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Q.O.
: Qu'est-ce qui aurait été plus judicieux à changer dans la loi sur la monnaie
et le crédit pour que le pays n'aille pas vers une crise financière ingérable ?
M.B.E. : La loi sur la monnaie et le crédit constituait à l'origine le cœur même de toute l'architecture institutionnelle de transition vers l'économie de marché. Elle a subi plusieurs modifications ces dernières années en particulier à propos du statut et du rôle de la Banque d'Algérie. Son indépendance a été repensée dans le sens d'une plus grande intervention du gouvernement dans la régulation monétaire et financière du pays. Ce qui n'est pas toujours bon pour l'économie. On le voit bien aujourd'hui. Il y a une absence totale de la Banque d'Algérie dans la communication institutionnelle. Alors que c'est son rôle de fournir des explications sur la chute du dinar, l'inflation, rassurer la population, etc. Par ailleurs, ce nouveau Comité de surveillance est un double emploi avec la fonction de la Banque d'Algérie dont le rôle est justement de surveiller et contrôler la masse monétaire en circulation et sa distribution, quantité et qualité. Trois directions d'amélioration de la loi sur la monnaie et le crédit, en dehors des dispositions autorisant le FNC : 1. Retour à une plus grande indépendance de la BA. L'autonomie de la BA est un des prérequis de la réforme. 2. Bien encadrer les dispositions relatives au FNC quant au volume de création monétaire, la durée, les secteurs de destination de cette création monétaire, etc. 3. Renforcer les garanties de l'Etat quant aux dépôts des clients. Dans une conjoncture comme celle que nous vivons, rassurer les Algériens sur leur épargne est une occasion sans précédent pour renforcer la confiance entre l'État et les citoyens. Ces derniers doivent se rappeler que dans les moments durs, ils ont trouvé à côté d'eux un État sérieux et digne de confiance. Q.O. : Le 1er ministre parle de réformes profondes dans le système financier national. Comment et par quoi devraient-elles se traduire selon vous ? M.B.E. : La réforme des réformes à réaliser dans ce domaine concerne la refondation de toute l'économie autour du libre ?jeu' de la contrainte financière. Les banques doivent retrouver leur pouvoir financier pour asseoir les bases de la négociation, du contrat et de la sanction économique de toute transaction financière avec les agents quels qu'ils soient : entreprises publiques ou privées, de droit algérien ou étranger, les ménages et... y compris l'État à travers notamment le rôle d'une Banque d'Algérie qui aura retrouvé elle aussi ses attributs de pouvoir réellement autonome de tous les pouvoirs, politique comme économique, ou même du pouvoir d'opinion. A ce jour, notre pays ne dispose pas d'un véritable pouvoir financier à même d'organiser la régulation de la sphère monétaire et financière sur une base concurrentielle à même de garantir l'objectivation et l'équité de la sanction économique. Le pouvoir financier a toujours été vu comme concurrent du « pouvoir de bureau » et, disons-le clairement, comme une menace pour le financement des besoins et déficits d'un système socioéconomique pour qui la neutralisation du calcul économique a toujours fonctionné comme levier de report de la sanction sur la société. Air Algérie préfère gagner de l'argent en augmentant les prix plutôt qu'en réduisant ses coûts. Comme le font ses concurrents... D'autres comblent leurs déficits et découverts en recourant au Trésor public au lieu d'agir sur la maîtrise des coûts. La vérité des comptes n'a jamais été à l'ordre du jour. La contrainte financière rétablie ouvrira inévitablement la voie à l'avènement d'une gouvernance moins laxiste et plus transparente car elle permet l'internalisation des incitations sur les dirigeants des organisations économiques. Cela fera un ?effet de levier' sur l'ensemble des comportements économiques dans la mesure où même le financement relationnel avec son cortège de créances douteuses, d'effet d'éviction des meilleurs compétiteurs qui se recrutent en particulier dans les milieux des jeunes et des femmes entrepreneurs, seraient largement réduits et dans tous les cas mieux maîtrisés. Car on sait d'expérience que le financement relationnel ne sera jamais entièrement disparu y compris dans les pays développés où le contrôle et l'État de droit sont plus et mieux présents. Q.O. : Quelles seraient, selon vous, les priorités que le gouvernement devrait se fixer pour relancer l'économie ? Une révision des lois et textes réglementaires en vigueur est-elle indispensable ? Si oui, lesquels ? M.B.E. : Très vaste et pertinente question. Il me semble que notre pays a besoin en urgence de mettre un terme à l'errance stratégique dans laquelle évolue la gouvernance de l'économie et ce, depuis les années de la fameuse «restructuration organique» de l'industrie. Cette errance est source d'incertitudes et de myopie que les agents économiques ne peuvent soutenir en particulier les investisseurs pour qui l'économie, c'est le futur et le long terme. Doter le pays d'une vision claire, c'est la moitié d'une réforme. Il est connu qu'à son début, le gouvernement chinois a engagé et réalisé l'essentiel des grandes réformes avec le fameux credo de Guizot «Enrichissez-vous» et deux modifications dans le code du commerce, l'une libérant le commerce et l'autre, l'ouverture à l'investissement privé national et international. Le reste a été laissé à la négociation et à la décentralisation où les communes encadrées par le Parti vont réaliser des merveilles, transformant des villages inconnus de pêcheurs en villes et territoires économiques extrêmement compétitifs de classe mondiale. Ce n'est donc pas une question de textes et de lois. L'Algérie en a suffisamment produit. Avec les 5 lois des réformes de 89/90, on aurait réalisé l'essentiel de la réforme. Le deuxième point, c'est d'arrêter et de consigner dans un document d'ingénierie des réformes, qui n'existe pas à ce jour à ma connaissance, la démarche programmatique de changement et ses déclinaisons sur les différents secteurs. Les réformes doivent avoir pour finalité de compléter et/ou parfaire la matrice des incitations existantes selon les déclinaisons suivantes : la réforme du marché de la terre, du marché de l'argent et du marché du travail. 1. L'avènement d'un marché de la terre concurrentiel, doté de règles claires et transparentes qui prennent en compte les données anthropologiques de la propriété de la terre dans notre pays, mettra fin à l'anarchie non seulement dans le secteur de l'agriculture mais aussi dans les autres secteurs comme l'industrie, l'habitat et les travaux publics, le tourisme où la fausse pénurie du foncier crée une situation de blocage pour la croissance. Dans ce domaine, il faut le souligner, le ratage a été total. Un vrai marché de la terre avec des produits diversifiés aurait largement contribué à éponger une bonne partie de l'argent en circulation dans le marché informel pour ne prendre que cet aspect. Surtout si l'on connaît le rapport des Algériens à toutes les valeurs refuges comme la terre, la pierre, l'or, etc. Une vraie aubaine pour l'économie. Après la Seconde Guerre mondiale, de Gaulle n'a-t-il pas renfloué les caisses du Trésor public en construisant une nouvelle Cannes (et d'autres villes du sud de la France), grâce à l'offre de produits fonciers nouveaux en aménageant, sur une colline qui surplombe la mer, des terrains viabilisés et dédiés á la construction de villas de haut standing ? Aux États-Unis, la pratique est courante et tellement usée que des villes nouvelles sont nées à partir de terrains marécageux. Dans ce pays, la relation entre des produits du marché de la terre et des produits du marché de l'argent est tellement forte qu'elle a été aussi source de crises majeures de 1929 et 2008. Rappelons, enfin, qu'historiquement, toutes les réformes, depuis le berceau du capitalisme, en Angleterre, à nos jours, la réforme du marché de la terre est la fille aînée des réformes. 2. La réforme du marché de l'argent, comme nous l'avons déjà relevé, est fondamentale. Elle doit contribuer à la modernisation des différents segments de ce marché encore étroit, rigide et peu diversifié. Elle doit surtout rétablir la contrainte financière et libérer le calcul de rentabilité dans l'ensemble des secteurs de l'économie. 3. La réforme du marché du travail est aussi importante dans la mesure où elle doit permettre à la contrainte de mise au travail de reprendre sa place et de fonctionner. La productivité du travail et les performances des travailleurs sont très faibles dans notre pays. Cette situation n'est pas le fait de travailleurs « feignants » comme on a pu l'entendre ou même le lire ici ou là (notamment dans une étude de la prestigieuse université de Stanford parue il y a deux semaines qui nous classe parmi les «pays de la paresse») mais tout simplement de la faiblesse des institutions de mise au travail dans notre pays. Ces institutions ont été marquées pendant longtemps par l'histoire du pays dans ses volets économique et politique dessinant une trajectoire de mise au travail de type corporatiste et laxiste. Cette réforme du marché du travail est un volet sensible de toute démarche de changement, y compris dans les pays développés. Il me semble qu'elle doit être menée avec prudence et surtout patience. Quatre grands principes sont à retenir dans la transformation des institutions du marché du travail dans notre pays : mobilité, flexibilité, sécurité, participation et négociation. Ces trois réformes doivent être couronnées par l'inévitable réforme du marché politique qui doit permettre à l'économie l'émergence d'une gouvernance politique qui garantirait en toute circonstance les droits de propriété en circulation dans les différents marchés. Q.O. : Est-il nécessaire que l'État continue de financer l'investissement avec l'argent public ? D'autres formules ? M.B.E. : Il y a lieu effectivement de s'émanciper de la prédominance du financement par les ressources du budget pour aller vers des financements par les ressources du marché. D'où l'urgence de la réforme du marché financier qui doit vite moderniser et diversifier ses produits, ses clients, son marketing et mieux former ses ressources humaines. Plus que jamais et contrairement à ce que soutient l'angélisme néolibéral, l'Etat est appelé à être plus présent dans l'investissement. Mais un autre Etat, bienveillant et facilitateur, qui s'appuie sur les catégories du volontarisme libéral plutôt que sur celles du volontarisme bureaucratique pour conduire les actions du développement. Il est temps de passer d'une ?mobilisation administrative' pour reprendre les concepts de J. Sapir à une ?mobilisation financière' pour concevoir et conduire l'acte de développement. Les collectivités locales sont appelées à faire l'apprentissage des catégories de l'entrepreneuriat et de la négociation de leur financement avec l'État, les banques, les fonds d'investissements, et tous les investisseurs nationaux et étrangers. C'est là une dimension fondamentale du changement préconisé ici. Le capitalisme est fondamentalement municipal, nous apprend son histoire économique. C'est à partir de la commune que s'est opéré le fameux développement moléculaire et s'est amorcée la ?socialisation par le bas' qui le porte dans des synergies qui ont garanti le succès partout où le fameux triangle vertueux de l'interaction entre Régulateurs/ Entrepreneurs/Expert à réellement pris. Q.O. : La règle 51/49 doit-elle être maintenue pour l'investisseur étranger ? M.B.E. : Observons d'abord que cette règle a été instituée, je crois, en 2008 après le ?Nous avons échoué' du Président». A l'époque, elle a plus ou moins fait consensus. Aujourd'hui, elle est controversée. On aurait gagné beaucoup de temps et d'argent, si nous avons lancé un sondage, une enquête ou carrément une étude du marché des IDE en Algérie pour faire le point sur l'efficacité de cette règle et le manque à gagner en IDE ou non. Nous sommes le plus grand pays consommateur de politiques publiques mais qui ne les évalue pas? Ceci dit, je considère qu'il n'y a pas de raisons pour l'abroger si les causes de sa promulgation existent toujours, en particulier dans un contexte de rareté et de rationnement des devises. Ce type de lois existe, y compris dans les pays les plus libéraux. Je suis parmi ceux qui considèrent que l'investissement étranger dépend de la réalité des réformes engagées par un pays, des gouvernances locales et des paramètres géopolitiques. Les notions de souveraineté et d'intérêt général existent bien. Ce ne sont pas des fictions ou des dogmes idéologiques. Ces notions sont paradigmatiques du capitalisme. Elles ne sont pas prêtes à disparaître du jour au lendemain au nom de la mondialisation, comme le suggèrent certains analystes. On le voit bien dans les pays industriels avancés comme dans les pays émergents. Le débat et les tensions actuellement observés en France à propos du rachat par Siemens d'une partie du capital d'Alsthom sont plus qu'instructifs. L'histoire économique nous enseigne bien que c'est dans les pays ou l'État est fort mais bienveillant que l'investissement international se dirige et non vers les pays ou l'État est mou, laxiste et sous le coude du ?pouvoir du bureau'. En outre, les économistes savent bien que sur la cinquantaine de critères d'attractivité, au moins une dizaine est réservée au test de qualité de la gouvernance de l'Etat. Enfin, les migrations des capitaux comme les migrations de poissons, obéissent à des cycles et s'orientent par ?bancs' entiers vers les destinations où il y a nourriture, protection et possibilités de se reproduire dans des conditions optimales. Ce qu'on appelle le ?climat d'affaires' ou les écosystèmes? Il ne faut pas s'attendre à des miracles dans ce domaine lorsqu'on sait qu'à ce jour et malgré tous les discours, l'Algérie ne dispose pas encore d'une seule zone industrielle aux normes et encore moins d'un cluster phare (une sorte de vitrine pour les investisseurs) qui projette et rend visible ce que sera notre pays dans le futur et crée aussi une émulation entre ses territoires. Ceci étant dit, comme l'économie de marché a horreur de l'uniformité et cultive partout la diversité, on peut désigner les secteurs, les branches, les territoires et entités auxquelles le 51/49 s'appliquerait et laisser aussi sa part à la négociation et à l'appréciation au cas par cas selon la valeur ajoutée a l'économie. En ayant bien en vue que dès qu'un IDE se transforme en mécanisme (une pompe) de transfert inversée de valeurs, de technologie, de connaissances et de compétences, il est inévitablement porteur de nuisances à l'intérêt national. On peut, en effet, élaborer une batterie de critères d'appréciation des investissements à accueillir sur la base de ce principe de base. Q.O. : Les licences d'importation sont-elles un bon moyen pour contrôler les importations et empêcher les transferts illicites et douteux ? M.B.E. : Les licences d'importation relèvent des conséquences de la crise de revenus extérieurs du pays. C'est une forme de rationnement administratif des devises pour mieux réguler les importations. La Corée du Sud a aussi connu dans les années 70/80 une crise de moyens de paiements extérieurs. Elle a recouru aux restrictions drastiques des importations et au rationnement des devises. Ce sont des mesures d'exception face à une situation d'exception. On ne peut pas dire que la régulation des importations par le ?bureau' sera sans conséquences néfastes pour l'économie nationale. Il faut s'attendre à des pénuries, à l'inflation, et aussi à l'émergence d'une génération (la 4ème depuis l'indépendance) de nouveaux riches qui profitera de sa proximité des réseaux de l'administration (30 à 40% des factures sont gonflées d'après des estimations récentes). La mise en place du régime dérogatoire et des licences d'importation peut cependant être une excellente opportunité pour l'élaboration d'un vrai système d'information du commerce extérieur. C'est un outil logistique de premier ordre, sinon la pénétration des marchés extérieurs souffrira de leur manque de connaissances, par exemple. Q.O. : Le code des marchés publics tel qu'il est conçu, répond-il aux exigences de l'économie nationale? M.B.E. : Si je ne m'abuse, ce document a déjà subi une dizaine de modifications depuis 1989. Sans grands résultats. Partout dans le monde, le code des marchés publics a été le révélateur de l'état de transparence, de l'équité et de l'efficacité de l'échafaudage institutionnel d'un pays. C'est un indicateur significatif et pertinent avec un coefficient élevé dans les batteries d'évaluation des progrès de l'Etat de droit utilisées par les organisations internationales comme l'ONU, la Banque mondiale ou l'OCDE... Car, c'est le lieu de rencontre par excellence de l'action publique et des intérêts privés. On ?fait des affaires' avec le détenteur du plus grand compte à savoir la commande publique, qui n'est autre que l'Etat. Généralement, dans les pays de la transition vers l'économie de marché, le détournement de la règle est la règle. Les marchés publics deviennent les instruments de promotion d'une classe d'entrepreneurs formés plutôt dans les ?couveuses' des réseaux d'administration et non dans les défis et respect des règles des réseaux de compétition. Ce qui donne, en général, une classe d'entrepreneurs molle, peu performante et pas du tout innovante, dont le seul métier est la recherche, par tous les moyens, de la proximité avec les centres de délibération. Et ceux au détriment, et c'est le plus important, des meilleurs compétiteurs qui se trouvent exclus de fait. Le manque à gagner pour l'économie est tout simplement incommensurable (surcoûts, mauvaises qualités des produits et ouvrages, risques pour les consommateurs, etc.). Les pouvoirs économiques énormes que peuvent engendrer les économies réglées par les institutions informelles (y compris dans certains cas par les us et coutumes : cas de l'Iran et son système de fondations économiques), débouchent généralement sur des gouvernances collusoires où la proximité du politique et des affaires se transforme vite en intimité ruineuse pour l'économie et pour l'Etat de droit. Q.O. : Qu'est-ce qui est le plus urgent et le plus simple à faire pour produire et diminuer les importations ? M.B.E. : Le rapport importation/exportation, exprime dans notre pays comme dans tous les pays du monde la problématique de la compétitivité d'une nation à travers ses entreprises, ses secteurs d'activités et ses territoires. Une problématique complexe qui met en jeu jusqu'aux valeurs d'une société comme le sens des défis, le thymos (la volonté de puissance et le désir de vaincre) et la culture de l'organisation qu'ils commandent. Il serait dangereux d'ignorer les variables et paramètres institutionnels et anthropologiques dans le traitement de cette question. Car, comment expliquer qu'un pays comme la Corée du Sud qui ne possède aucune ressource pétrolière, devienne, en important cette même ressource et en la transformant, la 2ème puissance pétrochimique dans le monde (avec un million de kilomètres de tuyauterie dédiés à cette industrie) après les Etats-Unis d'Amérique et bien avant, l'Arabie Saoudite (qui occupe quand même la 3ème place mondiale), alors qu'un pays comme le nôtre, grand producteur et exportateur d'hydrocarbures est importateur net de produits pétrochimiques. On peut multiplier les exemples de ce genre pour illustrer le paradoxe algérien. L'exportation n'est pas, analysée sous tous les angles, une affaire de discours, ni n'est l'œuvre d'une génération spontanée. Aucun amateurisme, au risque de graves désillusions -(ce sera le 4ème grand désenchantement de l'histoire économique contemporaine de notre pays après l'échec de l'industrialisation, de la restructuration organique des années 80 et de l'échec des réformes économiques des années 90)- n'est donc permis. L'exportation est un processus historique par excellence qui met en jeu des choix de politiques économiques lourds et contraignants pour la masse critique de la population (contrainte salariale de mise au travail, modèle de consommation, qualité des dirigeants des entreprises à l'export, qualité de la gouvernance publique et privée), qualité des forces concurrentielles internationales formées au concept de la guerre économique. C'est un processus historique parce qu'il met en jeu les 3 dimensions de la maîtrise de toute organisation économique à savoir : le temps (par les apprentissages incompressibles qu'il requiert...), l'information voire le renseignement (les marchés comme l'entreprise sont des espaces d'information par excellence dont la mobilisation suppose la connaissance et la maîtrise) en combinant les résultats de la planification stratégique et opérationnelle et de jeu de la libre entreprise. Un processus de ce qu'on peut appeler : le volontarisme libéral et qui consiste à faire jouer à l'Etat son rôle naturel dans le soutien à l'accouchement de nouvelles forces nationales de marché capables de s'approprier et de transformer l'actuelle structure compétitive de l'économie nationale en assumant : 1. des choix de politiques macroéconomiques difficiles. Un grand arbitrage en matière de choix entre les trois modèles de compétitivité (cités plus haut) dominants dans le monde reste, à ce jour, à faire. Il s'agit de choix, certes économiques, mais qui cachent des engagements de mise au travail, de culture de l'organisation et d'intelligence économique, donc, ils annoncent un choix de société. 2. la compétitivité est une affaire des entreprises d'abord. Or, une analyse morphologique de la structure compétitive de l'économie algérienne commande sa transformation en profondeur. C'est une structure qui est loin de répondre à l'impératif d'exportation. L'entreprise majoritaire en Algérie est une TPE (Très petite entreprise) à concurrence de 98%, activant dans le commerce plutôt que dans l'industrie, peu portée sur l'exportation et ayant des capacités de management très faibles (plus de 80% ne disposent pas d'au moins un ingénieur). Sur les 380.000 PME existantes en 2011, seules 300 PME ont un statut de SPA (société par actions). Les interactions sous forme de coopération, d'alliances entre les différentes PME sont très faibles. Les concepts d'intégration, de réseautage, d'interconnexion et d'interopérabilité entre ces PME n'ont aucun droit de cité dans un écosystème peu construit et orienté vers l'incitation au développement de nouvelles formes d'interactions autres que verticales. Ainsi, seules 10% des PME algériennes développent des relations de sous-traitance. Ce qui nous renseigne bien sur la surface financière de la PME algérienne mais aussi sur le niveau de sociabilité dans notre pays et sur l'état des lieux de la confiance horizontale (Fukuyama in Trust) qu'il suppose. Avec une telle structure compétitive atomisée, à la démographie volatile (on a le taux de mortalité le plus élevé parmi les pays de la région MENA), un management moyenâgeux (pour ne pas dire plus), il est très difficile de tenir le pari de l'exportation face à des forces concurrentielles mieux outillées et mieux préparées à la guerre économique. 3. Bien analyser le potentiel de croissance, les ressources, et les opportunités économiques des 3 composantes majeures de la structure compétitive de la nation pour bien évaluer leur positionnement compétitif par rapport aux autres nations, à savoir : les secteurs, les entreprises et les territoires et les projeter dans le futur. C'est un travail de prospective indispensable. Il constitue un outil incontournable de veille stratégique sans lequel rien n'est possible. Surtout si l'on sait que le premier acte d'une guerre est un acte de formulation de la stratégie pour mieux connaître le champ de bataille. L'évaluation des programmes de mise à niveau de la PME de l'Union européenne comme la réflexion menée dans le cadre de la stratégie industrielle nous ont tous révélé que l'économie algérienne présente des atouts et un potentiel de croissance réels mais elle demeure handicapée par des contraintes d'accessibilité (aux facteurs de production) et de sociabilité (des acteurs). Ce qui explique le coût élevé de la règle économique. La légalité économique, j'insiste, coûte encore cher dans notre pays malgré tous les efforts pour améliorer le climat d'affaires (se référer au Doing Business) et rendre la règle économique stable, équitable et transparente. L'exportation en tant que processus en dépend. Q.O. : Pourquoi tous les gouvernements qui se sont succédé n'ont-ils pas pu revoir le système des subventions de même que celui de la fiscalité locale ? M.B.E. : Il y a dans tous les pays des droits acquis constitutifs du lien social. La société est née grâce à ces droits et ne peut pas se concevoir sans eux. Généralement, ces droits symbolisent et sacralisent une lutte commune des membres de la collectivité. Ils fixent une mémoire collective de la souffrance. Le droit à la sieste inscrit dans la Constitution (article 43) a été introduit par la Révolution chinoise pour symboliser et perpétuer le souvenir de lutte de la paysannerie pauvre contre les seigneurs féodaux qui interdisaient le petit sommeil réparateur. Le droit à la prime du charbon au lendemain de la Libération est précieusement protégé dans le modèle social français et ce, à l'heure du TGV. C'est actuellement très difficile de le supprimer car il symbolise les dures conditions de travail de deux figures marquantes du mouvement social français : les mineurs et les cheminots. Il y a, dans chaque pays, des droits qui fonctionnent comme des marqueurs socio-identitaires de l'Etat-Nation. Il en est ainsi de l'Etat social en Algérie consacré par la Déclaration du 1er Novembre et sacralisé par toutes les composantes de la société. Les droits à un emploi, à l'éducation, à la santé et au logement ont été consignés dans le pacte primordial constitutif de l'Etat-Nation au lendemain de l'indépendance nationale et mise en œuvre avec plus au moins de succès par les différents gouvernements. Un formidable consensus a remarquablement été observé par les différents groupes sociaux, il faut le continuer. La question n'est pas au demeurant dans le principe ou même dans le volume des transferts sociaux, mais dans la perversion d'un outil de redistribution de la richesse au profit des plus démunis et de la promotion des couches moyennes qui s'est transformé en son contraire. Il n'est plus ni un instrument de solidarité ni un outil de mobilité sociale. Il est source de gaspillage important et alourdit dangereusement d'années en années la dépense publique. La réflexion sur cette évolution n'est pas seulement technique mais elle touche plus profondément le système national d'économie politique dans son ensemble. Il est, cependant, urgent de mettre en place un système d'information sociale pour améliorer la répartition de la richesse nationale devenue trop inégalitaire et réduire les coûts qu'il occasionne au budget de l'Etat. C'est l'une des directions. Les deux autres concernent le fastidieux travail de rationalisation des politiques publiques de soutien aux couches défavorisées. D'abord, par l'intégration de l'évaluation comme pratique de l'Etat. Ensuite par un travail d'identification des secteurs et des populations dont la demande est à rendre solvable. Enfin, la réflexion sur une batterie de mesures à mettre en place en s'inspirant des meilleurs pratiques dans le monde comme par exemple celles adoptées dans les pays scandinaves dans les années 70/80. La mesure d'incitation des populations du Sud à aller vers l'utilisation des énergies alternatives est un acte de gouvernance majeur à encourager et à généraliser. L'autre direction de réformes concerne le redéploiement de l'Etat. Il doit déléguer une partie de ses compétences dans le domaine de l'action sociale. L'Etat ne peut plus demeurer le seul foyer des doléances sociales. La société civile doit prendre sa part dans les systèmes de solidarité. Il y a en Inde, au Brésil et même chez nos voisins en Tunisie, des expériences riches et concluantes en matière d'ESS (Economie sociale et solidaire), il faut aussi les analyser et s'en inspirer. Notre pays est très en retard dans ce domaine très prometteur. *Economiste universitaire. Il est le fondateur en 1991 de l'IDRH (Institut des ressources humaines) d'Oran avec pour but de «développer les organisations algériennes par le développement de leurs ressources humaines». En tant qu'expert analyste, il a participé ou a coordonné plusieurs études et évaluations de programmes économiques nationaux et internationaux (notamment le programme de mise à niveau initié ces dernières années par l'UE pour les PME en Algérie.) Il a été l'un des rédacteurs de la Stratégie industrielle dans ses volets «Développement des ressources humaines», «Analyse du climat d'affaires et pôles de compétitivité», «Analyse et environnement institutionnel de l'industrie nationale». Il a, par ailleurs, conçu et/ou animé plusieurs programmes de formations stratégiques au profit des cadres supérieurs du management des entreprises, de plusieurs ministères et agences gouvernementales. |