|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
«Il n'est pas
nécessaire de constamment regarder en arrière pour pouvoir avancer. La scène
contemporaine offre de nouvelles pistes esthétiques et créatives?».
En avril dernier l'Institut du monde arabe a célébré les 50 ans d'histoire, en planche et en bulles, de l'Algérie. Au cœur de Paris, le 9ème art algérien a réuni une cinquantaine d'auteurs. Début octobre le Festival international de la bande dessinée d'Alger (Fibda), a célébré sa 9ème édition, une édition inscrite sous le slogan « La 9ème bulle pour le 9ème art » avec en prime l'arrivée de la BD en tamazight. Pour la commissaire du Festival international, Dalila Nadjem, «La BD convoque différentes compétences et peut donner lieu à des formations pour des profils ciblés, dans l'écriture mais aussi dans le dessin et la maîtrise de la couleur. Le transfert d'un art vers un autre multiplie les supports et offre différentes entrées à la pensée et une plus grande circulation des idées». L'histoire de la bande dessinée a commencé en Suisse, au XIXème siècle. Rodolphe Töpffer croquait dans des cahiers, pour lui et sa famille, des scènes de la vie quotidienne. Un jour, il montre ses dessins à Freud, son ami, et celui-ci lui conseille de les publier, ce qu'il fit. En France, à Epinal, petite ville des Vosges, des artistes dessinaient depuis le XVIIIe des planches d'images connues sous le nom d'images d'Epinal. Comme les dessins de Rodolphe Töpffer, elles se présentaient sous la forme d'un dessin inscrit dans une vignette rectangulaire, accompagné d'une légende en dessous. En 1889, le dessinateur Christophe publie les aventures de ?La famille Fenouillard' dans le journal ?Le Petit Français illustré'. C'est l'un des premiers rendez-vous réguliers pour les Français avec la bande dessinée. Les bulles, vont venir des Etats-Unis. Jusque-là, la forme de la planche et des cases est restée classique. On parle de planche, une succession de cases carrées puis rectangulaires, plus ou moins grandes, et des cases rondes utilisées par les dessinateurs pour faire des gros plans. En 1925, les bulles arrivèrent en France, dans ?Le Dimanche illustré'. Cet Art, le 9ème, générateur d'intertextualité, a fini par s'imposer aussi bien dans les domaines de la pédagogie de la formation et de l'emploi, que dans le domaine de l'édition et de la communication. Tout comme les bulles étrangères, les bulles algériennes ont leurs grands noms : Gyps, le Hic, l'Andalou, Dahmani, Slim, Melouah, Haroun, Red (Redouane Assari), Kamel Khelif? chacun avec son propre parcours, son style et ses thématiques. Une évolution de la fabuleuse aventure de «M'quidech» à la confirmation d'auteurs de bandes dessinées et l'organisation du premier festival de BD à Bordj El Kiff an, à Alger, en passant par le dessin de presse, jusqu'au retour du 9ème e art sur la scène nationale et même internationale, avec l'émergence de nouveaux talents et la mise en valeur du travail des «pionniers», notamment par le biais du Festival d'Alger, organisé depuis la fin des années 2000. Malgré les nombreuses carences, l'engouement pour le 9ème art, des jeunes bédéistes algériens est important. Gueydan-Turek Alexandra, chercheur en Etudes maghrébines à l'Université de Swarthmore (USA), et Rym Mokhtari, dessinatrice et enseignante à l'ESBA, toutes deux, invitées du CEMA dans le cadre du cycle de conférences « Langues et sociétés au Maghreb », ont bien voulu accorder à notre journal un entretien, au terme du débat organisé autour du thème : « L'élan de la BD contemporaine, en Algérie ». C'est Alexandra Gueydan, conseillère pédagogique qui a donné le coup d'envoi de la manifestation, avec une première conférence illustrée ayant pour intitulé : « Histoire de la bande dessinée qui traitera de la BD en Algérie, pays longtemps considéré comme le pionnier en la matière au Maghreb et en Afrique, mais qui, aujourd'hui, peine à maintenir le cap au regard de la régression qui a affecté, ces dernières années, l'expression artistique ». Pour la seconde invitée, Rym Mokhtari, une mangaka (auteure de Mangas), par la force des choses, la BD est appelée à s'imposer même si les écueils demeurent nombreux. Elle est l'art du siècle, le trait d'union entre les différentes cultures, en même temps, que moyen d'ouverture de l'esprit. Bédéistes et amoureux des bulles, peu nombreux présents, malheureusement, s'en sont donné, à cœur joie. Il fut question du B.A-B.A de la BD, du développement de la BD, à l'échelle internationale et de la BD algérienne en particulier, de 1969 à nos jours, le tout illustré de nombreuses images savamment orchestrées. Trois questions à Alexandra Gueydan-Turek et Rym Mokhtari Le Quotidien d'Oran : Vous vous accordez sur le fait que la scène contemporaine offrait de nouvelles pistes esthétiques et créatives Alors que vous situez l'âge d'or du 9ème art avant les années 90, vous remettez en cause le regard constant sur le rétroviseur. Pour vous, la scène contemporaine offre de nouvelles pistes esthétiques et créatives. A quel moment apparurent les bulles ? Peut-on véritablement parler d'une dynamique régionale ? Alexandra Gueydan-Turek: Je prendrai pour exemple l'œuvre de Nawel Louerrad, essor d'une scénographie expérimentale de la planche qui fait de la jeune bédéiste algérienne l'une des plus créatives, quand il s'agit du démantèlement des codes de la BD. Les dessinateurs contemporains, dont fait, justement, partie Rym Mokhtari, ne sont pas juste de simples héritiers d'une tradition iconographique, qu'elle soit locale ou hexogène, algérienne ou française. Nombreux sont ceux qui se préoccupent, aujourd'hui, de s'approprier une expression qui leur serait propre et reflèterait une nouvelle sensibilité au monde. Ce n'est pas par hasard si ce questionnement coïncide avec une ouverture vers d'autres régions. A l'axe Nord/Sud ancré dans le legs colonial, vient s'ajouter une transversalité qui témoigne d'une volonté de créer des liens Est et Ouest de la Méditerranée. Tout ça se traduit par des festivals, des résidences d'artistes qui rassemblent des bédéistes allant du Maroc jusqu'à l'Irak. C'est ainsi que, récemment, Myriam Zeggat a participé à un collectif d'auteurs marocain Skefkef, que Rym Mokhtari, en compagnie de Sid Ali Dekkar et Kamel Zakour, ont été invités en résidence par le collectif d'auteurs tunisien Lab619, en préparation d'un nouveau numéro, alors que Nawel Louerrad avait déjà contribué de ses planches à la revue libanaise Samandal. Si l'on ne peut pas, encore, véritablement parler d'une dynamique régionale, ces échanges transnationaux participent, en revanche, d'un décloisonnement du neuvième art, au-delà d'un particularisme national, linguistique et culturel. Q. O.: A partir de 1990, c'est la déferlante Mangas (souvent violents des dessinateurs japonais) à travers le monde. Ce fut un énorme succès. Aujourd'hui, l'Europe et même les Etats-Unis assistent impuissants à cette déferlante... Comment expliquez-vous cet immense succès planétaire ? A propos du manga algérien, vous avez parlé d'un « genre hybride, créolisé par les signes émanant de la culture algérienne? ». Pouvez-vous développer votre point de vue ? Pris dans ce contexte de renouvellement, le manga algérien ne fait plus figure d'ovni. La BD algérienne s'approprie le manga au niveau tant iconographique que discursif, participant à ce que j'ai appelé un genre hybride, créolisé par les signes émanant de la culture algérienne. En tant que chercheur américaine j'ai mentionné l'exemple de Nahla et les Touaregs de Fella Matougui et Salim Brahimi qui fournissent un moyen extrêmement efficace et à la mode pour transmettre la culture targuie à la jeunesse algérienne. Ou encore Degga de Natsu qui remet en question, de manière loufoque, l'hypercodification de la virilité masculine à travers l'histoire de Salim qui souhaite transformer son mouton de l'Aid en cyborg, afin de pouvoir enfin gagner des combats de quartier. Q. O.: Lors de vos interventions vous avez aussi insisté sur les stratégies alternatives qu'emploient la nouvelle génération de bédéistes et les éditeurs en quête de nouveaux talents. Vu la rapidité avec laquelle évoluent les technologies actuelles, de nouveaux moyens sont, certes, à inventer pour permettre la diffusion de la BD. Pensez-vous que Z-Link, éditrice de Laabstore, premier magazine algérien spécialisé dans le 9ème art, créé en 2007 par de jeunes Algériens passionnés, et qui atteint, aujourd'hui, un tirage de 50.000 exemplaires, constitue un exemple à suivre ? Rym Mokhtari Le format adopté par Z-Link, premier éditeur spécialisé de DZ manga, lui permet de rester abordable alors que l'invite lancée aux jeunes créateurs par sa revue Laabstore favorise la découverte de nouveaux talents et une participation indirecte du public à la composition du catalogue de publication. Si je reviens sur son parcours personnel, parcours qui rejoint cependant, celui de ma génération, j'ai discuté la création du « 12 Tours », un blog dessiné qui a pu apporter une certaine liberté aux artistes, aussi bien dans les thèmes que dans le ton, tout en court-circuitant les problèmes de financement et de dissémination inhérents à l'édition papier. Paradoxalement, les facilités que peut offrir ce nouveau média risquent, à long terme, de diminuer l'investissement personnel des artistes dans leur œuvre du fait de ses enjeux économiques qui sont moindres. Cette vision est mitigée par l'optimisme de bédéistes, comme Nime, pour qui le net est un choix assumé. |