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Le 17 octobre 1961 est
commémoré cette année alors que les relations algéro-françaises,
suite à une maladresse du président français, sont très tendues. La veille,
l'historien Benjamin Stora, invité par Jean-Pierre
Elkabbach dans l'émission Europe 1, déclare : «Il faut que la France
reconnaisse cette tragédie inexcusable.»
Après avoir déposé une gerbe de fleurs sur les berges de la Seine où furent jetés des Algériens, le président français fait plus que François Hollande qui avait regretté «une sanglante répression». Il reconnaît officiellement dans un communiqué que des Algériens, manifestant pacifiquement ce jour, ont été sauvagement massacrés en ces termes : «Les crimes commis cette nuit sous l'autorité de Maurice Papon sont inexcusables pour la République.» (1) Si la République française reconnaît que ce qui s'est passé le 17 octobre 1961 était un crime d'Etat, il faut aller jusqu'à identifier les véritables auteurs de ce crime. Nous verrons ultérieurement que le préfet de Paris n'avait pas agi seul. Les ordres venaient du sommet de l'Etat sinon comment expliquer l'absence de sanction contre ce préfet ni de la part du ministre de l'Intérieur, ni du Premier ministre, ni du président de la République de l'époque respectivement Roger Fray, Michel Debré et Charles de Gaulle. Durant 132 ans, beaucoup de généraux qui avaient fait la guerre aux Algériens, comme le général de Gaulle, devaient être poursuivis pour crimes contre l'humanité et qualifiés de Grands Criminels comme les nazis, les fascistes et les sanguinaires dictateurs et colonisateurs. Ce général, alors président de la République, n'avait pas réagi aux massacres du 17 octobre 1961, quand des Algériens, manifestant pacifiquement dans les rues de Paris pour demander l'indépendance, furent tués par la police et furent jetés dans les eaux de la Seine. Ce jour, plus de 200 Algériens ont été massacrés, mais de Gaulle «avait voulu tirer le rideau sur cette affaire.» (2) Ce fut l'un des grands massacres de personnes, pourtant manifestant pacifiquement, de l'histoire contemporaine de l'Europe occidentale. Ce jour les Algériens sortaient dans la rue sans user de la violence, pour le droit à l'indépendance et contre le couvre-feu qui les visait particulièrement. Face à ce défilé pacifique «le préfet Maurice Papon, qui a reçu carte blanche des hautes autorités, dont de Gaulle, lance, avec 7 000 policiers, une répression sanglante. Il y aura 11 730 arrestations et beaucoup plus de 200 morts, noyés ou exécutés parmi les Algériens» (3) La France ne pouvait reconnaître ces crimes commis par sa police car les responsables de ce crime ont continué à exercer d'importantes fonctions dans l'Etat français. Maurice Papon, préfet de Paris, a été ministre jusqu'à 1981 et Roger Fray, ministre de l'Intérieur a été président du Conseil constitutionnel jusqu'à 1983 La France a toujours caché le visage brutal de De Gaulle qui avait toléré la torture et l'utilisation du napalm contre des populations civiles. II est présenté comme le décolonisateur et le libérateur de Paris oubliant l'effort considérable des alliés et la participation de milliers d'Africains dont 340 000 Algériens qui avaient contribué à cette libération. (4) Durant les événements du 13 mai 1958, Pierre Pflimlin, président du Conseil, déclarait dans un état de colère, après une rencontre avec de Gaulle le 27 mai 1958 : «De Gaulle m'a trompé, de Gaulle m'a dupé. C'est un mensonge effronté. Je vais lui infliger un démenti.» (5) Un démenti qui n'aura pas été fait car le président de la République René Coty s'y était opposé. Quand les militaires d'Algérie n'obéissaient pas à ce dernier, lorgnant le pouvoir et obsédé par le retour aux affaires publiques, de Gaulle piétinait la Constitution et soutint des militaires mutins contre un président du Conseil légitime, investi pour un mandat par une Assemblée nationale légitime, le lui demandait son visiteur à trois reprises. Seize années auparavant, il était pour l'usage de la violence excessive contre la population civile et il le faisait montrer d'une manière claire et directe. Quelques heures après les massacres du 8 mai 1945, il envoya un télégramme, daté 12 mai, au gouverneur général Chataigneau lui ordonnant de déclarer publiquement «La volonté de la France victorieuse de ne pas laisser porter aucune atteinte à la souveraineté française. Veuillez prendre toutes les mesures nécessaires pour réprimer tout agissement antifrançais» par «une minorité d'agitateurs?» (6) À lire ce télégramme, nous voyons l'image de l'ensemble des Algériens musulmans acquis à l'occupation avec une minorité d'indépendantistes et suggérait au gouverneur général la répression par tous les moyens contre cette minorité. Était-il atteint d'une cécité ou était-il mal informé pour parler d'une minorité d'agitateurs ? N'avait-il pas vu l'embrasement de plusieurs villes et villages où des milliers d'Algériens manifestaient pacifiquement en brandissant le drapeau algérien. Suivant les consignes de De Gaulle, l'armée française était intervenue pour réprimer cette tentative insurrectionnelle qui n'était autre que «Le premier acte de la révolution algérienne.»(7) Le traitement des manifestations avait montré, encore une fois, le vrai visage du colonialisme sanguinaire et impitoyable sous la conduite de De Gaulle. Le témoignage, en 1982, devant la caméra de René Vautier, de l'écrivain algérien Kateb Yacine, qui était en troisième classe à cette date à Sétif, est édifiant. Il déclarait : «C'est en 1945 que mon humanitarisme s'est confronté pour la première fois aux plus atroces des spectacles. J'avais vingt ans. Le choc que je ressentis devant l'impitoyable boucherie qui provoqua la mort de milliers de musulmans, je ne l'ai jamais oublié.»(8). Dans son roman Nedjma, le même Kateb, écrivait : «Les automitrailleuses, les automitrailleuses, les automitrailleuses, y en a qui tombent et d'autres courent parmi les arbres, y a pas de montagnes, pas de stratégie, on aurait pu couper les fils électriques, mais ils ont la radio et des armes américaines toutes neuves, révolution. Les gendarmes ont sorti leur side-car, je ne vois plus rien autour de moi.» (9) Le bilan était très lourd : 45 000 Algériens tués. Les instructions du général de Gaulle ont été appliquées, pour non seulement faire couler le sang des Algériens mais pour les humilier encore plus. La répression achevée le 22 mai, «l'armée organise des cérémonies de soumission au cours desquelles les hommes algériens doivent se prosterner devant le drapeau français. On lance un ordre de garde-à-vous le drapeau est levé, la Marseillaise est chantée.»(10) Hitler n'avait pas agi avec les populations européennes en matière d'humiliation comme le fit de Gaulle avec les Algériens. Il est indubitablement que de Gaulle était directement responsable de ces massacres, dont l'ampleur était énorme avec en plus un cachet nazi. Ses instructions étaient la couverture politique des agissements barbares de l'armée et des milices civiles. Ce jour, très meurtris certes, les Algériens avaient pris bonne note que la phase des revendications par des moyens politiques pacifiques était révolue car elle est improductive. Seule l'action armée mènera vers l'indépendance et la liberté. L'esprit malfaiteur était perceptible chez le dirigeant français avant les massacres du 8 mai. Répondant directement aux revendications algériennes exprimées dans l'AML, à la veille du débarquement d'août 1944 des alliés en Provence, de Gaulle adressait un message-directive au général Martin, Commandant le 19e corps d'armée en Algérie dans lequel il soulignait : «Il faut éviter que pendant que nous libérons l'Europe, l'Afrique du Nord nous glisse entre les doigts.» (11a) Il insistait sur le cas spécifique de l'Algérie en précisant : «L'Algérie, par ailleurs, ne doit pas ternir l'image d'une France à la souveraineté recouvrée.» (11b) Dès sa nomination, l'organe d'information du FLN El Moudjahid rappelait que de Gaulle, alors président du Conseil en 1945 «n'avait pu empêcher Sétif et les fours crématoires d'Héliopolis.»(12) Il avait utilisé l'aviation et la marine contre des douars. Le rapport de forces était trop déséquilibré. Des civils algériens sans armes face à une armée dotée de moyens terrestres, aériens et navals. Il avait sur la conscience 45 000 civils tués sur son ordre. Les massacres des civils désarmés à Sétif, à Guelma, à Kherrata et dans d'autres régions de l'Algérie restent indélébiles dans la mémoire des Algériens comme étant l'œuvre d'un dirigeant des criminels qui avaient agi sur ses instructions écrites. Malgré leur défaite, Hitler le naziste et Mussolini le fasciste avaient des émules en France, réunissant en même temps ces deux doctrines néfastes. Ils étaient : Charles de Gaulle, le chef du gouvernement, Yves Chataigneau, le gouverneur d'Algérie, André Tixier, le ministre de l'Intérieur, Lestrade Carbonnel, le préfet de Constantine, le général Raymond Duval, commandant l'intervention de l'armée, ordonnée par de Gaulle le 11 mai, le général Henri Martin, commandant la Subdivision territoriale de Constantine, André Achiary, le sous-préfet de Guelma, devenu chef de milice et le colonel Monniot. Le gouverneur d'Algérie a été désigné par de Gaulle dans ses mémoires comme l'homme de la répression de Sétif et le colonel Monniot déplaça, le 15 mai, son poste de commandement de Bône à Guelma pour mieux diriger les actions sanglantes. Les manifestations avaient cessé depuis le 15 mai, mais la répression se poursuivait avec des moyens lourds. De Gaulle faisait la guerre totale à une population civile sans défense en employant l'aviation. Les bombardements aériens ont été «du 9 au 19 mai, douze bombardiers B-26 effectuèrent trente-neuf missions, dont quinze bombardements et lâchèrent plus de trente huit tonnes de bombes. Douze chasseurs bombardiers A-24 venus de Meknès et basés à Sétif depuis le 10 mai effectuèrent trente-sept vols à basse altitude et cinq bombardements au cours desquels ils envoyèrent trois tonnes de bombes. Le croiseur Duguay-Trouin fit feu à dix reprises dans la région de cap Aokas.» (13) Dans le rapport publié, en avril 2005, par la Ligue des Droits de l'Homme «Sur le mouvement insurrectionnel du 8 mai 1945.» établi par la commission présidée par général de gendarmerie Paul Tubert décrit l'armement des insurgés : Très insuffisant. Les armes emmenée d'ailleurs de l'extérieur sont rares, peut-être une centaine... Un quart à peine des insurgés avait un fusil de chasse. La masse était armée de couteaux, rasoirs, sabres, massues, haches, etc. Tubert, membre du Comité central provisoire de la Ligue des Droits de l'Homme, a été désigné par le de Gaulle le 19 mai 1945, mais n'a pu se rendre, avec les autres membres de la commission à Sétif, que le 25 mai, quand tout y était terminé. La commission a dû interrompre sa mission sur ordre du gouvernement du général de Gaulle. Le lendemain, il fut rappelé à Alger par le gouverneur d'Algérie si bien qu'il n'a pu se rendre à Guelma où la milice d'Andria Achiary, un futur chef de l'OAS, continuait la répression. De Gaulle avait voulu sauver Andria Achiary, l'organisateur des milices. L'enquête menée par cette commission fit des constatations frappantes, relatives au nationalisme des petits Algériens qui l'affichaient dans les écoles. Monsieur Macron si les policiers avaient agi sous l'autorité du préfet Papon, celui-ci était sous l'autorité du ministre de l'Intérieur qui lui-même était sous l'autorité du Premier ministre qui à son tour était sous l'autorité du président de la République. Le premier responsable de ces crimes du 17 octobre 1961 était de Gaulle. (Voir annexe : intervention de Claude Boulet au Conseil municipal de Paris, le 27 octobre 1961) Intervention de Claude Bourdet au Conseil municipal de Paris, le 27 octobre 1961 «Monsieur le Préfet de Police» Les silences de Monsieur Maurice Papon. Claude Bourdet «J'en viens d'abord aux faits. Il n'est guère besoin de s'étendre. Parlerai-je de ces Algériens couchés sur le trottoir, baignant dans le sang, morts ou mourants, auxquels la Police interdisait qu'on porte secours ? Parlerai-je de cette femme enceinte, près de la place de la République, qu'un policier frappait sur le ventre ? Parlerai-je de ces cars que l'on vidait devant un commissariat du Quartier latin, en forçant les Algériens qui en sortaient à défiler sous une véritable haie d'honneur, sous des matraques qui s'abattaient sur eux à mesure qu'ils sortaient ? J'ai des témoignages de Français et des témoignages de journalistes étrangers. Parlerai-je de cet Algérien interpellé dans le métro et qui portait un enfant dans ses bras ? Comme il ne levait pas les bras assez vite, on l'a presque jeté à terre d'une paire de gifles. Ce n'est pas très grave, c'est simplement un enfant qui est marqué à vie ! Je veux seulement mentionner les faits les plus graves et poser des questions. Il s'agit de faits qui, s'ils sont vérifiés, ne peuvent pas s'expliquer par une réaction de violence dans le feu de l'action. Ce sont des faits qui méritent une investigation sérieuse, détaillée, impartiale, contradictoire. D'abord, est-il vrai qu'au cours de cette journée, il n'y ait pas eu de blessés par balle au sein de la Police ? Est-il vrai que les cars radio de la Police aient annoncé au début de la manifestation dix morts parmi les forces de l'ordre, message nécessairement capté par l'ensemble des brigades... et qui devait donc exciter au plus haut point l'ensemble des policiers ? C'était peut-être une erreur, c'était peut-être un sabotage, il faudrait le savoir ; et peut-être, d'autre part, n'était-ce pas vrai. C'est pour cela que je veux une enquête. De même, est-il vrai qu'un grand nombre des blessés ou des morts ont été atteints par des balles du même calibre que celui d'une grande manufacture qui fournit l'armement de la Police ? Qu'une grande partie de ces balles ont été tirées à bout portant ? Une enquête dans les hôpitaux peut donner ces renseignements. Il est clair que ce n'est pas n'importe quelle enquête et que ceux qui la feraient devraient être couverts par son caractère officiel et savoir qu'ils ne risqueraient rien en disant la vérité. Et voici le plus grave : est-il vrai que dans la «cour d'isolement» de la Cité, une cinquantaine de manifestants, arrêtés apparemment dans les alentours du boulevard Saint-Michel, sont morts ? Et que sont devenus leurs corps ? Est-il vrai qu'il y a eu de nombreux corps retirés de la Seine ? Dans les milieux de presse, et pas seulement dans les milieux de la presse de gauche, dans les rédactions de la presse d'information, on parle de 150 corps retirés de la Seine entre Paris et Rouen. C'est vrai ou ce n'est pas vrai ? Cela doit pouvoir se savoir. Une enquête auprès des services compétents doit permettre de le vérifier. Cela implique, ai-je dit, non pas une enquête policière ou administrative, c'est-à-dire une enquête de la Police sur elle-même, mais une enquête très large, avec la participation d'élus. J'en viens maintenant au propos qui est pour moi l'essentiel : celui qui vous concerne directement, Monsieur le Préfet de Police. Mon projet n'est pas de clouer au pilori la Police parisienne, de prétendre qu'elle est composée de sauvages, encore qu'il y ait eu bon nombre d'actes de sauvagerie. Mon projet est d'expliquer pourquoi tant d'hommes, qui ne sont probablement ni meilleurs, ni pires qu'aucun de nous, ont agi comme ils l'ont fait. Ici je pense que, dans la mesure où vous admettrez partiellement ces faits, vous avez une explication. Elle a d'ailleurs été donnée tout à l'heure : elle réside dans les attentats algériens, dans les pertes que la Police a subies. Il s'agit seulement d'expliquer, sur le plan subjectif, l'attitude de la Police, cette explication est, en partie, suffisante. Nous nous sommes inclinés assez souvent ici sur la mémoire des policiers tués en service commandé pour le savoir, mais cela n'explique pas tout. Et surtout, ces explications subjectives ne suffisent pas. Le policier individuel riposte lorsqu'il est attaqué, mais il faut voir les choses de plus loin. Ce qui se passe vient d'une certaine conception de la guerre à outrance menée contre le nationalisme algérien. Ici on peut me répondre : «Auriez-vous voulu que nous laissions l'ennemi agir librement chez nous ? Et même commettre des crimes impunément ?» Sur ce plan, la logique est inévitable : l'ennemi est l'ennemi ; il s'agit de le briser par tous les moyens, ou presque. Mais l'ennemi répond alors de la même façon, et on arrive là où nous sommes aujourd'hui. Il était impossible qu'il y ait une guerre à outrance en Algérie et qu'il ne se passe rien en France. Mais ce que je dis - et cela me semble vérifié pour tout ce qu'on a dit ici, à droite, sur la puissance du FLN en France, et sur la menace qu'il représente -, c'est qu'il aurait pu rendre la situation infiniment plus grave qu'il ne l'a rendue. La guerre à outrance Les dirigeants algériens ont agi non pas en vertu de sentiments d'humanité mais dans leur propre intérêt, parce qu'ils voulaient pouvoir organiser les Algériens en France, parce qu'ils voulaient «collecter» comme on l'a dit et cela, vous le savez bien, en général beaucoup plus par le consentement que par la terreur. Il y avait là aussi, probablement, l'influence d'un certain nombre de cadres algériens, en particulier de ces cadres syndicaux de l'UGTA, très enracinés dans le mouvement syndical français, très proches de la population métropolitaine, hostiles au terrorisme. Ce sont malheureusement eux, justement, parce qu'ils étaient connus, repérés, voyants, qui ont été les premiers arrêtés, souvent déportés en Algérie, et on ne sait pas malheureusement, vous le savez, ce que ceux-là sont devenus. Vous répliquerez qu'il y a eu, dès le début de la guerre, des règlements de compte entre Algériens, des liquidations de dénonciateurs, etc., c'est-à-dire des crimes que la Police ne pouvait pas tolérer, quelle que fût sa politique. Oui, mais il y a, pour la Police, bien des façons d'agir et dans les premiers temps, on n'a pas vu se produire, du côté policier, les violences extrêmes qui sont venues ultérieurement. Ce que je dis, c'est qu'à un certain moment, on a estimé que cette action de la Police ne suffisait pas. On a estimé qu'il fallait qu'à la guerre à outrance menée contre le FLN en Algérie corresponde la guerre à outrance menée contre le FLN en France. Le résultat a été une terrible aggravation de la répression, la recherche par tous les moyens du «renseignement», la terreur organisée contre tous les suspects, les camps de concentration, les sévices les plus inimaginables et la «chasse aux ratons». Je dis, Monsieur le Préfet de Police, que vous-même avez particulièrement contribué à créer ainsi, au sein d'une population misérable, épouvantée, une situation où le réflexe de sécurité ne joue plus. Je dis que les consignes d'attentats contre la Police étaient bien plus faciles à donner dans un climat pareil de désespoir. Je dis que même si de telles consignes n'existaient pas, le désespoir et l'indignation suffisaient souvent à causer des attentats spontanés, en même temps qu'à encourager ceux qui, au sein du FLN, voulaient en organiser. Je dis qu'on a alimenté ainsi un enchaînement auquel on n'est pas capable de mettre fin. Est-il vrai ? Je pense, Monsieur le Préfet de Police, que vous avez agi dans toute cette affaire exactement comme ces chefs militaires qui considèrent que leur propre succès et leur propre mérite se mesurent à la violence des combats, à leur caractère meurtrier, à la dureté de la guerre. C'était la conception du général Nivelle au cours de l'offensive du Chemin des Dames, et vous savez que l'Histoire ne lui a pas été favorable. C'est cette conception qui a été la vôtre à Constantine et celle que vous avez voulu importer dans la région parisienne, avec les résultats que l'on sait. Maintenant, vous êtes pris à votre propre jeu et vous ne pouvez pas vous arrêter, même en ce moment, à une époque où la paix paraît possible. La terreur à laquelle la population algérienne est soumise n'a pas brisé la menace contre vos propres policiers, bien au contraire. J'espère me tromper, j'espère que vous n'aurez pas relancé, d'une manière encore pire, l'enchaînement du terrorisme et de la répression. Car, enfin, il n'était pas condamnable, il était excellent que le FLN cherche, lui, à sortir de cet engrenage par des manifestations de rue, des manifestations dont un grand nombre de gens ont dit qu'elles étaient, à l'origine, pacifiques. Nous aurions dû comprendre, vous auriez dû comprendre, que c'était là l'exutoire qui permettrait au désespoir de ne pas se transformer en terrorisme. Au lieu de cela, vous avez contribué à créer une situation pire. Vous avez réussi, et peut-être certains s'en félicitent-ils, à dresser contre les Algériens, il faut le dire, une partie importante de la population parisienne qui ne comprend pas évidemment pourquoi ces Algériens manifestent. Elle n'est pas algérienne, cette population, elle ne vit pas dans les bidonvilles, sa sécurité de tous les instants n'est pas menacée par les harkis, etc. Alors, évidemment, «que viennent faire dans les rues ces Algériens ? Leur attitude est incompréhensible !» Je dis, Messieurs les Préfets, mes chers collègues, que loin de chercher à réprimer l'agitation politique des Algériens, nous devons dans cette perspective de négociation, de paix, qui s'ouvre enfin, même si c'est trop tard - nous devons chercher à légaliser l'activité politique des Algériens en France. Il faut que leur action politique s'effectue au grand jour, avec des organisations légales, donc contrôlables, avec des journaux que l'on puisse lire. Nous devons leur laisser d'autres moyens que ceux du désespoir. Monsieur le Préfet de Police, cela suppose que vous, vous changiez d'attitude. Ici je suis obligé de vous poser une question très grave. Je vous prie, non pas de m'en excuser, car vous ne m'en excuserez pas, mais de comprendre qu'il est difficile, pour un journaliste qui sait que son journal sera saisi, si quoi que ce soit déplaît un peu trop à la Police ou au gouvernement, d'écrire un article sur ce sujet. Mais quand ce journaliste est conseiller municipal, il a la possibilité de venir dire ces choses à la tribune et de les dire sans ambages. Voici ma question : est-il vrai qu'au mois de septembre et d'octobre, parlant à des membres de la Police parisienne, vous ayez affirmé à plusieurs reprises que le ministre de la Justice avait été changé, que la Police était maintenant couverte, et que vous aviez l'appui du gouvernement ? Si c'était vrai, cela expliquerait, en grande partie, l'attitude de la Police au cours de ces derniers jours. Si ce n'est pas vrai, tant mieux. De toute façon, d'ici quelques années, d'ici quelques mois, quelques semaines peut-être, tout se saura, et on verra qui avait raison. Et si j'avais eu tort aujourd'hui, je serais le premier à m'en féliciter.» - Extrait du livre»Mes batailles» de Claude Bourdet (Ed. In Fine, 1993) pages 161/167 et aussi paru dans la revue France-Observateur du 2 novembre 1961 -Même si Papon a été débouté de la plainte déposée contre lui, tous ces faits, tous ces massacres ont été complètement avérés au cours du procès, cependant aujourd'hui le gouvernement français ne les a toujours pas officiellement reconnus. A voir aussi le documentaire : Mémoires sauvées du vent, qui fait un retour sur la répression de la manifestation du 17 octobre 1961, et la lente intégration des travailleurs algériens, des bidonvilles aux cités de relogement, avec les conséquences que l'on sait. A partir d'archives, ce document relate les événements d'octobre 1961, du couvre-feu imposé aux «Français musulmans d'Algérie» par le préfet de police Maurice Papon, à la répression de la manifestation du 17 octobre 1961 qui aurait fait près de 300 victimes selon les historiens, en passant par les rafles qui l'ont suivie et le retour forcé vers leurs «douars d'origine» des interpelés. Puis il s'attarde sur la condition des travailleurs algériens dans les bidonvilles de Nanterre, avec cet entretien mené par Monique Hervo qui y a séjourné, jusqu'à leur transfert sous l'impulsion du gouvernement de Jacques Chaban-Delmas vers des cités de relogement... avec les conséquences que l'on sait : la progressive ghettoïsation de ces quartiers. Dès les années 70, on n'hésite plus à parler dans les médias de «seuil de tolérance», de «cote d'alerte», de «Français de souche» qui désertent ces banlieues... Une mise à l'index qui trouvera son exutoire dans le vote populiste des années 80, jusqu'aux émeutes de 2005 qui, trente ans plus tard, démontrera à une France médusée la face cachée d'une politique de la ville réduite à sa plus simple expression. Racisme, discriminations, contrôles au faciès, bavures policières... la liste est longue des renoncements d'une République, qui n'a toujours pas soldé les séquelles de ses guerres coloniales. Source : Autour du 17 octobre 1961, Rebeyllion. Info du 7 novembre 2003. Référence : 1. France 24 du 17 octobre 2021. 2. Le Monde du 17 octobre 2011, Le 17 octobre 1961 ce massacre occulté de la mémoire collective. 2. Soren Seelow, Le Monde du 17 octobre 2011, Le 17 octobre 1961: « ces massacres a été occulté de la mémoire collective» 3. Les massacres du 17 octobre 1961 à Paris «Ici on noie les Algériens !» Reybellion.info du 17 octobre 2020. 4. Note de l'état-major des armées (EMA), mars 1940, Archives du SHAT, 9N22. 5. Raymond Tournoux, Le tourment et la fatalité. 1958-1974, Tout fini par se savoir. Plon, p 11 et 13. 6. De Gaulle et le problème algérien 1958 article Guy Pervillé. 7. Claire Arsenaul : le 8 mai 1945, à Sétif, le premier acte de la révolution algérienne. Rfi fr. 8. Illusions perdues. Le 8 mai 1945 à Sétif par Kateb Yacine, Algérie - hier. 9. Humanité du 28 octobre 2004. 10. L'Expresse du 17 août 2015, 1945, derniers secrets ; Sétif, le massacre occulté. 11. a et b - Charles-Robert Ageron livre, L'Algérie algérienne de Napoléon à de Gaulle, Paris, Sindbab 1980 pages 243. 12. El Moudjahid n° du 29 mai1958. 13. Jean-Pierre Peyroulou, Guelma, 1945, Une subversion française dans l'Algérie coloniale, Arrêter les massacres 19-29 mai 1945, Dans Guelma (1945 Edition La Découverte (2009), p 172-182. |