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Il est de ces Hommes quand on
décide d'écrire un récit sur leur vie, le temps suspend son vol et l'auteur
demeure interloqué. Se pourrait-il que l'écrit rende un tant soit peu toute la
charge émotionnelle qui génère ce qui s'est dégagé lors du recueil des
péripéties de leur vie.
Les mots manquent devant tant d'émotions. L'histoire s'écrit toujours dans la quiétude d'un à posteriori pour des générations futures mais ici il s'agit de l'histoire d'un homme de chair et de sang qui donna sa vie pour que son peuple vive dans la liberté et la dignité. Chaque martyr interpelle la conscience, l'intelligence, l'affect et par là l'humanité. Leur mort est différente, particulière, unique ; elle transcende les générations. Elle devient Vie ici-bas pour le commun des mortels et dans le Ciel que jalouseraient les anges selon la parole d'Allah. Il se nomme Hadj Ahmed de la famille des Si-AFIF, né le 13 avril 1925 à Sidi Ali, une localité sise à 50 km du chef-lieu de la wilaya de Mostaganem. Fils aîné d'un commerçant et propriétaire foncier, il fréquente l'école communale qu'il quitte en 1937 avec son certificat d'Etudes en poche. A peine âgé de 12 ans, il s'initie à la récitation du Coran dans la Zaouïa du Cheikh Bencherif à Sidi Ali puis plus tard dans celle des Ouled Khelouf à Sidi Lakhdar. A 17 ans, il fut interpellé par une patrouille de gendarmerie et placé en garde à vue ; pris en flagrant délit d'inscription avec du charbon de bois sur les murs de la mairie ?Algérie musulmane? et autres slogans de liberté. La prise de conscience politique a balayé son adolescence d'un revers de la main. A 20 ans, il adhéra au PPA parmi les premiers militants tout comme ses meilleurs amis Hadj Zerrouki Boumehdi, Abderahmane Raouiya, Meziane Boutaiba et autre Mohamed Ould Djelloul qui formeront très rapidement un groupe si actif, si soudé par l'estime réciproque de chacun pour mener des actions de sensibilisation et de mobilisation de la population autour des thèses nationalistes. Ses connaissances en Islam lui facilitaient les contacts, les regroupements et par-là la propagande en abordant le sujet de la nation par la religion. Sa maîtrise parfaite du français édulcorait cette personnalité fougueuse que lui reprochaient les autorités chargées de l'ordre public. A 27 ans, il fit le voyage à bord d'une « Prairie Renault » en compagnie de son père pour se rendre aux Lieux saints de l'Islam et y accomplir le pèlerinage. Ce qui accroît la notoriété de Hadj Ahmed, raffermit sa respectabilité et illumine son aura. Deux ans plus tard, le conclave des « 22 » d'Alger eut lieu à Clos Salembier, un 25 juillet19 54, suivi d'une réunion restreinte des « six » du 23 octobre à la Pointe Pescade (devenue Rais Hamidou). Le 28 du même mois Hadj Ahmed Si-AFIF participe à Ghar (Grotte) Sidi Youcef au douar des Ouled Bouziane à une réunion de coordination sous la houlette de Larbi Ben M'hidi, dépêché dans la zone historique V par ce groupe des « six » pour une communication de la proclamation de Novembre et une annonciation de la date retenue pour le déclenchement de la lutte armée : le 1er novembre. Un plan d'actions sera dressé et une distribution des missions, à chacun, effectuée. Et le Ciel voulût que le Dahra soit choisi pour que la première balle soit tirée peu avant minuit par l'un de ses enfants déclenchant une véritable guerre qui durera sept longues années. A cette époque quelques militants du PPA dont Hadj Ahmed, étaient suivis discrètement par la soldatesque coloniale mais cela ne leur avait pas échappé puisque pour éviter tout soupçon, les insurgés s'étaient mis au vert laissant le soin aux autres moins connus d'opérer à l'aise. Le matin du 1er novembre fut un réveil brutal pour la France coloniale. Le lendemain des opérations, notamment l'attaque de la brigade de gendarmerie de Cassaigne, l'incendie de fermes de colons, le sabotage d'un réseau téléphonique des PTT et d'un poste de transformateurs électriques, une vague d'arrestations eut lieu dans le milieu des militants connus pour leur activisme politique. Hadj Ahmed n'y échappera pas étant déjà fiché par l'administration coloniale. Traduits devant le tribunal de Mostaganem, un 25 juillet 1955, de lourdes peines seront prononcées contre les insurgés. Faute de preuves avérées, Hadj Ahmed sera libéré de la prison civile éponyme. Il renoue avec ses activités militantes mais à partir de Mostaganem où il s'installera sur recommandation de sa hiérarchie et il rejoindra l'entreprise de transport de voyageurs de son beau-père Hadj Abdelkader Bouamrane, il en assurera la gestion. Il fut dénoncé par un délateur cagoulé pour liaisons, entendre logistiques et de renseignements avec Mohamed Djebli, commandant de la bataille de Sidi Zegai, douar Kchakcha (Tazgait) du 13 au 15 septembre 1956 ; de nouveau arrêté devant son personnel dans son parc bus, il fut transféré au camp de concentration de Cassaigne. Son père Hadj Bouziane, tout aussi membre du réseau et de par son âge avancé sera lui envoyé au camp de Rivoli (actuellement Hassi Mameche). Il entre dans ce sinistre camp, en 1957 où il subira les pires atrocités de manière crescendo dans le but de livrer les informations sur la composition du réseau et ce qui avait été programmé comme plan d'actions. Tous les moyens étaient bons pour connaître les véritables têtes pensantes de cette insurrection qui ne perdait pas une once d'intensité au moment où Hadj Ahmed était interrogé sous la torture ; il eut droit à toute la panoplie (passage à tabac, gégène, bassine d'eau savonneuse, le chiffon, crucifixion, arrachage à vif des ongles et de la dentition). Comment un homme a-t-il pu résister autant si ce n'étaient une force mentale incomparable, une résolution et une foi inébranlable dans ses convictions profondes que chacun de ses cris était un pas vers la liberté, chacune de ses douleurs physiques sauvait de la mort un de ses compagnons. Ceux qui le côtoyaient dans la cellule restaient admiratifs devant cette résistance et cette bravoure. Si jeune, il grandissait à leurs yeux ; sa beauté physique de l'arabe typique avait été effacée par les différents supplices mais elle venait de laisser place à la beauté intrinsèque de l'homme brave, il devient le modèle d'homme du moment, un grand homme avant de devenir le héros jusqu'au jour du jugement dernier. De tous ces témoignages, le silence de nos interlocuteurs ? certainement devant le souvenir de ces images de Hadj Ahmed affalé, épuisé, gémissant de douleur, si forte parfois agonisant ? faisait hérisser nos poils devant ces horreurs. Un jour, certain que son heure avait sonnée, il confia à son codétenu le moudjahid Hadj Habib Belarbi de Achâacha dans une dernière accolade, l'identité de son délateur et fit un adieu à son ami. Alors qu'on voulût lui faire croire à une libération en fin d'après-midi ? ce qui au demeurant était un mensonge grotesque car les libérations ou élargissements de tout temps s'opéraient à partir de neuf heures ? Hadj Ahmed s'était préparé de corps et d'âme en refusant de prendre un quelconque bagage. Les vêpres avaient sonné depuis longtemps quand il fut emmené par ses tortionnaires ; au croisement des forêts de Ain Brahim et Petit port, le convoi rencontra un groupe de femmes venues puiser l'eau d'un puits ; il eut juste le temps et la force de leur lancer à travers les bâches du camion qui le transportait : « je suis Hadj Ahmed fils de Hadj Bouziane ». Quelques instants après, des détonations retentirent, Hadj Ahmed venait d'être exécuté, un dimanche 5 octobre 1958 à l'âge de 33 ans. Il fut jeté par ses tortionnaires à la merci des bêtes carnassières pour qu'aucune trace n'en soit relevée mais Dieu en a voulu autrement. Le groupe de femmes-témoin avertirent sa famille et Hadj Ahmed fut enterré une première fois dans ce bois. Son corps sera transféré le 5 juillet 1986 au cimetière des chouhada (170) d'Ouled El Baroudi (Sidi Lakhdar) laissant derrière lui ses parents, une veuve et quatre orphelins. Il n'est point aisé de mettre un point final à une histoire qui continue dans les cœurs des hommes d'autant plus qu'il s'agit d'une histoire d'amour entre un homme et la Dignité, entre un homme et sa Patrie, entre un homme et la Liberté. Algérien, on ne sort jamais indemne de la lecture d'une histoire d'un Chahid. Jamais ! ** Ecrivain-Auteur * Extrait d'un ouvrage à paraitre ?Mes amours détenues' Au programme de la commémoration qui aura lieu ce samedi 5 octobre 2019 à 10H les parents, proches et compagnons de lutte du chahid se recueilleront au cimetière des 170 martyrs d'Ouled Baroudi (Daira de Sidi Lakhdar) où il repose et visiteront le musée du résistant de Sidi Ali ex camp de concentration. |