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Livrés à eux-mêmes, au crépuscule de leur vie, des Algériens qui ont consacré toute leur jeunesse à la construction de la France risquent à tout moment de perde l’un de leurs plus grands acquis, le droit aux soins et à la sécurité sociale en terre française. Des dizaines de milliers d’Algériens résidant en France vivent une situation pour le moins dramatique. Ces retraités qui ont travaillé durant toute leur vie dans des conditions extrêmement difficiles et qui ont servi de main-d’œuvre «bon marché» à partir des années 1950 sont devant un vrai dilemme. De part leur statut d’immigrés retraités, ils sont actuellement « coincés » car ils ne leur est pas permis de s’absenter plus de trois mois par an hors de la France, au risque de perdre leur couverture sociale alors que cette dernière leur est indispensable sachant qu’ils sont tous vieux et sujets à diverses maladies. Il faut rappeler que dans les années 1950, les besoins de main-d’œuvre étaient énormes. Pour l’État français, se pose très vite la question de l’hébergement de ces travailleurs immigrés, dont le séjour se voulait, dans la réalité, provisoire. De nombreux bidonvilles voient ainsi le jour dans les périphéries des grandes agglomérations, comme celui de Nanterre en 1953. Entre 1950 et 1970, les foyers de travailleurs migrants sont construits notamment par le biais de la Société nationale de construction de logements pour les travailleurs (Sonacotral), un organisme aujourd’hui appelé « Adoma ». Il s’agit de minuscules chambres individuelles, avec des espaces communs comme la cuisine et les sanitaires. Mais ce qui devait être un logement temporaire est devenu «leur chez-soi» et leur domicile fixe. Certains ont passé toute leur vie dans la même chambre. Ces Chibanis se sont sacrifiés durant toute leur vie pour contribuer à la construction de la France d’aujourd’hui et ont permis, grâce à leurs salaires, à faire vivre en Algérie enfants, familles et villages entiers. De leur vie de travailleur en France, ils n’ont récolté que le plaisir d’une mission accomplie au prix de la perte de leur santé (pathologies souvent lourdes liées aux accidents de travail, dépressions et problèmes psychologiques, respiratoires, cardiaques…). Après des années de surexploitation dans les mines, la sidérurgie, le textile, le BTP, ils doivent faire face aujourd’hui au vieillissement et les conséquences dramatiques qui en découlent. Leur espérance de vie a grandement diminué. Ils sont, selon l’association ADRA (Association des Algériens des deux rives et leurs Amis), plus de 245 000 personnes à vivre ce problème qui est, en réalité, une « discrimination » puisque le problème ne se pose pas pour les Français d’origine alors que la loi devrait être la même pour tout le monde. Selon ADRA, l’une des rares associations, en France, constituée de bénévoles algériens et d’autres pays maghrébins, ces personnes souffrent d’un vieillissement physiologique et de dépression liée aux conditions de travail. Ils ont des pathologies liées aux mauvaises conditions de vie dans leurs logements et dans les foyers Adoma, sachant qu’ils sont logés dans des chambres insalubres et ont des carences alimentaires et souffrant pour la plupart d’infections respiratoires. Par ailleurs, certaines maladies métaboliques comme le diabète sont observées particulièrement chez les « Chibanis » marocains et algériens, selon toujours cette association qui souligne que ces vieux immigrés arrivés au crépuscule de leur vie ne connaissent pas leurs droits et ne sollicitent pas les services sociaux et sanitaires de droit commun pour faire valoir leurs droits, même élémentaires notamment ceux liés à la retraite, les services d’aide à domicile ou la prise en charge dans un foyer. Nous avons visité l’une de ces chambres, située au 3, place Cambron, dans le 15e arrondissement de Paris. Occupée par H. Moussa, la chambre est une sorte de cellule de 9 m2 qui ne dispose ni de toilettes ni de douche. Pour faire ses besoins, il faut traverser un long couloir. En fait les toilettes et la douche sont partagées par tous les voisins de palier qui sont au moins au nombre de 6 personnes. A l’intérieur de cette « cellule » située au 1er étage, un lit superposé, une vieille télévision, quelques meubles de fortune récupérés dans la rue, un mini-frigidaire sur lequel est posée une « plaque chauffante » pour faire la cuisine. L’homme né en 1929 est arrivé en France deux années avant l’indépendance du pays, à la recherche d’un travail. Il a exercé dans le secteur du bâtiment et de la construction durant plus de 23 ans avant de terminer sa longue « carrière » en qualité d’agent d’entretien. Très vulnérable, H. Moussa, qui n’a jamais appris à lire et à écrire, vit seul depuis des années. Il y a quelques jours, il a été, raconte-t-il, victime d’une escroquerie qui lui a valu toutes ses économies. En effet, quelqu’un qui serait probablement de son entourage a imité sa signature, s’est procuré une nouvelle carte bancaire en son nom et a retiré tout son argent. H. Moussa, sans ressources durant une période de près d’un mois, n’a pu tenir que grâce à l’association ADRA qui lui a porté assistance en l’accompagnant même au niveau de la police pour porter plainte. Combien de personnes sont dans la même situation ? Personne n’est en mesure de le dire. Ces compatriotes âgés ont moins souvent recours aux maisons de retraite. Ils souhaitent se maintenir le plus longtemps possible à leur domicile et, surtout, dans leur foyer. Ils expriment leur volonté de rester avec leurs amis qui, le plus souvent, résident dans le même foyer. Il est important de prendre ici cette dimension en considération, d’autant plus que les migrants âgés vivent souvent loin de leur famille. Leurs amis qu’ils côtoient en France et dans ces foyers représentent souvent pour eux la seule famille en terre étrangère. Le refus de demandes pour intégrer des maisons de retraite peut s’expliquer aussi par d’autres raisons : le coût de ces maisons, prohibitif au regard de leurs faibles ressources, la réticence des intéressés à être pris en charge par l’aide sociale de la ville, qui suppose parfois une obligation alimentaire dont ils ne veulent pas, le manque d’adaptation des structures existantes à leur mode de vie. On observe en effet un décalage entre les dispositifs de droit commun destinés aux personnes âgées et les caractéristiques culturelles des populations issues de l’immigration. Autre observation, soulevée par le président de l’ADRA, Yougourthen Ayad, que nous avons rencontré chez lui à Paris, c’est l’écart des réseaux de proximité - notamment les commerces de proximité, les gardiens d’immeuble ou les cafés sociaux. Alors que la plupart de ces personnes sont toujours autonomes et peuvent effectuer les actes de la vie courante. Le président de l’association qui a été agressé à trois reprises et dont le siège a été incendié, affirme que ces « Chibanis » ne participent pas non plus à la vie locale et échappent aux campagnes de prévention. « Les permanences sociales sont nombreuses à nous faire part de leur sentiment d’isolement et de leur besoin d’écoute. La vie de ces migrants est fréquemment faite d’aller et retour au pays. Mais ils ne sont ni d’ici, ni de là-bas et, à force de vivre dans les foyers, ils ne peuvent plus s’en détacher. Même mariés ou vivant aux foyers de travailleurs, certains se trouvent dans un extrême isolement socio-affectif, loin de la famille, sans qu’une réelle solidarité intergénérationnelle se manifeste en France », affirme M. Ayad qui souligne dans le même cadre que la plupart du temps ces vieilles personnes vivent sans leur conjoint et sans leurs enfants et qu’ils ont la nostalgie du pays quand ils sont en France, et la nostalgie de la France quand ils sont au pays. Un rapport de l’assemblée populaire française a suggéré au gouvernement en 2012 quelque 82 préconisations pour régler définitivement le problème des 850 000 vieux immigrés de différentes nationalités mais une seule a été prise en considération par l’Etat français. Il s’agit de l’opportunité de prévaloir à la nationalité française pour tous les immigrés qui justifieraient d’une présence sur le sol français durant une période de 25 ans. Cette « mesure » permettait ainsi de garder tous ses droits en matière de sécurité sociale même si vous êtes absents du territoire français. Mais cette « trouvaille » n’a pas réjoui grand monde puisque les immigrés dans leur majorité (en particulier les Algériens) ne veulent pas de la nationalité française, considérant que cela est contre la religion musulmane (Kofr). Pour eux, le fait de cotiser durant toute leur vie, à l’instar des travailleurs français, est suffisant pour bénéficier de la sécurité sociale, peu importe l’endroit où ils se trouvent. QUESTIONNEMENTS SUR L’EQUITE FISCALE ENTRE LES RETRAITES FRANÇAIS ET RETRAITES ALGERIENS DE FRANCE L’affirmation des droits des citoyens dans des textes solennels constitue un premier élément de protection pour ces vieux retraités. En effet, reconnaître des droits de manière officielle rend plus difficile leur violation caractérisée. Ces textes qui consacrent les droits sont notamment la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, le préambule de la Constitution de 1946, la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, la Convention européenne des droits de l’homme de 1950, la Charte de l’environnement (intégrée dans le préambule de la Constitution en 2005). En France, cette affirmation solennelle se double du rôle du Conseil constitutionnel. Depuis sa décision du 16 juillet 1971 de donner à la Déclaration de 1789 et au préambule de 1946 une valeur constitutionnelle, il vérifie que les lois respectent les droits définis par ces textes. Par exemple, sous réserve de travailler de manière déclarée, les étrangers bénéficient des prestations de la Sécurité sociale (assurance maladie, indemnisation des accidents du travail, retraite…). ADRA, qui organise régulièrement des actions d’aide, pas seulement au profit des immigrés mais aussi aux étudiants algériens et même aux réfugiés, grâce à des dons de bienfaiteurs, s’interroge : pourquoi un retraité contribuable de nationalité française peut décider de résider en Algérie ou ailleurs tout en bénéficiant d’avantages fiscaux et de sa couverture tandis que le retraité contribuable de nationalité algérienne n’a pas le droit de quitter le territoire français plus de 183 jours sous peine de perdre sa couverture sociale ? L’association interpelle à ce sujet le gouvernement algérien conformément à l’article 24 de notre Constitution qui consacre la sécurité et la protection de tout citoyen algérien à l’étranger et de faire valoir les droits des retraités algériens auprès de leurs homologues français. Elle interpelle également le ministère français des Affaires sociales, afin d’étendre aux retraités algériens la nouvelle carte de sécurité sociale « VITAL », mise en circulation dans l’hexagone depuis le 1er janvier 2014 au profit des retraités français de l’étranger. A l’adresse du ministère des Finances, ADRA préconise d’étendre aux retraités algériens de France l’accord bilatéral sur la double imposition, sachant que l’article 18 de la convention bilatérale permet de bénéficier des mêmes avantages fiscaux et surtout de subordonner à l’obligation aux retraités algériens de France de ne pas dépasser les 183 jours hors de France ! « Il devient urgent au vu de l’âge de nos retraités (Chibanis) à cause de leur faiblesse de bénéficier d’une retraite digne en sauvegardant la sécurité sociale dans leur pays d’origine, mais surtout avec une même équité que leurs homologues contribuables français désirant vivre au en Algérie », nous dira Yougourthen Ayad qui note qu’il est totalement discriminatoire que soit réalisée une différence de traitement entre des contribuables du fait de leur nationalité. |
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