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BERKELEY - En
2011, Janet Yellen, à ce moment-là vice-présidente de
la Fed, a rassuré en disant que le drame qui se jouait autour du plafond de la
dette du gouvernement fédéral «se révèle généralement n'être que du théâtre».
On pourrait ajouter qu'il s'agit d'un théâtre de l'absurde. Mais 10 ans plus
tard, le débat sur le plafond de la dette est une tragédie qui restera dans les
annales.
Pour comprendre l'absurdité du plafond de la dette, revenons à son origine. Le plafond a été inscrit dans la loi en septembre 2017, en même temps qu'une autre loi autorisant l'émission d'obligations destinées à financer l'entrée des USA dans la Première Guerre mondiale. Il a été conçu pour montrer aux adversaires de l'entrée en guerre des USA que leur engagement avait des limites. La Constitution avait donné au Congrès le pouvoir de gérer au plus près les emprunts du Trésor, ce qui était peu pratique en temps de guerre, c'est pourquoi le législateur a finalement délégué ce pouvoir au président. Mais il fallait apaiser les opposants à tout accroissement du pouvoir exécutif, ainsi que les Américains d'origine allemande qui ne voulaient pas d'une guerre avec l'Allemagne, et les Américains d'origine irlandaise qui ne voulaient pas d'une alliance avec la Grande-Bretagne (à cause de la répression violente par les Britanniques du soulèvement de Pâques 1916 en faveur de l'indépendance de l'Irlande). Aussi le Congrès a-t-il plafonné ces emprunts. Ces griefs lointains pratiquement oubliés aujourd'hui sont à l'origine du dilemme auquel les USA sont confrontés. «Absurde», c'est le mot juste pour décrire la situation. Jusqu'à présent le Congrès a toujours réussi à éviter le pire. Même en 2013, année de forte opposition entre eux, démocrates et républicains ont accepté de suspendre le plafond de la dette une semaine seulement avant que le Trésor, déjà incapable d'emprunter, n'ait épuisé ses réserves de trésorerie. Mais cette année le scénario pourrait être différent. De toute évidence, la polarisation politique est encore plus forte qu'en 2013. Les normes de comportement politique, y compris l'idée que les deux partis devraient collaborer pour éviter une catastrophe prévisible, sont passées à la trappe depuis l'attaque contre le Capitole par des partisans de Donald Trump le 6 janvier dernier. Dans un monde post-factuel, alors qu'ils sont à l'origine du problème, les membres républicains du Congrès parviennent à faire porter le blâme - au moins aux yeux de leurs sympathisants - sur les élus démocrates et leurs dépenses sans compter. Un refus d'augmenter le plafond de la dette ou de la suspendre se traduirait aussitôt par une dégradation de la cote de crédit du gouvernement. Dans ce cas, les investisseurs institutionnels n'auraient plus le droit de détenir des titres de dette du Trésor américain, tandis que les investisseurs étrangers, notamment les banques centrales, y réfléchiraient à deux fois. Le coût des emprunts augmenterait pour les USA. Le statut de valeur refuge du dollar per-met au Trésor d'économiser plus de 700 milliards de dollars en paiement d'intérêts sur une décennie. Paradoxalement, cela suffit à financer presque les trois quarts du projet bipartisan concernant les infrastructures. Certains signes indiquent déjà que cet avantage est en train de disparaître. La crise du COVID-19 nous le rappelle, ce que les investisseurs redoutent le plus, c'est l'incertitude ; or elle culminerait en cas de suspension du paiement des intérêts pour une durée indéterminée. La Bourse réagirait mal. Par ailleurs le marché du financement à court terme serait perturbé si le Trésor était contraint de suspendre le paiement des intérêts, car les titres du Trésor servent de garantie dans nombre de transactions financières privées. Les retraits obligeraient les fonds communs de placement à se lancer dans des ventes au rabais de bons du Trésor à court terme, et peut-être à suspendre les rachats. Les estimations des conséquences économiques de ce scénario vont de très dommageables à catastrophiques. Selon une prévision type, le PIB diminuerait de 4 % et le chômage monterait à 9 %. La Fed interviendrait certes comme elle le fait lors de chaque crise. Elle activerait les mesures d'urgence discutées avant les précédentes crises du plafond de la dette. Elle achèterait des titres du Trésor en défaut et les accepterait comme garantie dans ses propres opérations de prêt, à leur prix de marché maintenant au bas. Mais cela mettrait la Fed sur la corde raide. Elle se retrouverait au milieu d'un conflit politicien. Les démocrates lui reprocheraient de protéger les républicains des conséquences de leur inaction et les républicains accuseraient la Fed d'être complice du programme «socialiste» des démocrates. Des analystes astucieux suggèrent que tout cela pourrait être évité si le Trésor donnait la priorité aux paiements des intérêts. Il pourrait continuer à les payer intégralement grâce aux recettes fiscales, tout en réduisant les autres dépenses de 40 %. Mais cela suppose de résoudre de redoutables problèmes techniques (par exemple la reprogrammation des ordinateurs du gouvernement). Néanmoins il est totalement irréaliste de croire que le Congrès serait disposé à réduire le montant des retraites ou la solde des militaires pour renflouer les détenteurs d'obligations. Tout espoir n'est pas perdu. Le Sénat pourrait autoriser un relèvement du plafond de la dette qui serait intégré à un projet de loi transpartisan. Les démocrates pourraient le voter, faisant ce qui est bon pour le pays, indépendamment des répercussions électorales. Ou alors, tirant les conséquences de leur position, les républicains pourraient changer d'attitude. Rappelons-nous qu'en plein milieu de la crise financière mondiale de 2008, le secrétaire au Trésor de l'époque, Henry Polson, avait supplié les dirigeants politiques de le soutenir après le rejet par le Congrès de son plan de sauvetage financier de 700 milliards de dollars. Il y a réussi et la Chambre des représentants a voté son texte en deuxième lecture avec l'appui des démocrates et des républicains. D'une certaine manière l'histoire se répète : à l'époque, l'opposition de la Chambre tenait à la présidente démocrate de la Chambre, Nancy Pelosi ; aujourd'hui elle tient au chef de la minorité républicaine, Mitch McConnell. Traduit de l'anglais par Patrice Horovitz *Professeur à l'université de Californie à Berkeley. Il a écrit de nombreux livres, dont le dernier, In Defense of Public Debt, va paraître prochainement |