|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
«La pire des corruptions n'est
pas celle qui brave les lois, mais celle qui s'en fait à elle-même» Louis de
Bonald
La corruption est un fertilisant pour les dictatures et un poison pour les républiques. Elle consolide les régimes autoritaires et détruit les institutions en gommant le droit. Du berceau à la tombe, la république se noie dans les eaux troubles de la corruption. On ne scie pas la branche sur laquelle on est assis, même si elle est pourrie. Il n'y a pas de corrompu sans corrupteur. Les deux se tiennent par la main et font le marché ensemble. Elle est le lubrifiant du régime et l'opium du peuple. Mirabeau disait «la corruption est dans l'homme comme l'eau est dans la mer». Il n'y a pas d'eau douce dans une mer salée. Pour s'en convaincre, il suffit de jeter un regard furtif sur les détritus qui jonchent le sol pour se rendre compte de l'ampleur du phénomène. Dieu bénit les mains laborieuses et maudit les mains oiseuses. A quoi est due la corruption ? A plusieurs facteurs, on peut en citer quelques-uns : la concentration excessive des pouvoirs et des ressources, le laxisme et/ou l'indigence des autorités monétaires, douanières, fiscales ou bancaires, la mauvaise gestion des entreprises au sens pénal et économique du terme, l'absence ou l'insuffisance des mécanismes qui permettent de contrôler l'action des dirigeants d'entreprises et des fonctionnaires de l'administration et les obligent à rendre compte de leurs actes, et enfin l'intervention systématique de l'Etat pour éponger des déficits financiers de toutes origines sans procéder à des audit préalables. L'Etat en Algérie se caractérise par l'inefficacité de la gestion publique et ses corollaires : la violence interne et la dépendance externe. Même dans l'hypothèse favorable d'un pouvoir relativement stable, ce pouvoir se révèle largement impuissant à réaliser les objectifs qu'il s'est fixés, à cause de l'inefficacité de son administration et lorsqu'il parvient à réaliser ses objectifs, c'est au prix d'un gaspillage effrayant. Cette inefficacité de la gestion étatique est due, nous semble-t-il, à l'incompétence et à la corruption des dirigeants, qu'ils soient des dirigeants politiques ou des fonctionnaires. Cette corruption est d'autant plus importante qu'à la corruption financière liée au développement de l'économie monétaire et marchande se combinent des formes de corruption qui trouvent leurs origines dans des solidarités plus ou moins tribales. Le loyalisme premier à l'égard de la famille engendre un népotisme qui imprègne les administrations. Le clientélisme, reposant sur l'échange entre personnes contrôlant les ressources inégales est partout roi. C'est un fait établi, l'Etat en Algérie est un Etat sous-développé. Le sous-développement économique est une réalité globale multidimensionnelle. On peut parler de sous-développement politique comme on peut parler de sous-développement économique ou culturel. L'Etat en Algérie n'est pas l'équivalent de ce qu'il est en Europe, c'est une propriété privée. Il n'est pas l'émanation de la nation. C'est en quelque sorte «un héritage». Il prend corps à partir de l'armée et de l'administration et non d'une bourgeoisie ou de la classe ouvrière. Il repose sur une rente et non sur une production. Un Etat qui se fonde sur la force et non sur le droit. Il s'agit en fait d'un détournement de l'Etat par les clans qui s'en emparent pour s'accaparer les richesses de la nation. Les hydrocarbures sont la propriété de l'Etat et non de la nation. Vivant exclusivement de la rente, l'Etat peut se permettre de ne pas développer une production propre en dehors des hydrocarbures et rien ne l'empêche d'établir des relations clientélistes avec les acteurs économiques et sociaux qui se sont multipliés au fil du temps et des sommes amassées. Partant du principe sacro-saint que tout problème politique, économique ou social a une solution budgétaire. Comme le budget est constitué essentiellement de recettes fiscales pétrolières, l'Etat jouit d'une grande autonomie par rapport à la population, puisqu'il est capable de fonctionner et de renforcer ses services sans recourir à l'impôt ordinaire. L'essentiel du jeu économique et sociopolitique consiste donc à capturer une part toujours plus importante de cette rente et à déterminer les groupes qui vont en bénéficier. Il donne à l'Etat les moyens d'une redistribution clientéliste. Il affranchit l'Etat de toute dépendance fiscale vis-à-vis de la population et permet à l'élite dirigeante de se dispenser de tout besoin de légitimation populaire. Elle dispose des capacités de retournement extraordinaire étouffant toute velléité de contestation de la société. Il sera le moteur de la corruption dans les affaires et le carburant des violences sociales. Il n'est pas impossible de penser qu'une des défaillances de l'économie réside dans l'irresponsabilité des «vrais décideurs». Il est certain qu'elle s'observe d'une façon caricaturale dans l'économie algérienne. En effet, s'il existe un lien étroit et automatique entre autorité et responsabilité dans la logique d'un système libéral de type capitaliste, il n'en est pas de même dans un système comme le nôtre. Il y a dictature chaque fois que l'activité est entre les mains d'un homme ou d'un groupe qui l'exerce sans responsabilité, sans contrôle ni a priori ni a posteriori, sans sanction positive ou négative. De cette dialectique autorité/responsabilité résulte l'équation suivante, autorité sans responsabilité se nomme dictature ; responsabilité sans autorité s'appelle anarchie. C'est dans cet esprit que le slogan des jeunes manifestants «système dégage !» prend tout son sens. Le corollaire est «partez tous !». La peste, puisqu'il faut l'appeler par son nom, «ils ne mourraient pas tous mais tous étaient frappés?» dira La Fontaine dans les animaux malades de la peste. Il est indispensable et urgent de soumettre les institutions politiques et économiques à un examen critique afin de s'assurer de leur solidité et de leur crédibilité. Une approche paternaliste de la société a eu un effet démobilisateur de la base, comme c'est l'Etat et non pas la société dans son ensemble qui était considéré comme acteur principal de développement, il en a résulté une apathie généralisée. Cette passivité des populations a renforcé la tendance à centraliser à l'excès l'administration et la planification. Cette centralisation a eu pour effet de conférer un pouvoir démesuré à un petit nombre de fonctionnaires (membres des comités de marchés) qui n'étaient pas toujours capables de résister aux tentations que ce pouvoir suscite immanquablement. Ces tendances à la centralisation affaiblissent à leur tour la capacité des entreprises économiques à générer des ressources ; par contre elles permirent au secteur privé de réaliser des profits excessifs souvent employés à des dépenses ostentatoires plutôt qu'à des investissements productifs. Le pouvoir ne s'est pas organisé en fonction des activités et des besoins de la masse de la population, il n'a pas épousé le pays réel, il enrichit et est devenu jouissance. L'incapacité des dirigeants d'améliorer de façon tangible les conditions de vie et de travail des populations suscita un mécontentement croissant entraînant des revendications de plus en plus pressantes. Les dirigeants commencèrent à voir dans le désir de participation populaire à la vie politique et économique une menace pour leur situation personnelle, et une remise en cause de leur conception du développement. Il faut, nous semble-t-il, engager une discussion plus ouverte et plus franche sur l'ampleur de la corruption et ses effets néfastes sur le développement et la société. Aucun gouvernement ne peut avoir d'autorité et aucun plan de redressement ne peut être réalisé efficacement sans l'association des populations au processus de décision et de planification de l'Etat, car plus il faut travailler à l'acceptation du système par la population, gagner son adhésion et sa soumission, plus la bureaucratie se fait tentaculaire, plus grande est la partie d'énergie sous-traitée aux entreprises économiques et sociales productives pour être consacrée au seul maintien du pouvoir et à la stabilité sociale. La perte d'énergie ainsi sous-traitée peut entraîner un cercle vicieux : plus on est mécontent, plus l'opposition se manifeste sous diverses formes et plus ils doivent travailler pour s'y maintenir. Un tel enchaînement peut-il être rompu sans de violentes convulsions dont l'issue finale est si incertaine ? C'est une chose que la phase politique de libération nationale, ç'en est une autre que la phase économique. Construire une économie était une tâche bien délicate, plus complexe qu'on ne le pensait. Dans la plupart des cas, on a laissé s'accroître les déficits et la création des crédits afin d'augmenter artificiellement les recettes publiques, au lieu d'appliquer une politique authentique de redistribution de revenus à des fins productives. Afin d'éviter d'opter pour l'une des différentes répartitions possibles entre groupes et secteurs, on a laissé l'inflation «galoper» à deux chiffres. Cette façon de faire s'est révélée déstabilisatrice. Dans la conjoncture actuelle, l'équilibre de l'économie algérienne dont la base matérielle est faible dépendra de plus en plus de la possibilité de relever la productivité du travail dans la sphère de la production et dans le recul de l'emprise de la rente sur l'économie et sur la société. La solution à la crise, c'est d'abord l'effort interne du pays. Plus on parvient à se mobiliser par ses propres forces, moins on est demandeur, moins on est vulnérable. Cette possibilité est cependant contrariée par l'ordre international dominant et freinée par les formes d'organisations économiques et sociales que la classe au pouvoir a mis en place à des fins de contrôles politique et sociales, si bien que l'équilibre ne peut être rétabli soit par un nouveau recours à la rente ou à l'endettement si le marché mondial le permet (les importantes réserves gazières de l'Algérie constituent le principal atout), soit par une détérioration des conditions d'existence de larges couches de la population. C'est pourquoi l'Etat pourra connaître une instabilité d'autant plus grande que les problèmes économiques et sociaux deviendront plus aigus. Le service de la dette contraint mieux que toute domination politique directe les pays comme l'Algérie à livrer leur énergie à bas prix contre une paix sociale précaire et une difficile sauvegarde des privilèges des gouvernants. En résumé, la dépendance externe et la violence interne sont le résultat logique et prévisible des politiques menées à l'abri de toute contestation depuis trente ans, marginalisant la majorité de la population au profit d'une minorité de privilégiés et au grand bénéfice des multinationales sous la houlette des organismes internationaux. (*) Proverbe indien |