériens. Cette revendication de la part du corps médical est légitime. Dans l'absolu, tout médecin est en droit d'exiger de prescrire à son patient le traitement le plus efficace, pour le guérir, lui permettre un confort de vie et aussi une réinsertion socio-professionnelle. Cette exigence est d'autant plus légitime qu'il est prescrit que la protection de la santé de la population est une mission régalienne de l'Etat. Cependant, le médecin, faisant partie de l'élite de la société, ne peut s'isoler dans une «tour d'ivoire médicale» et ignorer les retombées économiques, particulièrement sur le financement du système de santé tout entier. En plus clair, a-t-on le droit de favoriser la prise en charge d'une pathologie au détriment d'une autre, parfois tout autant handicapante ? Observons les indicateurs économiques de santé en Algérie par rapport aux pays riches dont on revendique les mêmes niveaux de soins. Les DNS (Dépenses nationales de santé) en Algérie sont de 6.8% du PIB (Produit Intérieur Brut), celles des pays riches en sont de 11 à 15%. La dépense de santé par habitant en Algérie est de 932 $US alors qu'elle est de 3000 $US en France, 5200 $US en Suède, 2700 $US en Belgique, 2900 $US en Espagne et en Italie (Données Banque Mondiale 2016). Dernier indicateur, la dépense des ménages varie entre 25 et 29% (d'autres l'évalue à 35%) alors qu'en France, elle est de 9 à 10%. Ce dernier indice montre bien les inégalités d'accès aux soins dues à la précarité financière de nombreux ménages à faibles revenus. Les données comparatives prouvent que l'Etat algérien ne peut offrir à ses citoyens le même niveau de prestations que celles des citoyens des pays riches, tout au moins régulièrement et continuellement et ce, en fonction des conjonctures économiques. Toute autre affirmation relève du populisme et ne peut avoir d'incidence positive sur la prise en charge des patients. Ceci même si l'Etat a consenti et consent encore de manière continue un effort important pour la prise en charge des patients et notamment ceux touchés par le cancer, en investissant dans les structures, le recrutement et la formation de personnels, les équipements et les médicaments, ce, malgré une conjoncture économique défavorable. La preuve est qu'aucune amputation du budget de la santé n'est envisagée. Selon les rédacteurs du PNC (Plan National Cancer ? 2015/2019), l'enveloppe budgétaire en médicaments contre le cancer a été en 2014 de 29,7 milliards de dinars dont 22 milliards, soit 79% de l'enveloppe globale pour les thérapies ciblées qui ne concernent que 20% des patients. Cette part ira certainement en croissant dans les années à venir du fait de l'introduction, dès 2019, de nouvelles molécules et l'immunothérapie, encore beaucoup plus coûteuses. Toujours est-il que, selon le PNC, du fait des données éparses et incomplètes, et sans coordination, il est difficile d'évaluer le coût global de cette pathologie. Cette polémique, née de la prescription des traitements innovants du cancer, a été anticipée par le PNC : «Le domaine de la chimiothérapie est en constante évolution avec l'utilisation de molécules réputées de plus en plus efficaces, mais coûtant aussi de plus en plus cher ? C'est à ce niveau que le rôle de l'interdisciplinarité est important. Car ce n'est que sous un aspect de collégialité respectant les normes scientifiques et les règles éthiques que le traitement de tous les malades se fixe avec plus d'efficacité et plus d'efficience?». Le PNC recommande (Action 1-1, mesure 4) d'adopter le consensus thérapeutique pour les cancers les plus fréquents. Ces conférence de consensus, comme je l'avais écrit dans une précédente contribution, doivent être neutres, non sponsorisées par un quelconque laboratoire pharmaceutique et ce, pour éviter tout conflit d'intérêt. Sur cette question, en 2012, un professeur de médecine d'Alger exprimait dans une interview sa crainte de voir «les lobbys pharmaceutiques imposer à l'Etat sa politique de médicaments». Aussi, la dernière décision ministérielle est en contradiction avec les recommandations du PNC. Les sociétés mènent une guerre contre les maladies, et notamment le cancer. Le nerf de la guerre est l'argent. C'est pourquoi, non seulement il faut disposer de ressources financières suffisantes, mais maîtriser rationnellement leur utilisation. Le PNC, dans son axe stratégique 8, recommande «d'optimiser et rationaliser les ressources financières»? «La nécessité d'un changement radical des modes de gestion et de financement des activités médicales à l'effet d'assurer la bonne gouvernance et d'en maîtriser les coûts?». Cependant, la matérialisation de cette recommandation est difficile actuellement du fait des insuffisances évidentes de notre système de santé tant est sa désorganisation. Dans son rapport sur la santé dans le monde, dans le chapitre relatif aux financements des systèmes de santé (2010), l'OMS recommande aux gouvernements de promouvoir l'efficience et éliminer le gaspillage. Toujours selon l'OMS, dans le même rapport, «Ce qui présente un obstacle pour le financement d'un système de santé pour son organisation, c'est l'utilisation inefficiente et inéquitable des ressources ? 20 à 40% des ressources de santé sont gaspillés et ce, en fonction du degré d'organisation des systèmes». De ce qui précède, l'on voit bien que ce n'est pas tant l'importance d'un budget global qui conditionne la prise en charge des patients, mais bien son utilisation optimale et rationnelle. Cela ne pourrait être possible que si le système de santé est organisé et cohérent. Malheureusement, notre système de santé est déstructuré et l'on se rend compte que, malgré les efforts d'investissement, le patient continue de rencontrer des difficultés d'accès aux soins, non seulement pour la pathologie cancéreuse, mais aussi pour toutes celles chroniques. Une refonte en profondeur de notre système de santé est plus qu'indispensable. Cette revendication n'est pas nouvelle. Elle revient comme un leitmotiv depuis des décennies. Dès 1990, un «rapport annuel sur l'organisation de la santé» élaborée par une commission intersectorielle énonçait les insuffisances de la politique du système de santé, lesquelles ont abouti à la désarticulation de ses principales composantes (du système de santé). En mai 2001, dans un rapport émanant du ministère de la Santé, intitulé «Développement du système national de santé : Stratégie et perspectives», énonçait : «La situation actuelle est caractérisée par une accumulation de problèmes évoluant depuis la fin des années 80 et conduisant à une destruction progressive du système de santé?». Au début des années 2000, une commission de la réforme hospitalière, présidée par le Pr M. ZITOUNI, énonce que «la réforme hospitalière doit s'inscrire dans le cadre d'une politique globale de la santé» et d'ajouter «Les capacités du secteur de la santé de la population s'amélioreront à condition que les contraintes externes soient levées» et de conclure «à la condition que la volonté politique soit au rendez-vous». Ce rapport tirait sa force de la pertinence de son analyse et de la justesse de ses recommandations. Malheureusement, 15 ans après, le système de santé n'a connu aucune amélioration du fait d'un manque de perspectives que seule une réforme aurait prévues. L'on s'est contenté de slogans populistes et de replâtrage en fonction des conjonctures sociales et économiques. Seul un système de santé cohérent, adopté par consensus par la société, permettrait d'éviter toutes les dérives, les polémiques, les décisions bureaucratiques, et permettrait l'accès aux soins à tous les patients, quelle que soit la pathologie. C'est dans un tel système que le PNC 2015-2019 trouvera toutes les conditions favorables pour sa réussite, et surtout, préparera les conditions de succès du prochain plan. C'est pourquoi l'on ne cesse de revendiquer un débat national sur le système de santé, un débat inclusif, démocratique, au-dessus des contingences idéologiques ou politiques. Il s'agit d'organiser un débat véritable sur la santé, qui suppose le développement d'une démocratie sanitaire réelle avec l'ouverture d'un débat aux usagers, aux mouvements associatifs, aux professionnels des secteurs public et privé, aux sociétés savantes et aux organismes en charge des assurances maladie. Tous doivent contribuer et favoriser l'émergence des conditions et le mode d'expression qui donnent un contenu et un aboutissement concret au débat. Enfin, ce débat doit être basé sur les réalités d'aujourd'hui et structurant sa transformation dans une perspective débattue, claire et transparente. * (Ancien Chef de Service ? CHUO) |
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