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L'ambassadeur
David Drake était à Alger du lundi au jeudi dernier pour assister à la première
réunion du Groupe de travail Afrique de l'Ouest du Forum mondial de lutte
contre le terrorisme (GCTF) et la première réunion régionale du GCTF sur la
relation entre le terrorisme et le crime organisé transnational qui a été
présidée par l'Algérie et les Pays-Bas. Il copréside le Groupe de travail
Afrique de l'Ouest avec l'ambassadeur El-Houes Riache
du côté algérien. « (?), c'est tragique, le terrorisme de l'un, c'est le
mouvement de libération de l'autre », dit l'ambassadeur à propos de
l'impossible définition commune du terrorisme. « Notre collaboration en matière
de sécurité est quelque chose de très spécial. (?), l'Algérie a de bons
diplomates qui sont très efficaces. C'est un partenariat qui est en train de se
répliquer en Afrique de l'Ouest et tout le crédit revient à l'Algérie », affirme-t-il
encore dans cette interview.
Le Quotidien d'Oran.: Vous présidez le Groupe de travail Afrique de l'Ouest au nom du Canada aux côtés de l'ambassadeur El-Houes Riache (Ministère des Affaires étrangères) au nom de l'Algérie. En quoi consistent vos missions respectives ? David Drake: Le Canada et l'Algérie ont en effet relancé les activités du groupe de travail anciennement connu comme Groupe de travail pour le Sahel pour l'élargir à la région de l'Afrique de l'Ouest qui comprend tous les pays de la CDAO, les pays du Maghreb (Algérie, Maroc, Tunisie, Libye, Mauritanie) ainsi que le Cameroun et le Tchad, ceci en application d'une décision des ministres du Forum mondial contre le terrorisme (GCTF). Notre partenariat date d'au moins 5 ans. Moi-même je suis impliqué avec l'ambassadeur Riache depuis 3 ans, je crois que c'est la 5ème ou la 6ème fois que je viens en Algérie pour suivre cette initiative. Dans le cadre du GCTF, il y a aussi le Groupe de travail de l'Afrique de l'Est ainsi que d'autres groupes thématiques. Chaque groupe est coprésidé par un pays de l'Occident et un autre de l'Afrique. Le partenariat qui nous lie à l'Algérie est un partenariat extrêmement fructueux et facile. Il l'est dans la mesure où il donne beaucoup de résultats. Chaque décision est prise en commun. Q.O.: Ce partenariat se décline comment ? D.D.: Nous essayons ensemble d'entamer un dialogue avec tous nos collègues africains, de mettre les voix africaines en avant. L'ambassadeur Riache et moi voulons que tout ce que nous abordons se termine d'une façon ou d'une autre en mise en œuvre d'actions sur le terrain. Q.O.: Y aurait-il des résultats concrets ? D.D.: Oui, bien sûr. Par exemple, l'année dernière, nous avons tenu en parallèle de notre réunion pour le Sahel, un atelier sur les plans d'actions pour prévenir et lutter contre l'extrémisme violent. Nous avons abordé la question en profondeur. L'organisation de cet atelier a été faite avec les Nations Unies et le Groupe Hidaya, un organisme international du GCTF basé à Dubaï et spécialisé dans la lutte contre la radicalisation. Cet atelier a donné la possibilité aux pays africains d'engager les Nations Unies, les donateurs parmi eux le Canada (pour un ou deux pays), pour financer ces plans d'actions qui ont été élaborés pour la lutte contre l'extrémisme violent. Nous encourageons beaucoup le dialogue et la réflexion au niveau technique pour permettre la réalisation sur le terrain des actions retenues. Q.O.: Alger a abrité et présidé avec les Pays-Bas, mercredi dernier, une première réunion sur la relation entre le terrorisme et le crime organisé. La résolution 1373 du Conseil de sécurité avait déjà en 2001 établi ce lien étroit entre ces deux fléaux. Pourquoi selon vous les Nations Unies ne sanctionnent-elles pas les Etats qui ferment les yeux sur son existence parfois sur leurs propres territoires ? D.D.: C'est un problème que nous sommes en train d'examiner minutieusement dans la région de l'Afrique de l'Ouest. Nous travaillons en même temps en étroite collaboration avec les Néerlandais dans le sillage des deux réunions que nous avons tenues à Alger. Depuis la résolution de 2001, la situation a bien changé. Dans l'Afrique de l'Ouest, il y a certains gouvernements qui ne se rendent pas compte de l'ampleur de ce fléau, d'autres gouvernements ou une partie d'eux en sont complices. Je dois dire qu'ici, dans l'Afrique de l'Ouest, le lien entre le terrorisme et le crime organisé est plus évident, contrairement à d'autres parties du monde où il est beaucoup plus dissimulé. Dans les Amériques par exemple, le terrorisme est clair, le crime organisé aussi mais le lien entre les deux est loin d'être clair. Ici dans l'Afrique de l'Ouest, ce lien est clair et il est alimenté par divers trafics. On peut en citer (pas d'une manière exhaustive), entre autres, le kidnapping des personnes pour des rançons qui est un fléau particulier dans cette partie du monde, le trafic des drogues, cocaïne dans certaines régions et le haschich et les psychotropes dans d'autres, le trafic des armes, de plus en plus d'exploitation des migrants, c'est toute une série de trafics... Ce qu'il y a de plus important à noter est que les criminels sont beaucoup plus flexibles que nous, les gouvernements, ils sont toujours en train de changer, un jour, ça peut être le trafic des armes, si ça ne marche pas ou que les autorités les traquent, ils peuvent facilement changer et passer à un autre trafic, ils sont toujours en train de s'adapter et beaucoup mieux que nous du côté des gouvernements et de la société civile. Ici, dans l'Afrique de l'Ouest, nous avons la cocaïne qui vient de l'Amérique du Sud et nous avons le haschich qui provient du Maroc. Il y a aussi une voie qui vient de l'Afghanistan avec l'héroïne ainsi que les psychotropes, qui débarque en Afrique de l'Est, qui passe par le Sahara d'une façon mystérieuse et réapparaît en Europe. Tout cela est très compliqué et les gains financiers sont extraordinaires. Avec ça, il faut se rendre compte qu'il y a toujours des alliances avec les terroristes et les trafiquants, des alliances parfois temporaires. Dans d'autres circonstances, des terroristes se convertissent en trafiquants et réapparaissent plus tard en terroristes, c'est le cas de Mokhtar Belmokhtar, le soi-disant « Marlboro-man » parce qu'il s'est réinventé trafiquant de cigarettes après qu'il ait été éjecté de l'Algérie, il est redevenu terroriste, il est mort plusieurs fois pour ressusciter comme un chat avec sept vies?(Rires). Nous savons qu'il y a des liens entre tous ces trafics et le terrorisme. Mais une chose est claire, bien que nous comprenons les questions d'ordre général, nous ne comprenons pas les choses dans le détail. Q.O.: Vous pensez que tout échappe aux Etats ? D.D.: Pas totalement, mais dans certains Etats, il y a pas mal de corruption, parfois on laisse faire exprès. Mais le fait que nous ne comprenons pas très bien tous ces trafics et leurs liens avec le terrorisme, cela prouve que nous avons du travail à faire. En Afrique de l'Ouest, c'est très spécifique, c'est différent de ce qui se passe en Afrique de l'Est avec le trafic du charbon par exemple et les «chabab», ou en Asie... Nous allons travailler dans le cadre du GCTF, nous allons essayer de nous pencher particulièrement sur le financement du terrorisme. Il faut savoir qu'en Afrique de l'Ouest, la grande majorité des échanges financiers, au moins 90%, ne passent pas par les banques, le paiement se fait en espèce. C'est en faisant des recherches qu'on comprend ces fléaux et qu'on peut affronter les défis. Le détail manque. L'information est très importante, son partage l'est tout autant. En Afrique, c'est très compliqué. Les institutions sont faibles surtout dans les pays du Sahel et les pays qui l'entourent. Nous avons changé le Groupe du Sahel en Groupe de l'Afrique de l'Ouest parce que le terrorisme et le crime organisé ainsi que les liens entre les deux affectent toute cette région, les groupes qui arrivent par la Guinée, par la Gambie par exemple, l'attaque en Côte d'Ivoire a été menée par des groupes qui étaient concentrés au Mali? Il y a aussi le manque de stabilité politique en Libye qui en fait partie et l'extrême pauvreté dans plusieurs pays notamment ceux du Sahel qui sont les plus pauvres du monde. Il faut songer aux causes de base. C'est pour cela que je rejoins l'Algérie et le Canada, nous avons tous les deux, pour des raisons un peu différentes, une conviction que bien qu'il faille combattre le terrorisme par les voies militaires, de polices, de renseignements et autres, il faut surtout prendre en charge les problèmes de la société. En Algérie, vous avez pu surmonter la décennie noire et le terrorisme parce que la société s'est ralliée. L'histoire algérienne est très claire sur ce point. Au Canada, nous sommes aussi organisés d'une façon communautaire, nos polices sont communautaires, nous sommes un pays inclusif. L'inclusivité de la population est d'une importance extrême parce que plus les gens se sentent exclus plus ils sont vulnérables à la criminalité et au terrorisme. C'est une leçon qui a été apprise ici en Algérie après dix ans de tragédie inimaginable. Il faut se concentrer sur la société civile, les femmes, la jeunesse? C'est la question principale à laquelle nous devons faire face notamment dans l'Afrique de l'Ouest. Nous allons continuer les débats dans les détails, en sortir un plan de travail sur deux ans pour une coopération entre les polices qui est un impératif au regard de ces frontières immenses et poreuses, il faut songer à changer les textes juridiques et réglementaires en matière de lutte contre l'extrémisme violent qui doivent être plus spécifiques et plus techniques, il faut aussi prévoir la formation des juges, des policiers? Il y aura des plans d'actions pour chaque pays. Le Niger et le Mali en ont déjà eu. Les Nigérians ont présenté un travail sur les sources de financement du terrorisme. Il y a les Tchadiens et les Camerounais qui coopèrent ensemble pour la surveillance des frontières. Pour tout cela, nous devons faire entendre les voix africaines et faire valoir les expériences africaines. Le partenariat entre le Canada et l'Algérie pour tous ces problèmes sécuritaires et de terrorisme est un partenariat remarquable. Nous travaillons ensemble avec une grande facilité et une très grande confiance. Notre collaboration en matière de sécurité est quelque chose de très spécial. Je travaille très bien avec l'ambassadeur Riache, c'est un excellent diplomate, l'Algérie a de bons diplomates qui sont très efficaces. C'est un partenariat qui est en train de se répliquer en Afrique de l'Ouest et tout le crédit revient à l'Algérie. Q.O.: L'Algérie revendique depuis plusieurs années une définition commune du terrorisme mais à ce jour, la communauté internationale n'est pas arrivée à l'avoir. Quelles en seraient les raisons, selon vous ? D.D.: La réponse est assez simple, et c'est tragique, le terrorisme de l'un c'est le mouvement de libération de l'autre. La question est posée aux Nations Unies et c'est toujours le même dialogue. Il n'y a pas de définition possible à ce jour parce que les perspectives politiques et autres sont différentes. Pour moi, le fait que nous n'ayons pas une définition n'est pas un obstacle. Les faits sont là, nous avons beaucoup de travail à faire et c'est ce que nous faisons dans le cadre de notre partenariat. Q.O.: En confondant terrorisme et mouvement de libération, donc terrorisme et combat pour l'indépendance, la communauté internationale ne ferme-t-elle pas les yeux sur des conflits qui aggravent l'ensemble des situations d'insécurité à travers le monde ? D.D.: C'est une question extrêmement compliquée. C'est là où nous en sommes à l'échelle mondiale, nous ne sommes pas capables d'avoir un consensus là-dessus. Nous avons essayé à plusieurs reprises, sans résultats. Il n'y a pas que l'Algérie qui le revendique mais je pense qu'il n'est pas réaliste de croire que nous allons arriver à un consensus dans un proche avenir. |