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A la crise de l'eau, du lait,
d'une mercuriale démentielle, du manque de médicaments, s'ajoute une
bureaucratie entretenue par un excès de zèle qui malmène les citoyens et qui
les oblige à s'aligner sur l'ignoble politique du «jeton», une pratique qu'ils
pensaient révolue avec «la modernisation et la numérisation de l'administration
publique».
Il est exactement 5h5m -du matin bien sûr-, il fait encore nuit. En face des services des domaines et du cadastre de la commune de Bab Ezzouar, quelques lumières filtrent des balcons des immeubles d'en face. Nous devons chercher une feuille blanche sur laquelle nous devons nous inscrire pour pouvoir prétendre remettre un dossier pour l'obtention du livret foncier de l'appartement familial sis à la cité du 8 Mai 45 appelée communément cité Sorecal du nom de l'entreprise qui l'a construite dans les années 80. Ce n'est certainement pas de gaîté de cœur que nous retrouvons aux aurores devant un portail fermé alors que les gens dorment encore. Les faits et que la semaine d'avant, nous nous sommes présentés à ces mêmes services des domaines pour déposer le dossier en question. «Vous arrivez à 11h et vous voulez déposer le dossier ?! », s'est exclamé un agent de sécurité à notre face. Mais, lui avons-nous dit, nous nous sommes renseignés et on nous a dit que vous fermez à midi, il reste encore une heure. «Mais ça ne se passe pas comme ça ! Vous devez venir à 5h du matin pour vous inscrire sur une feuille que vous trouverez dehors, vous attendez 8h, l'heure d'ouverture du portail pour qu'on vous donne un jeton et vous attendez jusqu'à 9h, 9h30 pour qu'on appelle(...) ». Nous quittons les lieux sans commentaire. C'est en suivant ces consignes que nous nous retrouvons lundi dernier devant ces services fermés. Effectivement, il y avait une feuille de papier sur le rebord de la fenêtre de la loge fermée du gardien. Nous remarquons un jeune homme descendre de sa voiture et se diriger vers cette loge. «Vous vous inscrivez pour déposer le dossier du livret foncier ?», interrogeons-nous. « Oui, de toute manière, on doit s'inscrire que ce soit pour le déposer ou le retirer, il faut venir tôt pour ça », nous a-t-il répondu. Le jeune homme était la 8ème personne à s'inscrire sur la feuille. «J'ai eu peur d'être attaquée par les chiens errants» Mais, lui demandons-nous, à quelle heure se sont inscrites les 7 premières ? « Bien plus tôt ou tard le soir, ça doit être des gens qui viennent juste de l'entourage de cette cité, ça doit être eux qui ont laissé le stylo, ils nous ont rendu service », a-t-il expliqué en souriant. Nous étions donc à la 9ème place sur une feuille qui ne doit pas excéder 25 au regard du cadre tracé et numéroté. Nous restons debout devant le portail fermé jusqu'à 8h, heure où le portail a été ouvert. Mais le plus dur, c'est ces plaintes que nous avons entendues des citoyens qui sont venus s'inscrire après nous. Il est 5h14, l'appel à la prière retentit de la mosquée du quartier. Quelques habitants du voisinage se dirigent à pas soutenus vers la mosquée avec sous le bras un tapis de prière comme exigé au titre des mesures de prévention contre la Covid-19. Une dame arrive vers nous et nous demande «il y a combien d'inscrits ? ». «10 jusqu'à maintenant », répond-on. Avant le jeune numéro 8, un autre jeune homme s'était inscrit en souriant nerveusement pour avoir trouvé déjà 9 personnes avant lui. «Je suis malade, j'ai mal aux pieds, je ne peux même pas marcher, mais je suis obligée de venir si tôt, je n'ai personne qui peut le faire à ma place, je suis obligée de manquer encore une journée de travail pour faire la queue, j'ai d'ailleurs fermé mon téléphone pour que mon responsable ne puisse pas me joindre, je n'ai pas le choix », se plaint la dame arrivée elle aussi à l'aube mais pour être à la 11ème place. Une autre arrive en haletant et en essuyant la sueur sur son visage. « Je viens de la cité Soummam, j'ai eu peur d'être agressée ou attaquée par les chiens errants, il n'y a pas encore les transports publics, il est trop tôt, mais déjà je suis au numéro 22, mon Dieu, j'espère que je pourrais passer ». Avant elle, des hommes jeunes, vieux, s'appuyant sur une canne pour pouvoir marcher, viennent les uns après les autres pour s'inscrire sur la maudite feuille blanche devant laquelle la dignité de l'Homme n'a plus de sens. Nous avons préféré ne pas bouger de devant le portail fermé. De 5h5 jusqu'à 8h5, nous restons debout de peur avons-nous dit aux autres damnés de la bureaucratie comme nous, que quelqu'un déchire la feuille de colère parce qu'il aura vu que les 25 places sont déjà prises. Chacun des « inscrits » raconte ses déboires, se plaint, se lamente... « Ohhh, j'ai oublié, il faut que j'aille faire une autre chaîne, je dois aller à la baraque de l'autre côté de la cité pour acheter le lait », lâche le jeune n°8. «On laisse le robinet ouvert pour ne pas rater notre ration» La dame n°11 lui dit qu'il l'a fait rappeler pour le lait et lui demande si elle pouvait aller avec lui, «je dois acheter le lait, je fais la chaîne tous les matins, j'ai mal à la tête, je n'ai pas dormi de peur de ne pas entendre le portable sonner », lui dit-elle. La dame n°22 s'est plaint d'être diabétique, de s'être levée très tôt «pour remplir l'eau, on n'a pas d'heure précise, on laisse le robinet ouvert pour ne pas rater notre ration, c'est terrible, on n'arrive pas à gérer les deux bouts », se plaint-elle. « Déjà, on a dépassé 25, on est à 30 ? Je m'inscris quand même peut-être qu'ils voudront nous laisser passer», ronchonne un bonhomme qui s'était étonné que «tout le monde se plie à ce manque de respect, ils nous font faire ce qu'ils veulent et on accepte, c'est normal qu'ils continueront toujours à nous humilier !», s'est-il exclamé. «Que voulez-vous qu'on fasse, on n'a pas le choix, sans ça vous n'aurez jamais votre livret foncier !», lui répond nerveusement la n°11. L'échange de propos «fermes» anime ce groupe de personnes que nous étions à attendre patiemment l'ouverture du portail des services des domaines qui, faut-il le dire, relèvent du ministère des Finances. Des services qui ont décidé de diviser le nombre de communes qui dépendent de la circonscription administrative, la wilaya déléguée de Dar El Beïda, sur les quatre premiers jours de la semaine. Les habitants de la commune de Bab Ezzouar sont reçus uniquement les lundis de «9h à 12h». A chacun son histoire mais avec ce funeste dénominateur commun, un quotidien bien malheureux, bien lourd à supporter. Le soleil pointe à l'horizon, de derrière les immeubles de la cité. 7h tapantes, une voiture avance, un bonhomme en descend et frappe énergétiquement au portail fermé. Un quart d'heure plus tard, le planton le lui ouvre. Il rentre sa voiture sans se soucier de ce groupe de femmes et d'hommes debout sur les lieux devant lesquels le portail se ferme. «On ne prend pas plus de 25 ! C'est la règle !» 8h, le portail s'ouvre, le groupe «numéroté» s'engouffre à l'intérieur de l'enceinte des services des domaines. Il est bloqué devant quelques marches où se tient un agent avec la fameuse feuille dans la main, un autre à ses côtés tenant des jetons. Au fur et à mesure que le premier lit un nom inscrit, le second remet un jeton. Une fois 25 jetons distribués, il plie la feuille et lâche « c'est terminé pour aujourd'hui, ceux qui ont un jeton attendent ici jusqu'à ce que les bureaux ouvrent, à 9h ou 9h 30...», dit le premier. Ceux inscrits après le numéro 25 rouspètent haut et fort. «Non, on ne prend pas plus de 25 ! C'est la règle !», répond l'agent fermement. 9h25, on nous laisse rentrer dans le hall pour nous regrouper devant la porte du couloir qui sépare le bureau du livret foncier. 10h30, l'agent de sécurité appelle «le n°9 !». Il y a longtemps que vous avez organisé vos services de la sorte ?, demandons-nous à l'employé qui nous a reçus. «Depuis qu'il y a la Covid...», a-t-il répondu. Non, pour ce qui est de s'inscrire à 5h du matin pour déposer le dossier ou retirer le livret foncier ?, lui avons-nous précisé. «Ah, moi je ne m'occupe que de ce qu'il y a à l'intérieur de mon bureau, ce qui se passe à l'extérieur ne me concerne pas, ce n'est pas mon problème !», lâche-t-il avec un flegme qui tranche avec la nervosité qui anime le hall où se bousculent de nombreux citoyens. Au diable la distanciation sociale, la bavette encore moins le gel hydroalcoolique. Une seule mesure qui est respectée, pas plus d'une personne dans le bureau qui reçoit pour le dépôt ou le retrait du sésame «foncier» qui attribue définitivement la propriété à celui qui l'obtient. La plupart des demandeurs possèdent des logements sociaux que l'Etat a décidé depuis de longues années de leur céder à leurs occupants pour ramasser de l'argent. De nombreux dossiers traînent depuis au niveau des différents services des domaines au nom d'une bureaucratie pesante, ignoble et insolente. «Je cherche les comprimés de chimiothérapie» Entre autres discussions, le manque de médicaments en particulier pour les cancéreux. «On ne trouve pas les comprimés qui sont donnés pour la chimiothérapie, ils n'existent que dans les grands hôpitaux, mais ils sont inexistants dans ceux de l'intérieur du pays, on a des malades qui souffrent, on a voulu les acheter mais on ne les trouve pas », se plaint un citoyen avec qui tout le monde est d'accord. La dame n°11 regarde autour d'elle et demande « mais où est passé le n°8 ? J'espère qu'il ne s'est pas oublié quelque part ». Un vieux lui répond «c'est mon fils, il est venu tôt pour m'inscrire, je ne peux pas le faire à mon âge, surtout que ces derniers temps, je suis entre l'endormi et le réveillé, j'attends de remplir l'eau, on souffre ». De l'autre côté de la capitale, les Dunes (El Kothban Erramliya), Staoueli, Sidi Fredj et autres quartiers, Aïn Benian(...), l'eau joue au yoyo, elle est lâchée un quart d'heure et coupée un autre, très souvent c'est en restant bloquée toute une journée que les familles peuvent s'acquitter de leur ménage, remplir leurs récipients et enfin terminer... leur douche. Un véritable calvaire. A notre sortie des services des domaines, un citoyen, le n°24, nous aborde pour nous demander «on vous a dit quand vous devez revenir pour le retirer ? ». Oui, ils l'inscrivent sur le récépissé de dépôt du dossier, dans un mois, lui répond-on. «On m'a fait la même chose, mais ça fait quatre mois que je fais le va-et-vient... », lance-t-il avec un air découragé. |