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Si nous convenons, que la dimension éthique et déontologique agit et
milite partout et de plus en plus en faveur du principe de la restitution des
restes humains, (12), il demeure, qu'en France tout particulièrement, la
difficulté d'assumer les erreurs d'un passé colonial, est surmontée,
maladroitement, d'ailleurs, par la construction de toute une artillerie
juridique de blocage et d'obstruction à la restitution des restes humains à
leur pays d'origine, fondée sur ce qu'il a été convenu d'appeler le principe de
L'INALIEN1ABILTE des collections.
Ce n'est pas un hasard si, en 2002, une loi, concernant les musées (13), est prise, pour renforcer le principe de l'inaliénabilité des collections relevant du domaine public. Cette loi a introduit un article L 451-7 au code du patrimoine qui dispose que « Les biens incorporés dans les collections publiques par dons et legs ou, pour les collections ne relevant pas de l'Etat, ceux qui ont été acquis avec l'aide de l'Etat ne peuvent être déclassés ». Une disposition juridique qui, dans une première lecture, devait rassurer les donateurs sur la pérennité de leurs dons et legs mais qui, en seconde lecture, était destinée à « bloquer » le processus de restitution des restes humains, constitutifs des collections publiques des musées français et qui proviennent quasiment toutes de dons et legs, tout particulièrement ceux d'Algérie, qui forment la partie la plus importante ; Ce verrouillage juridique ? frein au déclassement - loin de pallier les difficultés et d'éloigner la crainte de la désolidarisation des collections françaises, a eu l'effet inverse, puisque la restitution en 2002, de la Venus Hottentote (Saartjie Bartman) à l'Afrique du Sud, de l'indien Charrua à l'Uruguay et de l'ensemble des têtes maoris à la Nouvelle Zélande, en 2011, a été réalisée en transgression du principe juridique de l'inaliénation, les trois cas de figure de restitution relevant de dons ou legs. Il aura fallu produire des lois spéciales (loi du 6 mars 2002 pour la Venus Hottentote et loi du 18 mai 2010 pour les têtes maoris) pour autoriser les restitutions dont la portée était plus symbolique et protocolaire que juridique. A ce sujet, il est utile de rappeler le refus de restitution de la tête Maori du musée de Rouen, prononcé en 2007 par la ministre de la culture Christine Albanel et confirmé par le tribunal administratif de Rouen et ceci en opposition au vote du conseil municipal de Rouen, au motif de l'«inaliénabilité». Une décision qui sera sitôt remise en cause par son successeur Frédéric Mitterrand, qui avait approuvé le vote, en 2010, d'une loi autorisant la restitution de restes maoris conservés dans les différents musées français et qui, scandalisé et dans un sursaut d'indignation déclara «ON NE CONSTRUIT PAS UNE CULTURE SUR LE TRAFIC. ON CONSTRUIT UNE CULTURE SUR LE RESPECT ET L'ECHANGE». Conclusion Aux termes de cette réflexion sur les aspects conservation et exploitation de restes humains au sein des institutions muséales et tout particulièrement les « dépouilles algériennes», maintenues dans les réserves du musée de l'Homme de Paris, conduite selon l'approche éthico-déontologique ? les dimensions juridique et politique n'ayant pas encore dépassé le stade de la controverse pour réaliser les articulations nécessaires entre la préservation du patrimoine et l'identité de l'individu - il se dégage un ensemble d'indicateurs utiles, qui pourraient éclairer et aider à la décision. Nous les déclinons ci-dessous par ordre d'importance et de pertinence: 1- la conservation, l'utilisation et la manipulation des « dépouilles algériennes » dont les conditions d'acquisition relèvent d'un négoce de corps humains en relation avec des pratiques ignobles et abjectes de la mutilation volontaire de cadavres massacrés, est en soi une reconnaissance et une légitimation des outrages et des offenses commises à l'endroit de populations algériennes opprimées, et par la même, une prorogation du dispositif colonial de hiérarchisation raciale (14). 2- D'aucuns considèrent que les « dépouilles algériennes » font partie du domaine public pour leur intérêt scientifique. Dans ce cas, il faudrait préciser la nature et la pertinence de cet intérêt scientifique. Aux déclarations mêmes des conservateurs et scientifiques du Musée de l'Homme, ces « restes osseux » sont plus embarrassants qu'utiles, de là leur empressement pour une demande algérienne de restitution. Il est utile des souligner ici, à propos d'intérêt scientifique, que les « restes osseux » du musée de l'Homme ont subi de multiples traitements dont des tests ADN qui alimentent une énorme base de données sur leurs caractéristiques. Cette question ouvre un autre débat, plus complexe, sur le prélèvement d'éléments du corps humain et la collecte de ses produits sans le consentement préalable du donneur et sur la publicité et le droit de propriété. Ceci est une autre question. 3- Les « dépouilles algériennes », ayant été incorporées dans les collections du musée de l'Homme de Paris, sous la forme de dons ou de legs, ne constituent pas des « biens culturels » et ne relèvent donc pas des dispositions du code du patrimoine culturel. Pour rentrer dans la définition culturelle, il faudrait qu'elles participent d'une signification culturelle. Dans le droit français, pour que le régime de la domanialité s'applique, il faudrait que les biens appartiennent à une personne publique (ici le Musée de l'Homme) et que ces biens offrent un intérêt culturel et sont affectés à un usage ou à un service public (objets sacrés, os transformés en artefacts?). Ce second élément de la domanialité publique, celui-là même qui justifie et légitime le principe de l'inaliénabilité n'étant pas rempli, il s'en suit que les « dépouilles algériennes » relèvent du seul registre des « restes humains » et des lois relatives au respect du corps humain. L'article 3 de la loi sur le respect du corps humain de 1994 (15) avait introduit un article 16-1 au Code Civil qui dispose que « chacun a droit au respect de son corps. Le corps humain est inviolable. Le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l'objet d'un droit patrimonial». L'Article 16-5 du même code précise, par ailleurs, que « Les conventions ayant pour effet de conférer une valeur patrimoniale au corps humain, à ses éléments ou à ses produits sont nulles ». 4- « les dépouilles algériennes », ne relèvent pas du cas de figure du « matériel culturel sensible » prévu par les articles 2.5 du code de déontologie du Conseil international des musées (ICOM) (16)., dans la mesure où ils ne rentrent pas dans la définition culturelle et patrimoniale et ne sont nullement concernés par la mesure du déclassement (au sens juridique du terme). 5- Le premier acte du processus de restitution des « restes humains » identifiés, relevant du registre des droits de l'homme et des lois de la bioéthique, tel le cas des « dépouilles algériennes » doit nécessairement être produit par le Musée de l'Homme lui-même, en tant que dépositaire , à travers la publication d'un inventaire documenté de ces restes humains pouvant susciter des demandes et des réclamations. La relation d'Etat à Etat ne se situant qu'en aval de ce processus. 6- Objectivement et au-delà de l'attitude de l'Etat, éventuellement demandeur, c'est à l'Etat détenteur ? à travers ses institutions gardiennes - d'initier le processus de restitution des restes humains datés du 19ème siècle, relevant de la période coloniale et dont les conditions de collecte, de transaction et d'acquisition procèdent de pratiques dégradantes et immorales. L'attitude du Royaume Uni vis-à-vis de cette question est exemplaire, dans ce sens où en 2004, une loi, The « Human Tissue Act », a été votée, permettant aux musées d'accepter les demandes de retour de restes humains datant de moins de 1000 ans, sans avoir recours au déclassement. Une manière intelligente et pragmatique du Royaume Uni pour régler son problème colonial. 7- Les restes humains fossiles (paléontologiques), en l'état ou servant d'artefacts, provenant de fouilles licites et illicites exécutées dans le territoire algérien et faisant partie, aujourd'hui, de collections françaises ou autres, tel que l'Atlanthropus de Tighennif au Musée de l'Homme de Paris, procèdent d'un autre principe de restitution relevant du registre des biens et du patrimoine archéologiques. Conclusion D'un point de vue du principe, le débat sur la restitution des « dépouilles algériennes » doit impérativement reposer sur les instruments juridiques adossés aux droits de l'Homme, en considérant la restitution comme droit fondamental. Les instruments de protection des biens et du patrimoine culturel ne sont pas applicables à un sujet qui n'a aucun contenu culturel et aucun intérêt scientifique y afférent. Le Principe de l'inaliénabilité est sans effet dans ce cas. L'article 16-1 du code civil français dispose que « le corps humain et ses produits ne peuvent faire l'objet d'un droit patrimonial ». L'article 16-5 du même code stipule que « Les conventions ayant pour effet de conférer une valeur patrimoniale au corps humain, à ses éléments ou à ses produits sont nulles ». D'un point de vue opérationnel, la restitution des « dépouilles algériennes » doit être menée par des scientifiques habilités, dans le cadre d'une approche scientifique qui garanti les intérêts de l'Algérie. Renvois : (12) Rapport du CCNE : « La France devrait aborder la question des restitutions de certains vestiges humains lorsqu'ils sont réclamés par les peuples d'origine dans le respect de la Déclaration des Nations Unies que notre pays a ratifiée en 2007. Plutôt que de les éluder, il est préférable de se confronter loyalement à ces questions dont la portée n'est pas seulement diplomatique mais revêt également un caractère éthique. Chaque peuple doit pouvoir exprimer son devoir envers ses morts ». (13) Loi n° 2002-5 du 04/01/2002 relative aux musées de France, JORF du 05/01/2002, p. 305. (14) Sur cet aspect, il est intéressant de reproduire ici, le point de vue courageux de Laurent Berger, dans « Des restes humains, trop humains ? », La Vie des idées, 26 septembre 2008. : « ? La restitution doit être envisagée comme un acte symbolique de repentance et de reconnaissance collective des erreurs et injustices passées commises à l'égard des populations dominées ; elle est de cette façon un processus thérapeutique menant au pardon et à l'oubli des exactions et traumatismes subis, acte et processus dont leurs descendants contemporains ont besoin pour tourner la page et construire une histoire commune et partagée sur des bases plus égalitaires». (15) Loi no 94-654 du 29 juillet 1994 relative au don et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain, à l'assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal (JORF n°175 du 30 juillet 1994 page 11060) (16) « les collections composées de restes humains ou d'objets sacrés ne seront acquises qu'à condition de pouvoir être conservées en sécurité et traitées avec respect. Cela doit être fait en accord avec les normes professionnelles et, lorsqu'ils sont connus, les intérêts et croyances de la communauté ou des groupes ethniques ou religieux d'origine » |