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YORK - Cela fait maintenant un an que j'explique que la hausse de l'inflation
serait persistante, que ses causes incluent non seulement de mauvaises
politiques mais aussi des chocs d'offre négatifs, et que la tentative des
banques centrales de la combattre provoquerait un atterrissage économique
brutal.
J'avais averti que, lorsque la récession arriverait, elle serait grave et prolongée, avec des difficultés financières et des crises de la dette généralisées. En dépit de leurs propos agressifs, les banques centrales, prises au piège de la dette, pourraient encore se dégonfler et se contenter d'une inflation supérieure à sa cible. Tout portefeuille d'actions risquées et d'obligations à revenu fixe moins risquées perdra de l'argent sur les obligations, en raison de la hausse de l'inflation et des anticipations d'inflation. Ces prédictions se sont-elles révélées exactes ? Premièrement, l'équipe « Transitoire » a clairement perdu face à l'équipe « Persistente » dans le débat sur l'inflation. En plus des politiques monétaires, fiscales et de crédit excessivement souples, des chocs d'offre négatifs ont fait exploser la croissance des prix. Les fermetures et blocages liés à la COVID-19 ont entraîné des goulots d'étranglement au niveau de l'offre, y compris concernant la main-d'œuvre. La politique chinoise du «zéro COVID» a créé encore plus de problèmes pour les chaînes d'approvisionnement mondiales. L'invasion de l'Ukraine par la Russie a provoqué une onde de choc sur les marchés de l'énergie et d'autres matières premières. Enfin, le régime élargi de sanctions - sans oublier le renforcement du dollar américain et d'autres devises - ont contribué à balkaniser encore un plus l'économie mondiale, avec les relocalisations (friend-shoring) et les restrictions au commerce et à l'immigration qui accélèrent la tendance à la démondialisation. Tout le monde reconnaît désormais que ces chocs d'offre négatifs persistants ont contribué à l'inflation. La Banque centrale européenne, la Banque d'Angleterre et la Réserve fédérale américaine ont commencé à admettre qu'un atterrissage en douceur sera extrêmement difficile à réaliser. Le président de la Fed, Jerome Powell, parle désormais d'un «atterrissage à peu près doux», qui ne pourra pas éviter au moins «un peu de douleur». Pendant ce temps, un scénario d'atterrissage brutal devient le consensus des analystes de marché, des économistes et des investisseurs. Il est beaucoup plus difficile de réaliser un atterrissage en douceur dans des conditions de chocs d'offre négatifs stagflationnistes que lorsque l'économie est en surchauffe en raison d'une demande excessive. Depuis la Seconde Guerre mondiale, il n'y a jamais eu de cas où la Fed a réussi un atterrissage en douceur avec une inflation supérieure à 5 % (elle est actuellement supérieure à 8 %) et un chômage inférieur à 5 % (il est actuellement de 3,7 %). De plus, si un atterrissage brutal est le scénario de base pour les États-Unis, il est encore plus probable en Europe, en raison du choc énergétique russe, du ralentissement de la Chine et du retard encore plus important de la BCE par rapport à la Fed. Sommes-nous déjà en récession ? Pas encore, mais les États-Unis ont enregistré une croissance négative au premier semestre de l'année, et la plupart des indicateurs prospectifs de l'activité économique dans les économies avancées indiquent un fort ralentissement qui s'aggravera encore avec le resserrement de la politique monétaire. Un atterrissage brutal d'ici la fin de l'année devrait être considéré comme le scénario de base. Si de nombreux autres analystes sont désormais d'accord, ils semblent penser que la récession à venir sera courte et peu profonde. Au contraire, j'ai mis en garde contre un tel optimisme relatif, soulignant le risque d'une crise de la dette stagflationniste grave et prolongée. Aujourd'hui, les dernières difficultés rencontrées sur les marchés financiers - y compris les marchés obligataires et du crédit - ont renforcé mon opinion selon laquelle les efforts des banques centrales pour ramener l'inflation à son niveau cible provoqueront un krach économique et financier. Je soutiens également depuis longtemps que les banques centrales, quel que soit leur discours, ressentiront une pression énorme pour revenir sur leur resserrement lorsque le scénario d'un atterrissage économique brutal et d'un krach financier se matérialisera. Les premiers signes de relâchement sont déjà perceptibles au Royaume-Uni. Face à la réaction du marché aux mesures de relance budgétaire inconsidérées du nouveau gouvernement, la BOE a lancé un programme d'assouplissement quantitatif d'urgence pour acheter des obligations d'État (dont les rendements se sont envolés). La politique monétaire est de plus en plus soumise à l'emprise budgétaire. Rappelons qu'un revirement similaire s'est produit au premier trimestre 2019, lorsque la Fed a mis fin à son programme de resserrement quantitatif (QT) et a commencé à poursuivre un mélange d'assouplissement quantitatif et de baisse des taux directeurs - après avoir pourtant annoncé la poursuite des hausses de taux et du QT - dès les premiers signes de légères pressions financières et d'un ralentissement de la croissance. Les banques centrales ont beau parler, il y a de bonnes raisons de douter de leur volonté de faire «tout ce qu'il faut» pour ramener l'inflation à son taux cible dans un monde d'endettement excessif avec des risques de krach économique et financier. De plus, des signes précurseurs indiquent que la Grande Modération a cédé la place à la Grande Stagflation, qui sera caractérisée par l'instabilité et la confluence de chocs d'offre négatifs lents. Outre les perturbations mentionnées ci-dessus, ces chocs pourraient inclure le vieillissement de la société dans de nombreuses économies importantes (un problème aggravé par les restrictions à l'immigration) ; le découplage sino-américain ; une «dépression géopolitique» et l'effondrement du multilatéralisme ; de nouveaux variants de la COVID-19 et de nouvelles épidémies, comme la variole du singe ; les conséquences de plus en plus néfastes du changement climatique ; la cyberguerre ; et les politiques fiscales visant à augmenter les salaires et le pouvoir des travailleurs. Qu'en est-il du portefeuille traditionnel 60/40 ? J'ai précédemment expliqué que la corrélation négative entre les prix des obligations et des actions s'estomperait avec la hausse de l'inflation, et c'est effectivement le cas. Entre janvier et juin de cette année, les indices boursiers américains (et mondiaux) ont chuté de plus de 20 % tandis que les rendements obligataires à long terme sont passés de 1,5 % à 3,5 %, entraînant des pertes massives tant sur les actions que sur les obligations (corrélation positive des prix). De plus, les rendements obligataires ont baissé pendant la reprise du marché entre juillet et la mi-août (ce qui, comme je l'avais correctement prédit, n'était qu'un rebond technique de courte durée), maintenant ainsi la corrélation positive des prix. Et depuis la mi-août, les actions ont continué leur forte baisse, tandis que les rendements obligataires ont beaucoup augmenté. La hausse de l'inflation ayant entraîné un resserrement de la politique monétaire, un marché baissier équilibré est apparu, tant pour les actions que pour les obligations. Cependant, les actions américaines et mondiales n'ont pas encore pleinement intégré le prix d'un atterrissage brutal, même léger et court. Les actions chuteront d'environ 30 % en cas de récession légère, et de 40 % ou plus en cas de crise de la dette stagflationniste grave, que j'ai prédite pour l'économie mondiale. Les signes de tension sur les marchés de la dette sont de plus en plus nombreux : les spreads souverains et les taux obligataires à long terme augmentent, et les spreads des obligations à haut rendement augmentent fortement ; les marchés des prêts à effet de levier et des obligations adossées à des prêts se ferment ; les entreprises très endettées, les banques parallèles, les ménages, les gouvernements et les pays se retrouvent en situation de surendettement. La crise est là. Traduit de l'anglais par Timothée Demont *Professeur émérite d'économie à la Stern School of Business de l'Université de New York - Est économiste en chef chez Atlas Capital Team et auteur de MegaThreats: Ten Dangerous Trends That Imperil Our Future, and How to Survive Them (Little, Brown and Company, October 2022). |