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Deux Tlemceniens,
professeurs d'arabe au Mali ou l'exil «forcé» de deux enseignants indigènes au
Haut Sénégal Niger.
Il fallait avoir un grand courage et un sens inné de l'aventure pour partir, en 1909, au fin fond du Mali pour enseigner et c'est ce qu'il a accompli Benaouda Ali Chaouch, âgé alors de 25 ans. Mais d'abord, qui était-il ? Né en 1884 à Tlemcen, il est issu d'un milieu de la noblesse tlemcenienne, de haute culture arabo-musulmane et d'instruction bilingue (arabe et français). A la fin de son adolescence, il obtint le Brevet d'arabe littéraire, ce qui lui a permis d'être admis à la Médersa franco-musulmane. Après quatre ans d'études, il a obtenu le Diplôme d'études supérieures des médersas (DESM) qui lui a valu le titre de professeur d'arabe, tout en maîtrisant à la perfection la langue française. A cette époque, les cheikhs autochtones du Mali où l'on parle le swahili réclamaient des professeurs d'arabe afin de faire apprendre à la population la langue du Coran. Ces professeurs, seule la Médersa franco-musulmane à Tlemcen, d'où est issu Benaouda Ali Chaouch, pouvait les offrir. Un poste de professeur lui a été proposé à la Médersa de Djenné au sud du Mali, à la frontière du Niger. Il accepta donc ce poste, d'autant plus qu'il savait qu'un autre professeur de Tlemcen s'y trouvait déjà depuis 1905, à savoir le cheikh Si Mohammed Merzouk qui avait alors 21ans. «M. Ali Chaouch Benaouda pourvu du diplôme d'études supérieures de la Médersa Alger est nommé professeur de la Médersa de Djenné et mis à la disposition du Lieutenant-gouverneur de Haut Sénégal Niger...» (J.O du HSN du 1er août 1910), selon l'arrêté de nomination du ministre de l'Instruction publique du 23 avril 1909. Quant à l'arrêté de son concitoyen du 30 mars 1906, il stipule : «M. Merzouk Ben Mohammed ancien répétiteur à l'école des Langues orientales vivantes pourvu du diplôme de la Médersa supérieure d'Alger est nommé professeur d'enseignement musulman à la Médersa de Djenné et mis en cette qualité à la disposition du Lieutenant-gouverneur de HSN...» (J.O du HSN du 1er août 1910). A noter que ce dernier occupa ce poste pendant 5 ans avant de démissionner : «La démission de son emploi offerte par M. Merzouk Ben Mohammed, professeur de Médersa, précédemment en service au Haut Sénégal Niger, est acceptée à compter du 20 juin 1911...» (arrêté publié au J.O du HSN du 1er novembre 1911). En cours de route, Ali Chaouch Benaouda a transité par la ville de Kayes, où se trouvait, faut-il le souligner, un autre Tlemcenien Si Ahmed Bendedouche, cadi de la ville. En l'année scolaire 1905-1906, Si Mohammed Merzouk enseigna à la Medersa franco-musulmane de Tlemcen en tant que maître titulaire d'arabe littéraire. Mais ce satané colonialisme veillait... Les maîtres de Si Mohammed Merzouk avaient deviné en lui un futur nationaliste qui leur créerait des ennuis à plus ou moins brève échéance, et qui saurait réveiller la fibre nationale algérienne. Pour l'administration coloniale, il ne fallait donc pas qu'il restât à Tlemcen, selon son fils Khaled Merzouk, auteur du livre «L'itinéraire du Cheïkh Si Mohammed Merzouk (1884-1939)». Ses supérieurs hiérarchiques l'élevèrent alors au grade de professeur et le mutèrent au lointain «Haut Sénégal Niger», territoire qui faisait partie de l'ex-Afrique Occidentale Française (AOF), dans la localité de Djenné, au fin fond de l'actuel Mali, et avec le secret espoir qu'il ne reviendrait plus jamais, où le colonialisme triomphait et où chaque Algérien musulman sachant lire et écrire était devenu suspect et ennemi à surveiller et à abattre éventuellement ou à exiler le plus loin possible. Si Mohammed Merzouk partit donc dans ce lointain pays, à contrecœur, car n'ayant pas d'autres débouchés, et y resta cinq longues années scolaires de 1906 à 1911. Il y enseigna bien sûr la langue arabe et les rudiments du vocabulaire et de grammaire aux jeunes Maliens. A la demande des notables de la ville de Djenné, il donnait également des causeries religieuses à la mosquée, et ce, en dehors des heures de cours. Ce voyage, il l'avait accompli quelques années avant son collègue, également professeur Si Benaouda Ali Chaouch. Tous les deux, ils vécurent des années difficiles. Or, ces mêmes notables avaient remarqué que Si Mohammed Merzouk vivait en célibataire, seul, et ils lui suggérèrent de se marier, ce qui lui faciliterait un tant soit peu sa vie privée. Et c'est ainsi qu'il se maria, suivant la chariaâ musulmane, avec une jeune fille malienne, sans aucun préjugé racial. Cette jeune fille, ainsi que sa cousine, était de lignée royale, descendante des rois de l'Empire du Mali qui avait une grande renommée au XVIe siècle avec Tombouctou pour capitale. Si Mohammed Merzouk et Si Benaouda Ali Chaouch se retrouvèrent donc mariés, loin de Tlemcen et de l'Algérie. De ce mariage de Si Merzouk sont nées deux filles : l'une en 1908 prénommée Khadidja, du nom de l'épouse du Prophète (QSSL), et la seconde Yamina, née en 1910, du nom de la mère de Mohammed, sur Lui prière et paix. Mais le séjour à Djenné était très dur et le climat et l'alimentation n'étaient pas pour améliorer les conditions de vie. A cela venaient s'ajouter l'isolement et la nostalgie du pays natal, quand bien même les habitants de la ville de Djenné essayassent de lui faire supporter le séjour. En effet, un soir, voulant regagner le centre-ville, alors que les portes en étaient fermées, il eut la surprise de se retrouver à proximité d'un lion à la recherche d'une pâture. Si Mohammed Merzouk n'eut la vie sauve que grâce à la vigilance et la promptitude du gardien. Celui-ci des hauts de la muraille décocha une flèche qui tua le lion, sur le coup. Si Mohammed Merzouk introduisait chaque année auprès de ses supérieurs des demandes de mutation, restées, bien sûr, sans réponse. Après cinq années de cette vie difficile, ne pouvant plus résister, car cela était au-dessus de ses forces morales et physiques, il démissionna de son poste, après avoir rempli ses cinq années de «service civil». Il revint à Tlemcen avec son épouse et ses deux filles en bas âge après un long et pénible voyage. Mais à Tlemcen, ce fut l'inverse qui eut lieu ; son épouse malienne, à son tour, ne s'adapta pas à la vie citadine et au climat froid de Tlemcen. Le couple décida alors d'un commun accord de divorcer à l'amiable. Khadidja, la fille ainée fut gardée par son père, et Yamina, la plus jeune, encore bébé, repartit au Mali avec sa mère. Si Mohammed Merzouk avait raccompagné sa femme et le bébé Yamina jusqu'à son pays, auprès de ses beaux-parents... Il faut savoir que le jeune Merzouk entama ses études secondaires à l'école franco-arabe puis dans la grande et renommée médersa franco-musulmane de Tlemcen. Il obtint le diplôme du Brevet d'arabe littéraire à Alger, en 1904. Son professeur à Alger (médersa Thaâlabiya) était le Cheïkh Abdelkader Medjaoui, originaire de Remchi (ex-Montagnac) et ses professeurs à Tlemcen avaient pour noms les Cheïkhs Hadj Mohammed Benyamina, Benyoucef Baghdadi, Ghouti Bouali (auteur de «Kechef el quinaâ an alat essamaâ»/ôter le voile sur les instruments de musique) et William Marçais (frère de Georges Marçais, écrivain, conservateur du musée puis directeur de la médersa de Tlemcen, auteur du «Dialecte arabe parlé à Tlemcen). Bien avant cela, il a été élève, dès 1901, à la première école franco-arabe, abritée par «Dar Mebkhout» sise au quartier Sidi Brahim El Mesmoudi, laquelle médersa a été transférée à la mosquée de Sidi Bel Hassan Et-Tenessi, «reconvertie» par les autorités coloniales en musée au centre-ville de Tlemcen. Ses camarades de classe ont été, entre autres, Benaouda Ali Chaouch, Bachir Rostane, Sid Ahmed Belkhodja..., selon Hadj Khaled Merzouk. A noter que Si Mohammed Merzouk et Benaouda Ali Chaouch avaient le même âge ; ils sont nés en 1884 (et décédés respectivement en 1939 et 1913). Il faut savoir qu'avec la conquête par la France à partir du début des années 1880, le Mali devint une colonie française le 27 août 1892 sous le nom de Soudan français avant de recouvrer son indépendance le 22 septembre 1960, tout en conservant le nom de Mali. Enfin, il convient de signaler dans ce contexte que Sid Ahmed Dendane, alias Rachid, qui vient de nous quitter, avait tenté un «exil» avec sa famille en Mauritanie à titre de «coopérant» dans le cadre d'une assistance technique de l'Algérie à un pays frère ; il resta à Nouakchott de 1973 à 1976, soit 3 ans, où il fut chargé à l'école normale de dispenser des cours de psychologie et de pédagogie appliquée. |