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Le
17 octobre marque «la journée nationale de l'émigration» en Algérie. Une
journée célébrée par des manifestations culturelles, en hommage aux millions
d'Algériens contraints à s'exiler dans le monde pour de multiples raisons.
Le choix de cette date n'est pas arbitraire, car la nuit du 17 au 18 octobre 1961 connut des événements dramatiques pour les migrants nord-africains de Paris. Qualifiés de massacre, ces événements sont le fait d'une répression meurtrière exercée par la police française à l'encontre d'une manifestation pacifique d'Algériens. La marche, non déclarée aux autorités françaises, organisée à Paris par la Fédération de France du FLN, se voulait sans armes ni aucune violence. Le FLN, qui y voit un moyen d'affirmer sa représentativité, y appelle tous les Algériens à un défilé nocturne sur les grandes artères de la capitale française. Le rassemblement donne lieu à des affrontements au cours desquels des policiers font feu. La brutalité de la répression, qui se poursuit au-delà de la nuit du 17, fait plusieurs centaines de blessés et un nombre de morts, qui reste discuté, de plusieurs dizaines selon les estimations les moins élevées. Le 17 octobre 1961, perçu comme un épisode sanglant lié à la Guerre d'Algérie, demeure toutefois un fait assez méconnu dans l'histoire de l'Algérie moderne. C'est seulement à partir des années 1990, que ce sujet commence à faire l'objet d'un traitement médiatique sincère, politiquement plus important, à la suite de la publication d'études historiques, de romans, d'un recueil photographique et surtout du retentissant procès de Maurice Papon, préfet de police de Paris en fonction à cette date. En 2012, le président de la République française François Hollande «reconnaît avec lucidité», au nom de la République, la «sanglante répression» au cours de laquelle ont été tués «des Algériens qui manifestaient pour le droit à l'indépendance». Structurée fermement par le FLN, la communauté d'immigrés algériens, tous en faveur de l'indépendance de l'Algérie, est très importante en France. Le FLN, alors signalé comme une organisation insurrectionnelle, décide d'élargir la lutte armée anti-coloniale à la France métropolitaine en 1958. Néanmoins, c'est pendant l'été 1961 que les tensions entrent dans une phase critique, suite aux dissensions générées dans chaque camp dès le début des négociations entre le gouvernement français et les représentants du gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), en vue de préparer l'autonomie du futur Etat algérien. Alors que les groupes ultras de l'OAS et les partisans de l'Algérie française tentent de contrecarrer le processus de l'autodétermination, des querelles internes entre les clans du FLN se jouent pour l'accès au pouvoir de la nouvelle Algérie. D'une part, les maquisards des wilayas de l'intérieur en conflit avec les groupes stationnés dans les frontières. D'une autre, les amis qui rejoignent la cause du mouvement de la libération de l'Algérie à partir de l'étranger. Le FLN décide alors d'employer le moyen fort pour se faire valoir en France même. Ses attaques visent principalement des agents isolés et des actions de sabotage. Ces tensions et ces colères croissantes créent un climat d'insécurité dans la police. Cette atmosphère anxieuse conduit les policiers à exercer une pression constante contre la communauté nord-africaine. Ce qui a progressivement induit à de multiples soulèvements d'indignation, puis à la tuerie du 17 octobre 1961. Depuis le 5 juin, le FLN de France s'abstenait d'attaquer les policiers et les harkis, respectant ainsi la trêve observée entre le 5 juin et le 15 août, édictée par le GPRA pendant les négociations avec le gouvernement français. Il rompt ce cessez-le-feu le 15 août, par une offensive contre la Force de police auxiliaire (la FPA, communément appelée «les harkis de Paris») qui fait trois morts. Le 29 août, trois policiers succombent dans différents quartiers de Paris sous cinq attaques simultanées. Ces morts marquent le début d'une vague d'attentats de cinq semaines, d'une ampleur inédite: entre le 29 août et le 3 octobre, au cours de 33 attaques distinctes, les commandos du FLN tuent 13 policiers, soit plus qu'au cours de chacune des années précédentes du conflit. L'historien français Jean-Paul Brunet place cette vague de violences à l'origine de l'enchaînement qui débouche sur la répression des 17 et 18 octobre. Il donne de ce fait une lourde part de responsabilité aux dirigeants du FLN parisien. Pour lui, la répression des forces de l'ordre est allée en s'intensifiant. Le FLN ne voulait pas retenir ses armes au risque de perdre la communauté immigrée complètement démobilisée, harcelée et coincée par les autorités françaises. Par ailleurs, le FLN remplace le modéré Ferhat Abbas par Ben Youcef Benkhedda à la tête du CNRA (Conseil national de la Révolution algérienne) qui gère la politique du pays. Ce dernier chef tente de se placer en position de force pendant les négociations, en multipliant le nombre des attentats en métropole. Les représailles effectuées par les policiers contre les manifestants algériens étaient d'une extrême brutalité. C'était une sorte de revanche haineuse à prendre pour répondre aux actes de revendications armées pratiqués par les éléments du FLN lors des derniers mois. Des témoins notent que des assassinats ont été froidement commis par les agents de l'ordre ce 17 octobre. Certains manifestants ont été jetés dans la Seine, d'autres ont été abattus au cours de fusillades dans la foule dans plusieurs quartiers de la capitale. Elie Kalan, un photographe qui assiste à cette manifestation réprimée avec violence, immortalise les scènes dans ses images, des centaines de clichés originaux, qui figurent parmi les archives du Musée de l'Histoire contemporaine de Paris. Le 17 octobre 2001, le maire de Paris inaugure sur le pont Saint-Michel une plaque commémorative dédiée à la mémoire des nombreux Algériens tués pendant la sanglante répression de cette manifestation pacifique. D'autres hauts responsables dénoncent tour à tour cet événement qui a enfreint, ce soir du 17 octobre 1961, toutes les valeurs et toutes les règles fondamentales de la République. De leur côté, les autorités algériennes saluent et approuvent toujours «ces bonnes intentions» de reconnaissance, tout en regrettant l'absence d'excuses formellement officielles. *Ecrivain |