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Marchandisation du football
Assurément, le Brésil incarne le football créatif. L'Europe, elle, personnifie le football normatif. Dans le football de cette dernière, prime le jeu défensif et discipliné. Le résultat prime sur la qualité du jeu, tandis que le football brésilien valorise le jeu offensif et créatif; la gratuité du geste contre l'avidité du gain; le beau jeu intelligent contre le laid enjeu argent. Nous avons affaire à deux mentalités sportives radicalement antinomiques. De toute évidence, au cours de ces dernières décennies, le football a subi d'énormes transformations. On a assisté à une profonde marchandisation du football. Force est de constater que le jeu sur la pelouse ne constitue que le paravent sportif pour dissimuler d'autres enjeux, notamment financiers : droits de retransmission télévisée, recettes, produits dérivés, contrats de sponsoring, sommes faramineuses tirées des transferts, et autres opérations occultes, par exemple les fameuses caisses noires. En cela, le football incarne l'idéologie dominante car il correspond aux valeurs préconisées par le capital. Les clubs de football, convertis à l'économie de marché, sont devenus de véritables entreprises capitalistes. Certains clubs sont cotés en bourse. Nul doute, le football n'est pas seulement un jeu, il constitue surtout un enjeu économique. Mais également politique. Le football constitue une formidable hypnotique distraction collective capable d'occulter tous les autres événements sociaux. Le football est le sport politique par excellence. Comme l'avait écrit l'ethnologue Christian Bromberger: «Il (le football) se situe au carrefour de questions capitales comme l'appartenance, l'identité, la condition sociale et même, par son aspect sacrificiel et sa mystique, la religion. C'est pourquoi les stades se prêtent si bien aux cérémonies nationalistes, aux localismes et aux débordements identitaires ou tribaux qui débouchent parfois sur des violences entre supporters fanatiques». Le football sert d'exutoire aux nationalismes et d'adjuvant aux guerres À cet égard, force est de constater qu'on a assisté à une manipulation et récupération politique du football. Sournoisement, le football sert d'exutoire aux nationalismes et d'adjuvant aux guerres. Les tribunes des stades constituent les seules sphères de tolérance de débridement des exaltations hystériques collectives, d'expression des aversions et hostilités bannies par ailleurs dans la vie ordinaire. Dans le football, au-delà de l'expression des émotions névrotiques on assiste également à l'éruption volcanique des particularismes primitifs, des conduites tribales. À notre ère des tribus (des petits groupes, des réseaux sociaux, des communautés identitaires et religieuses) où la Raison a été mise au vestiaire, remplacée sur le terrain sociétal par les affects et les émotions, tous les tacles comportementaux sont permis pour réussir socialement, souvent au détriment d'autrui laissé sur la touche. Le club de football personnifie la tribu. Et chaque supporter défend sa tribu. Comme à l'époque antique, devant une nécessité impérative, périodiquement, certaines tribus se fédéreraient pour constituer une armée homogène afin de combattre un ennemi commun. De nos jours, cette armée est incarnée par l'équipe nationale constituée de joueurs appartenant à divers clubs. Parce que les guerres interétatiques et intraétatiques sont interdites, par l'effet de sublimation, ces clubs-tribus se livrent légalement des conflits sur le terrain et les gradins des stades. On peut également les qualifier de vendetta moderne, ces vengeances qui se perpétuaient de génération en génération entre différents clans qui se vouaient une haine meurtrière inexpiable. Excepté qu'aujourd'hui ces revanches entre clubs ennemis sont codifiées par des normes officielles régies par des instances nationales footballistiques civilisées. Certains supporters de clubs cultivent des inimitiés irréconciliables, une hostilité fanatique, une haine meurtrière à l'encontre des supporters d'un autre club qui rappellent étrangement le phénomène de la séculaire vendetta fondée sur la défense de l'honneur et la vengeance. De manière générale, régulièrement, dans de nombreux pays les matches de football donnent lieu à des explosions de chauvinisme et de xénophobie. Même les États s'y mêlent. Lors des matches impliquant les équipes nationales, responsables politiques et supporters n'hésitent pas à se livrer à des hystériques surenchères d'expressions ethnico-identitaires, communautaristes, nationalistes, à la limite du racisme. Seul le football est capable de produire cette sorte de comportements antisociaux. Ainsi, au nom d'une passion infantile confinant à l'intoxication mentale, le football légitime et banalise ces hystéries chauvinistes et tribales collectives. En résumé, le football est la préparation de la guerre par d'autres moyens, le spectacle civilisé de la violence collective «tolérée». Beaucoup de fanatiques footeux ne jurent que par le football, et n'injurient que pour le football. Par ailleurs, le football enferme les identités nationales ou régionales dans des identifications mystificatrices (Barcelone, PSG, JSK, MCA, etc.) générant des comportements de rejet et de haine de l'autre, alimentant des sentiments de vengeance, de revanche (mettre une « raclée », une « déculottée », une « branlée »). Symptomatique d'une pathologie inhérente au football contemporain, lors des matches internationaux, les supporters sont envahis par des élans irrationnels d'identification mimétique à la « mère patrie », donnant lieu à des stigmatisations outrancières de l'adversaire, à des slogans racistes doublés souvent d'agressions physiques, au déferlement des chauvinismes, des ultranationalismes, des violences interethniques. Football : débordements de violences et déchaînements de haine Plus inquiétant encore, il n'y a qu'avec les matches de football où les stades et les alentours font l'objet d'une bunkérisation militaro-policière, pour permettre le déroulement « normal » de la rencontre du match sous haute surveillance. Aucune autre manifestation sportive ou culturelle ne suscite de tels déchaînements de violence, furieusement perpétrés en dépit de l'instauration de mesures draconiennes de sécurité matérialisées par le déploiement massif de forces de l'ordre. De fait, nonobstant toutes ces mesures sécuritaires, les matches sont fréquemment émaillés de débordements de violences et de déchaînements de haine (les graves incidents qui se sont produits à Magra lors du match des quarts de finale de la coupe de la Ligue entre le NCM et la JS Saoura viennent rappeler l'ampleur de la violence dans les coulisses des stades). À cet égard, force est de constater que la caractéristique essentielle de la peste émotionnelle footballistique est son pouvoir de contamination. Rien n'est plus contagieux que la peste. Mus par l'esprit de meute ou de horde, les shootés du stade transforment souvent les stades en terrains d'affrontements violents généralisés meurtriers. Il ne faut pas oublier les responsabilités du football-business dans les massacres du Heysel en 1985 et de Sheffield en 1989. Contrairement à l'opinion communément répandue, de nos jours le football ne constitue pas un vecteur d'intégration sociale, de concorde civile ou d'amitié entre les peuples. Au contraire, la réalité effective des terrains nous prouve qu'il remplit une fonction réactionnaire de dépolitisation, de grégarisation régressive et d'exutoire aux frustrations libidinales et sociales, de diversion idéologique, de déversoir hystérique. À cet égard, si le football est producteur de violences sociales, générateur d'agressivités nouvelles, cela tient aussi à sa structure même : le football est organisé en logique de compétition et d'affrontement ; il est fondé sur le principe de rendement et de hiérarchie, normes inhérentes à la société capitaliste. Football : régression au stade «baballe» L'apothéose de l'aliénation se vérifie en ces temps de crise économique et sociale. En effet, il est pathétique que, au sein des populations, l'unique sujet de conversation quotidien soit le football. À cet égard, en matière de commentaires footballistiques, chaque individu rivalise d'ingéniosité pour s'improviser expert sportif de comptoir de café ou de boutique de rue. Selon la topique psychique freudienne, on est en pleine régression au stade « baballe ». Pour autant, au-delà de la « fête populaire », le football a toujours été au service des politiques réactionnaires, du dévoiement des luttes sociales, vecteur de distillation du chauvinisme, d'obscurcissement de la conscience de classe. Le football est le seul sport dépourvu d' « innocence politique ». Les grandes messes footballistiques ont souvent servi à légitimer diverses dictatures et régimes autoritaires, manipulations politiques. Pour l'historien Eric Hobsbawm, le football c'est « la religion laïque du prolétariat », confiné dans la vénération de ces nouveaux dieux du ballon rond. Pour apaiser les affres du prolétariat, le football s'est converti à l'affairisme capitaliste, par ses promesses paradisiaques de promotion sociale et d'enrichissement facile censément octroyés à tout jeune adepte du ballon rond. Une chose est sûre : le football est un efficient instrument de mystification idéologique et de démobilisation politique. Le plus révoltant à l'occasion de la dernière Coupe du monde organisée en Russie, c'est qu'au moment où tous les supporters de la majorité des pays communiaient joyeusement dans l'extase tonitruante, partout les systèmes des protections sociales étaient pulvérisés dans un silence assourdissant d'aliénation. De même, au moment où se déroule l'Euro en juin et juillet 2021, les gouvernants poursuivront leur politique antisociale, accéléreront la militarisation de la société, aggraveront la paupérisation des populations. Assurément, les classes populaires préfèrent s'emparer des tribunes des stades que d'occuper les terrains centraux politiques. Préfèrent succomber aux « passions vibratoires » et aux « extases » footballistiques que de se passionner pour de vibrantes causes politiques émancipatrices. Chaque adepte du foot réclame sa dose d'opium footballistique, pour assouvir son addiction, loin des tribulations politiques et sociales mais près des tribunes des stades hystériquement envahies. Football : véritable multinationale capitaliste Le paroxysme de l'aliénation se déroule dans les stades. Faire jouer les spectacles footballistiques par des acteurs mercenaires millionnaires devant des smicards et des chômeurs constitue en effet l'apothéose de l'aliénation planétaire. Par rapport au néant que les joueurs produisent, on ne peut que s'alarmer sur l'état mental de leurs supporters. En conclusion, nul doute, si autrefois le football était un spectacle ludique collectif populaire, depuis plusieurs décennies il est devenu une véritable multinationale capitaliste où les joueurs sont achetés, vendus ou échangés comme des chevaux de course ou des call-girls de luxe. À l'ère de la mondialisation, l'achat et la vente des footballeurs s'apparentent à de modernes formes de traite d'êtres humains. Le football professionnel brille par ses multiples prouesses mafieuses : escroqueries, caisses noires, dessous de table, salaires et primes non déclarés, faux en écriture, détournements, fraudes, truquages, etc. Toutes les normes capitalistes, valorisées dans le monde de l'entreprise, sont propagées dans l'univers du football : culte de la performance, dépassement de soi, virilité, force physique, victoire sur l'autre, etc. Football : agent de diversion social, soupape de sûreté pulsionnelle En outre, le football est devenu un instrument de politique d'encadrement pulsionnel des foules, un moyen de contrôle social, une intoxication idéologique saturant tout l'espace public. À cet égard, il représente pour les États un idéal agent de diversion social, une soupape d'échappement permettant la dissolution de l'individu dans la masse grégaire anonyme, un terrain propice au conformisme des automates. Ces porteurs d'un ballon à la place du crâne ressemblent à ces animaux mus par un fonctionnement mimétique, instinctuel. De nos jours, le football est devenu une véritable machine à décerveler les consciences, une entreprise de massification régressive des émotions, de chloroformisation des esprits, de crétinisation culturelle, de colonisation des conduites par le conformisme grégaire, de fanatisation des masses par les chauvinismes hystériques. Le football sert d'exutoire à ces shootés du stade, toxicos du foot, décérébrés des stades. Le football, comme tous les sports de compétition, stimule l'agressivité, excite les rivalités, intensifie les tensions, attise les haines, exacerbe les conflits, déchaîne les violences, enflamme les foules fanatisées, exalte les chauvinismes, incite aux crimes. Il recèle même un ferment de radicalisme. Certains de ses fanatiques supporters ne sont-ils pas «fichés S», interdits de stade en raison de leurs activités violentes. Décidément, l'opium footballistique s'apparente à la drogue islamiste où la violence est érigée en référent culturel, en sport international. Dans le football, les explosions de bonheur s'apparentent davantage à des décharges pulsionnelles primaires bestiales qu'à des expressions de sentiments liés à une sociabilité pacifique fondée sur l'amour, la fraternité. Le football est la meilleure école de la guerre (autre point commun avec l'islamisme belliqueux qui utilise non pas le ballon rond pour dynamiser les foules mais la bombe explosive pour dynamiter des populations civiles innocentes) : guerres des quartiers, des régions, des nations, guerres des maillots, des sponsors et des télévisions, guerres ethniques, guerres des supporters, transformées souvent en guerres civiles. Le football est un terreau fertile du racisme (dernier acte raciste, qui plus est en Algérie : l'attaquant nigérien du NC Magra, Soumana Boubacar Hainikoye, a été victime d'insultes racistes de la part d'une partie des supporters de l'équipe locale et des dirigeants du club, JS Saoura, selon les informations. En 2014, le joueur africain, l'attaquant camerounais, Ebossé, évoluant dans l'équipe de la JS Kabylie avait succombé après avoir reçu des projectiles lancés sur lui par des supporters), de la xénophobie, de l'antisémitisme, de l'exaspération des appartenances identitaires, de l'exaltation des différences, des crispations communautaristes, des haines amoureusement partagées dans les stades (encore des affinités électives avec l'islamisme qui aime partager son islam haineusement). Assurément, ces dernières décennies, nous vivons à l'ère de l'horreur footballistique généralisée : violences, dopage, magouilles, crétinisme des supporters et joueurs, etc. Force est de relever que le football est belligène. Le football est la continuation de la guerre par d'autres moyens. Le football est la praxis de la polémologie, théorie de la guerre. Le football est devenu le dernier terrain d'affrontement direct entre pays antagonistes. L'esprit d'invincibilité, incarné dans le moral de l'équipe de football soudée comme une troupe militaire, est l'élément capital qui permet de gagner ou perdre la guerre footballistique, autrement dit le match. Pour conclure, nul doute, le football ne recèle aucune créativité artistique. Il est à l'art ce que la nuit est au jour : il n'offre aux yeux aucune lumière esthétique. La nuit sombre reproduit les mêmes ténébreux aveuglants et angoissants paysages minuscules dépourvus de tout horizon. Le jour au contraire offre au regard un majestueux illimité spectacle de la nature perpétuellement métamorphosée. Chaque matin une nouvelle chorégraphie naturelle ouvre le ballet de la danse du jour. Monotone répétition mécanique des gestes techniques Dans le football, il n'existe aucune créativité. C'est la monotone répétition de l'ancien, la répétition des mêmes gestes techniques, la reproduction des mêmes schémas tactiques acquis au cours des entraînements. C'est l'éternel recommencement du même jeu appris mécaniquement lors des apprentissages-dressages des jeunes footballeurs soustraits tôt à l'école pour être livrés à des centres footballistiques disciplinaires, comme des esclaves. On se croirait à l'usine, soumis à la cadence et au chronomètre. De surcroît, si la chorégraphie sur la pelouse se réduit aux ballets de la violence et des chocs brutaux, l'œuvre d'art, au contraire, incite à penser, invite à stimuler l'imagination, incline à varier sans fin les œuvres, à bouleverser constamment les règles de la création. Si l'art s'inscrit dans un horizon infini de perspectives où l'imagination prend son envol pour atteindre le firmament de la création, le football, lui, s'exerce aux ras des pâquerettes dans un périmètre restreint où le seul enjeu est de projeter un ballon dans la lucarne. Qui a dit que (seule) la religion est l'opium du peuple ? |