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«L'inflation est
une taxation sans législation». Milton Friedman
Dans le débat qui anime la scène politique et économique nationale, le concept star de création monétaire, communément connu sous l'appellation de «planche à billets», suscite passions, indignations, désespoirs et optimismes pour certains. Cette mosaïque de sentiments contradictoires appelle nécessairement quelques explications, notamment envers les non-spécialistes d'entre-nous. Je vous propose, de ce fait, une contribution claire et (je vous le promets !) sans recourir au jargon épuré et fortement céphalogène de la finance. Le gouvernement algérien, promoteur de la solution de recours à des financements non conventionnels afin de financer les déficits du Trésor, apporte une justification globale de la chose en invoquant la théorie keynésienne. Parler de John Maynard Keynes nous amène à parler de monétarisme et, pour le moins, de monnaie et à la définir. La monnaie dispose de plusieurs définitions assez complètes et dont certaines sont très sophistiquées. Pour notre part et pour les besoins de la présente contribution (et afin de respecter ma promesse !) retenons plutôt la principale caractéristique qui, à mon sens, donne toute sa dimension à la relation liant cette dernière avec ses utilisateurs, à savoir : «La monnaie repose sur la CONFIANCE que lui accordent les agents économiques». La confiance est le principal moteur du système monétaire moderne qui ne repose plus sur les monnaies-marchandises (troc de biens contre biens), les monnaies traditionnelles (coquillages, sel, disques de pierre?) et encore moins les monnaies de l'économie libérale qui reposent sur les métaux précieux. La monnaie moderne est venue satisfaire le besoin d'intensification des échanges marchands, de leur simplification face à des volumes sans cesse grandissants et de la nécessaire portabilité des moyens de paiement. Il est, en effet, plus commode de porter sur soi un milliard de $ libellé sur un chèque que son équivalent en or métal (même si l'or est plus agréable à regarder !). Le recours à la monnaie permet de simplifier et de fluidifier les échanges en permettant notamment une désynchronisation des opérations d'achat et de vente. Il est, en effet, devenu possible d'acheter sans être dans l'obligation de vendre et vice versa. On peut garder la monnaie en décalant la décision d'achat. On peut également enregistrer une rentrée globale de monnaie (cas du salaire) et étaler ses dépenses sur une période (le mois de travail). Une crise de confiance dans la monnaie implique directement un mouvement d'échange de la monnaie contre des actifs (biens immobiliers), des actifs financiers (titre de placement) ou des monnaies (devises) reconnues plus «fiables» et plus solides. On parle ici de devises ou monnaies «refuges». La «fuite devant la monnaie»1 provoque une dépréciation de la monnaie en question. Cette dépréciation peut être interne ou externe. Dépréciation interne: Signifie que la monnaie est échangée contre des biens tangibles. Les agents appréhendent des augmentations de prix et, par conséquent, accélèrent leurs achats. La dépréciation interne engendre deux niveaux successifs de conséquences : Ce comportement engage le pays dans un processus inflationniste. Perte du pouvoir d'achat de la monnaie par la hausse des prix des biens qui, à son tour, renforce le processus inflationniste. Dépréciation externe : Signifie que la monnaie nationale est remplacée par des devises étrangères. Les agents cèdent leurs actifs en monnaie nationale et acquièrent des actifs en devises étrangères. La dépréciation externe engendre deux niveaux successifs de conséquences : Dévalorisation de la monnaie vis-à-vis du reste du monde, Action significative et négative sur les taux de change. D'un point de vue économique, la monnaie revêt trois fonctions essentielles, à savoir : -Instrument de mesure de la valeur des biens et des services La monnaie joue un rôle de numération et d'évaluation. Elle sert à évaluer la valeur des biens et des services. La monnaie est également un étalon de mesure qui permet le calcul économique et apporte une homogénéité aux prix des biens et des services en fournissant une unité de mesure unique. -Instrument d'échange La monnaie est un instrument d'échange car elle permet de donner une contrepartie, acceptable par tous, aux biens et aux services objets de l'échange. -Instrument de réserve L'un des principaux apports de l'analyse keynésienne est que la monnaie est un actif. Une réserve de valeur qui a la particularité d'être liquide. En effet, la disparition des échanges de biens contre biens au profit de l'échange marchand (via la monnaie) a fait apparaître un état nouveau où la valeur du bien vendu peut temporairement «reposer dans les caisses» sous forme de monnaie. Ceci, en principe, dans le but de retransformer la monnaie en biens. La monnaie devient ainsi «un pont entre le présent et l'avenir». La monnaie est une institution sociale fortement dépendante du contexte dans lequel elle s'inscrit. Qu'en est-il en Algérie ? Si l'on résume la situation de notre monnaie nationale, nous constatons que : Les agents économiques (citoyens et entreprises) perdent confiance en la monnaie. Nous constatons un réel mouvement de transformation rapide des dinars en biens mobiliers ou immobiliers (ces derniers étant réservés aux plus nantis compte tenu des prix prohibitifs). Nous constatons également une forte pression de la demande sur les deux principales devises prisées en Algérie, à savoir l'euro et le dollar US (dans une moindre mesure). Les deux phénomènes de dépréciation interne et externe sont en action La pression sur les biens immobiliers est plus que jamais importante, induisant une hausse vertigineuse, spéculative et totalement injustifiée. Des prix élevés de l'immobilier, par leur effet d'éviction d'une bonne partie de la population, contribuent à accentuer le phénomène de la thésaurisation2 dans la mesure où les fonds, au lieu de circuler tel que le veut la règle économique3, vont passer d'un thésauriseur (promoteur immobilier) vers un autre thésauriseur (acteur de l'informel dans la plupart du temps). Ceci en huilant bien les rouages du blanchiment des fonds issus des activités illicites. Les effets inflationnistes artificiellement créés par des prix injustement élevés contribuent à alimenter une bulle spéculative qui a pour effet de fragiliser la monnaie mais également, à terme, de faire s'effondrer le secteur. Les biens mobiliers et de consommation courante ne sont pas en reste dans cette dynamique haussière, renforçant par la même les effets inflationnistes. La perte du pouvoir d'achat du dinar algérien s'est ainsi installée de manière structurelle et va donc au-delà de la simple inflation naturelle propre aux économies modernes monétarisées. La monnaie nationale est échangée contre des devises En Algérie, la hausse des taux de change parallèles est drainée par des mécanismes de marché, à savoir : une importante demande. Cette demande est également un facteur du mouvement de «fuite devant la monnaie» qui est un multiplicateur aggravant de la dévaluation de la monnaie nationale. Autre résultats : le dinar algérien est mal apprécié parmi les autres monnaies et vient de faire une entrée remarquable au top 10 des monnaies les moins chères au monde4. Recours aux devises étrangères comme valeurs refuge Les devises étrangères font l'objet de thésaurisation en tant que valeurs refuge. Ceci signifie que les agents économiques algériens accordent une plus grande confiance à ces monnaies étrangères qu'au dinar algérien. Ceci est non seulement un facteur de dépréciation externe mais un multiplicateur de cette dernière dans la mesure où il renforce le sentiment généralisé de manque de confiance en la monnaie nationale. Sentiment que les hypothétiques investisseurs étrangers savent bien décoder. Vente de biens locaux pour acheter des biens à l'étranger Pour les citoyens qui en ont les moyens, le choix entre l'acquisition d'un bien en Algérie ou à l'étranger est très vite fait. La quasi ouverture du marché parallèle des devises permet, en effet, non seulement de convertir ses dinars contre des devises mais également d'en disposer directement à l'étranger. Les «traders du parallèle» disposent, en effet, de la possibilité de faire virer les fonds à partir de leurs comptes à l'étranger au profit des comptes des bénéficiaires situés également à l'étranger, le tout basé sur une transaction dont le dénouement se fait en monnaie nationale et en Algérie. Un petit coup d'œil sur le nombre d'Algériens disposant de résidences en Espagne et à Dubaï nous renseigne sur l'ampleur du phénomène. Phénomène d'autant plus insolite dans un pays où la réglementation des changes ne permet pas de telles acquisitions. Raréfaction des ressources en devises Cette raréfaction ne concerne pas le système bancaire officiel qui, obéissant à une réglementation des plus rigoureuses (et rétrogrades) en matière d'acquisition des devises, ne permet de toutes les manières qu'un accès restreint à ces ressources, mais concerne le marché parallèle des devises, qui constitue le véritable baromètre de l'état de l'offre et de la demande en la matière avec une vision plus élargie et un marché plus ouvert aux agents exclus du circuit officiel traditionnel. Nous constatons une tension importante sur les quantités de devises et une dégradation de la valeur de la monnaie nationale mais également la coexistence de deux monnaies dans le système monétaire national. Phénomène bien connu dans les pays du tiers-monde sous le vocable de : «dollarisation». La première étant la monnaie nationale, qui connaît un mouvement de dépréciation (dévaluation volontaire et inflation) et la seconde est la devise étrangère (euro principalement dans le cas de notre pays) qui dispose d'une valeur forte. Les deux monnaies connaissent des fluctuations et la dévaluation rapide du dinar fait que les transactions courantes soient réglées dans la monnaie la «moins forte». Ce phénomène conduit à garder précieusement ses devises et, par conséquent, aboutit à une disparition pure et simple de la devise «forte» de la circulation. Ce phénomène est connu depuis le 16ème siècle sous le nom de Loi de Gresham (Sir Thomas Gresham, banquier anglais) auteur de la théorie qui illustre sa loi : «Lorsque circulent dans un pays deux monnaies dont l'une est considérée par le public comme bonne et l'autre mauvaise, la mauvaise chasse la bonne» (mauvaise monnaie fait référence à la monnaie qui se déprécie par rapport à l'autre). Ceci est d'autant plus dangereux que les agents économiques seront plutôt enclins à conserver la «bonne monnaie» et à céder la «mauvaise monnaie», ce qui pourrait aboutir au rejet total de la monnaie nationale. Nous constatons depuis peu le phénomène d'absence de devises étrangères sur le marché parallèle. Cette raréfaction sera accentuée par la difficulté pour les traders en question de convertir (ou faire sortir) leurs dinars afin d'alimenter leurs comptes à l'étranger et, au bout d'un prochain cycle conduit par le couple dévaluation-inflation, le dinar cessera d'être convertible contre des devises, y compris sur le marché parallèle. Par conséquent, dans une telle configuration le dinar sera évincé du marché comme instrument de mesure de la valeur des biens et des services. Le dinar ne servira pas d'instrument d'échange et, conséquence des deux premières, ne servira jamais d'instrument de réserve. Je vous laisse, chers lecteurs, le soin de définir ce qui adviendra d'une monnaie qui aura perdu toutes les caractéristiques qui, justement, font qu'elle soit une monnaie. Pour conclure, je citerais encore John Maynard Keynes qui, au lendemain de la 1ère Guerre mondiale, en critiquant le Traité de Versailles, disait : «Si on veut traire l'Allemagne, on ne doit pas d'abord la ruiner». *Expert finance et management des entreprises - Consultant-formateur international Notes: 1 Fuite devant la monnaie : les agents consomment le plus tôt possible afin de ne pas être pénalisés par l'inflation, d'où hausse de la demande, et donc de l'inflation. 2 Thésaurisation : mettre de l'argent de côté sans le dépenser ni le faire fructifier. 3 La circulation de la monnaie est également fortement dépendante de la disponibilité de moyens de paiement modernes (scripturaux et électroniques), soit de la modernisation du système bancaire. 4 Ceci ne constitue pas forcément un désavantage économique si l'on considère, par exemple, la présence de la monnaie japonaise dans ce classement. Ceci est même un avantage pour un pays industrialisé qui exporte (cas du Japon) mais ne présente aucun avantage pour un pays mono-exportateur de ressources brutes (cas de l'Algérie). |