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Le «chicht»
de Si Djelloul, le «fitour»
de Ba'Qorro, El-f'hem de Ba'Hadjadj, la «haska» de Cheïkh Salah et «dhaw'» de Gastambide
Jadis à Tlemcen, pour les besoins aussi bien de la cuisson que du chauffage ou du séchage, on allait chercher du «r'bou» ou «bougha» (braise) chez le «tchah'tchah» (chauffeur d'étuve du bain maure) du coin. Sinon, au beau matin, la femme de la hawma (quartier) demandait d'habitude de ses voisines des éléments de charbon ardent (âafia ou n'wréa, euphémisme de feu) pour allumer son feu de cuisine. La maman se levait très tôt pour préparer le café pour le papa. Elle devait faire du feu avec du papier froissé (à défaut d'alcool à brûler) sur le charbon contenu dans le nafekh (fourneau traditionnel). Telles les vestales de Rome, nos vieilles mères entretenaient «el a'fia»,le feu utile... Lors du mois sacré de Ramadhan, le plat de «esseffa», couscous au beurre «smène essahra» (conservé dans une outre appelée «oukka» ou celui dérivé du lait de vache) et aux raisins secs, était chauffé sur des braises (brasero) juste après le ftour. A propos de dégustation, ce qui poussait les enfants à rompre le sommeil pour prendre part au s'hour, c'est le «qarqouch», cette croustillante «galette» gisant au fond du tadjine (plat en terre cuite), de seffa (qu'on mettait sur des braises à feu doux juste après le f'tour), que ces derniers adoraient racler avec leur cuillère en bois. Correspondant au camion Naftal d'aujourd'hui, le tombereau de Ba'Qorro faisait le tour des huileries de Tlemcen, des Hadj Eddine (Haï Louz), Boudjakdji (Riat El-Hammar), Lachachi (El-Kalaâ), Benkalfat (Sidi Boudjemaâ), Bellahcène dit Sebbaghine (Qorrane Seghir) pour collecter du «fitour» (grignon) qui servait de combustible pour «el-fernaq» (foyer ou chaudière) des bains maures... Alors que la plupart des foyers utilisaient la tabouna (four en terre cuite) ou le «medjmer» ou «nafekh» (brasero) appelé aussi kanoun (par les Israélites ) pour la cuisson (les maritornes chargées de cette tâche lors des mariages ou autres cérémonies procédaient de même), alimentés avec du bois ou du charbon (le mot tadjine désignait aussi bien le plat que la marmite en terre cuite), certaines familles «émancipées» possédaient déjà «el-machina ta'chicht» (un petit réchaud à pétrole avec piston, muni d'une aiguille appelée «chouka» pour dégripper le bec). On en chauffait la tête en brûlant de l'alcool dessus. Je me souviens de cette époque lorsque mes parents m'envoyaient acheter du «chicht» chez Si Djelloul Bentabet, ce charismatique épicier de la rue Benziane (El-Medress), qui puisait le «carburant» du fond d'un baril (barmil) au moyen d'une pompe classique à manivelle (pompa). 4 douros le litre. Hadj Slimane de la rue Lamoricière, Si Bendra de la rue Sidi Bel-Abbès et Si Aboura de R'hiba faisaient également office de «pompistes». Par ailleurs, pour soigner une toux, on imbibait de chicht un morceau de sucre qu'on suçait. En matière de réparations (réchaud ou lampe), on allait chez Ba'Miloud El-M'asakri, le «chauffagiste» de la rue Belle treille (Bab Ali) ou Chaoui de derb Sidi Saâd. Pour faire acquisition de ce genre de matériel, une bonne adresse: Filozora, un Italien, à Tafrata, sur la place Cavaignac, à côté du café Reguig. Quant à Ba'Mustapha Settouti, le «qazdirou» de la rue Benziane, il proposait la plomberie... Pour les braseros (poterie des Traras ou de Khemis), on pouvait se les procurer chez les Abbas, Benyahia, Seqqat, Deqqaq de la rue de Sikak (El-Mawqaf) ou au niveau des fondouks (caravansérails) Rostane, Djamâa El-Benna... Outre la cuisson, le brasero tenait lieu de chauffage en hiver; il trônait au milieu de la qoubba (chambre collective) et chacun venait s'accroupir tout autour pour prendre sa dose de calories salvatrices. «Dif el-machta m'a fi'h r'bah, ya'zel el-medjmer oua el-bourabah», disait-on. (La visite d'un hôte en hiver ne peut apporter que désagrément puisqu'il va «s'accaparer» du brasero et des couvertures destinées à la maisonnée). Il ressort d'un inventaire datant des années 1846 que parmi les combustibles en usage, figuraient le charbon (12 f le q) et le bois (5 f le q). Ceux-ci étaient d'origine locale, c'est-à-dire fournis par les «indigènes» de la région (Sebdou, Béni Snous). Le premier combustible était destiné à un usage domestique; on s'achetait du charbon(f'hem) de Béni Ournid du côté d'El-Medress, la Souiqa, la rue basse ou chez Ba'Hadjadj qui tenait échoppe à Bab El-Djiad: 3 douros le kg. Les Chekroun, Diaz, Compère, entre autres, allaient s'y approvisionner par camion du côté de Asfour, Tagga, Sid Zahar... On trouvait cinq variétés de charbon sur le marché dont fhem, shaq (chauffage), sfaq (lessive), fhem ghlid (cuisson), dars... Du point de vue danger domestique, shaq était mis à l'index à cause du monoxyde de carbone. Le second combustible (htab) alimentait les fours banals (ferrane) des Ammi Boumediène (Sid El-Djebbar), Boumédiène La'mèche (Bab Ali), Dali Ali (Hart R'ma), Bendahma (derb El-Hadjamine), Boufeldja (R'hiba), Kherris (Bab El-Djiad), Benselka (derb Béni Djemla)... Pour l'éclairage, on utilisait la «malabosa» (lanterne à huile) dans laquelle on déposait une touffe de laine imbibée d'huile; on retrouvait ce système dans les bains maures. «El haska» (candélabre) surmontée d'une «chamaâ» (bougie), «A'saqi baqi ma' qarrab haskatou...», chantait Cheïkh Salah), un «qinqi» (quinquet) ou une «lam'ba ta' carbil» (lampe à carbure utilisée alors par les cheminots) servaient pour les mêmes besoins... A ce propos, la mercuriale indiquait les prix suivants: chandelle (2.00 f), l'huile(1.85 f), l'esprit de vin (2.10 f), l'eau de vie (1.00 f), 2 grosses et 8 douzaines de mèches à quinquet (10.35 f), 2 kilos 500 d'amadou (7.50 f), 1 paquet de bougies Etoile à 8 (1.40 f)... Ces produits provenaient de la métropole (France)... Dans ce sillage, une anecdote fut racontée par le regretté Djelloul Benkalfat. On ne peut penser à l'installation de la lumière électrique à Tlemcen sans évoquer M. Gastambide. Deux centrales électriques, celle de Mansourah et celle de Négrier, mues par l'eau du bon Dieu, fournissaient le courant à la ville. Un pauvre courant qui faisait ce qu'il pouvait mais qui ne pouvait pas grand-chose: pas d'électricité le jour, pas de compteur, pas de force calorifique ni de force motrice. Un seul but: la lumière nocturne. C'était encore le balbutiement de cette puissance qui allait bouleverser le monde: l'électricité. Les jours de fête, de bals surtout ( à la rue Napoléon, au lieudit Tafrata, qu'on souhaitait voir à l'époque tomber en ruine: «Allah ya'tiq r'dam ya Tafrata»), il fallait éclairer convenablement la ville européenne. Mais hélas, le courant était sans force. Alors, monsieur «E.G.A» prenait urbi et orbi une décision héroïque: «Qu'on coupe Bab Ali», privant ainsi d'éclairage ce quartier populaire dans la vieille médina. Au fait, d'où vient le mot »chicht» ? Comme le pétrole, c' est une huile de schiste, et cela servait à alimenter les lampes et les réchauds, le langage populaire, très économe de ses mots, condense «huile de schiste» (3 mots) dans 1 seul mot «chicht». Ce terme, qui est un emprunt au français, est assez ancien. Il était largement utilisé par la population féminine. L'autre sens rapporté à quelque spiritueux n'est qu'une invention plus récente, peu pertinente d'ailleurs, et limitée souvent à la jeune population masculine, selon l'écrivain Souheil Dib. Rappelons qu'on donnait (on donne d'ailleurs toujours), par dérision ou discrétion, le sobriquet (surnom) de (Si flène) «chicht» aux adeptes de Bacchus (ivrognes). Il faut mentionner dans ce sillage que l'esprit de vin, l'eau de vie, l'alcool à brûler figuraient parmi les combustibles en usage à l'époque. Dans ce contexte, force est de convenir qu'aujourd'hui le confort domestique est favorisé par diverses énergies, tels l'électricité (éclairage, climatisation, médias...), le gaz GNL (cuisson, chauffage...), les différents carburants comme l'essence, le gaz oil (chauffage, bain, voiture...), le gaz GPL (véhicule) et dans un proche avenir le controversé gaz de schiste. A telle enseigne, qu'une nouvelle villa ne répondrait pas aux standards de la qualité de vie moderne recherchée par son propriétaire si elle n'est pas équipée d'un chauffage central (chaudière), d'une bâche d'eau (puits moderne) ou d'un hammam arbi (l'installation de panneaux solaires est à la mode aujourd'hui). Autres temps, autres mœurs. Par ailleurs, il faut savoir que le gisement pétrolier de Hassi Messaoud (ainsi que Haoud El-Hamra) fut découvert le 15 juillet 1956 (et mis en exploitation en juin 1958). Le «baptême» pétrolier eut lieu à Edjeleh en 1955. Les concessions étaient réparties entre les deux sociétés françaises C.F.P.A et S.N. Répal. Quant au gisement de gaz naturel de Hassi R'Mel, il fut découvert la même année. |