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par Mariana Mazzucato 1, Ngozi Okonjo-Iweala 2, Johan Rockström3 Et Tharman Shanmugaratnam4 LONDRES
- Les inondations, les sécheresses, les canicules et les incendies qui ravagent
de nombreuses régions du monde mettent deux faits fondamentaux au premier plan.
Premièrement, les dégâts causés aux approvisionnements en eau douce mettent de
plus en plus à rude épreuve les sociétés humaines, en particulier les pauvres,
et ont des conséquences considérables sur la stabilité économique, sociale et
politique. Deuxièmement, l'impact combiné des conditions extrêmes actuelles est
sans précédent dans l'histoire de l'humanité et dépasse la capacité des
responsables politiques à réagir.
En Afrique de l'Est, une sécheresse dévastatrice de quatre ans a détruit des millions de moyens de subsistance et a laissé plus de 20 millions de personnes au bord de la famine. Au Pakistan, les récentes inondations ont submergé un tiers du pays, tuant au moins 1 300 personnes jusqu'à présent et détruisant 45 % des récoltes de cette année. En Chine, une canicule sans précédent a provoqué de graves pénuries d'eau dans les régions qui représentent un tiers de la production de riz du pays. En outre, les sécheresses et les incendies aux États-Unis et en Europe, ainsi que les graves inondations et sécheresses en Inde ont réduit les rendements céréaliers mondiaux et les exportations alimentaires, soulignant encore à quel point notre production alimentaire dépend de volumes d'eau stables et importants. Si l'on ajoute à cela l'impact de la guerre en Ukraine sur l'approvisionnement en céréales et en engrais, il existe un risque considérable que la crise alimentaire mondiale actuelle persiste. Pour la première fois de notre histoire, les activités humaines mettent en péril l'eau à sa source même. Le changement climatique et le déboisement remodèlent la saison de la mousson, provoquant la fonte de la glace sur le plateau tibétain et affectant les réserves d'eau douce de plus d'un milliard de personnes. La hausse des températures mondiales modifie les modes d'évaporation et réduit les réactions d'humidité des forêts, perturbant ainsi les précipitations sous le vent. Et un cycle mondial de l'eau déstabilisé aggrave en soi le changement climatique. Par exemple, l'épuisement de l'eau dans le sol et les forêts réduit leur capacité à séquestrer le carbone. Les restrictions sur l'utilisation de l'eau, les coupures de courant et d'autres mesures d'arrêt ne peuvent plus dissimuler sur le fait que nos systèmes de gouvernance et de gestion de l'eau ne sont pas adaptés à un monde de changements environnementaux radicaux. Tous nos arrangements actuels reposent sur l'hypothèse, maintenant invalidée, selon laquelle l'approvisionnement en eau est relativement stable (dans les limites de la variabilité naturelle), prévisible et gérable de manière localisée. Mais la crise de l'eau est mondiale et ne peut être résolue qu'au moyen d'une réflexion transformationnelle et par une nouvelle gouvernance. Nous devons reconnaître que tous nos principaux défis environnementaux sont liés à l'eau, qu'il y en ait trop ou trop peu, ou qu'elle soit trop polluée pour être utilisée par l'homme. La tâche consiste à présent à comprendre les liens entre l'eau, le changement climatique et la perte de biodiversité et à définir, valoriser et gouverner correctement l'eau comme un bien commun mondial. Penser à l'eau de cette manière nous permettra de mobiliser l'action collective et de concevoir de nouvelles règles qui placent l'équité et la justice au centre de notre réponse. Pendant trop longtemps, la plupart des gouvernements ont soit ignoré les défaillances du marché, soit répondu par des solutions rapides, plutôt que par la mobilisation des secteurs public et privé autour d'ambitions communes. Le secteur public doit se considérer comme un marché qui collabore avec toutes les parties prenantes de l'économie de l'eau pour créer des voies d'innovation et d'investissement, assurer un accès universel à l'eau potable et à l'assainissement et fournir suffisamment d'eau pour l'alimentation, l'énergie et les systèmes naturels. Une leçon clé des défis passés qui exigeaient une innovation systémique, c'est qu'une mission clairement définie est nécessaire pour organiser nos efforts. Les politiques axées sur les missions permettent aux gouvernements d'orienter l'innovation et le savoir-faire directement vers la réalisation d'objectifs ambitieux. Lorsqu'elles sont guidées par une approche inclusive du « bien commun », ces mesures sont sans pareilles quand il s'agit de fournir des solutions à des défis qui nécessitent d'énormes niveaux de coordination et de financement sur de nombreuses années. Le changement climatique, la perte de biodiversité et les crises de l'eau sont précisément des défis de ce genre. Des stratégies basées sur des missions peuvent aider les gouvernements à innover en se dotant d'un but, d'une orientation et d'une urgence. Mais pour être efficaces, les décideurs doivent tenir compte de l'expérience et de la sagesse des citoyens ordinaires, des communautés et des innovateurs qui savent prospérer dans un monde de pénurie d'eau, de températures plus élevées et de systèmes fluviaux et littoraux modifiés. Nous devons reconnaître à présent les menaces qui pèsent sur le système mondial d'eau douce et traduire notre prise de conscience en action collective. Parce que la rareté de l'eau mettra en péril tous les autres objectifs de développement durable, elle devrait renforcer notre détermination collective à limiter les augmentations de température à 1,5 °C au-dessus des niveaux préindustriels (comme spécifié dans l'Accord de Paris sur le climat), pour préserver les systèmes naturels qui assurent des modèles stables de ruissellement pluvial. Pour relever ces défis mondiaux, nous devons inclure les principes d'équité et de justice dans tous les nouveaux arrangements que nous concevons. Aucune communauté ne peut prospérer sans un approvisionnement fiable en eau pure. Mais la sauvegarde de ce bien commun mondial nécessite de nouvelles politiques et de nouveaux systèmes. Le droit et l'économie doivent être réorientés pour assurer un accès universel à l'eau potable, à l'assainissement et à l'hygiène et pour construire des systèmes alimentaires plus résilients et plus durables. Les incitations doivent changer afin que le secteur privé puisse faire sa part pour fournir un accès à la technologie et à l'innovation aux pays pauvres comme aux pays riches. Cela va exiger des financements à long terme et de nouveaux mécanismes visant à réguler la manière dont les secteurs public et privé œuvrent de concert. La Conférence des Nations Unies sur l'eau de 2023 - la première depuis près de 50 ans - sera un moment crucial pour que la communauté internationale commence à établir un avenir qui fonctionne pour tout le monde. En nous y préparant, nous pouvons nous inspirer de Nicholas Stern, qui a réécrit l'économie du changement climatique et de Partha Dasgupta, qui a réécrit l'économie de la biodiversité. En tant que quatre coprésidents de la Commission mondiale sur l'économie de l'eau, notre objectif consiste à transformer la compréhension mondiale de l'économie et de la gouvernance de l'eau, en mettant davantage l'accent sur l'équité, la justice, l'efficacité et la démocratie. Nous pouvons encore redéfinir notre relation avec l'eau et redessiner nos économies pour valoriser l'eau comme un bien commun mondial. Mais la fenêtre d'opportunité est en train de se refermer. Pour avoir une chance d'éviter une catastrophe climatique et de nous adapter à des changements inévitables, nous devons assurer un avenir résilient en eau pour les sociétés pauvres comme pour les sociétés riches. Quentin Grafton, Joyeeta Gupta et Aromar Revi, experts en chef de la Commission mondiale sur l'économie de l'eau, ont contribué à ce commentaire. 1- directrice fondatrice de UCL Institute for Innovation and Public Purpose - Présidente du Conseil sur l'économie de la santé pour tous de l'Organisation mondiale de la santé 2- Directrice générale de l'Organisation mondiale du commerce - Ancienne ministre des Finances et ministre des Affaires étrangères du Nigeria et ancienne Directrice générale de la Banque mondiale 3- directeur de l'Institut de recherche sur l'impact du climat de Potsdam 4- ministre principal au cabinet de Singapour, président du Groupe des Trente |