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De surcroît, ces données globales
occultent une réalité souvent méconnue mais qui n'en demeure pas moins vraie, à
savoir : la fortune diverse des études que mènent les étrangers. Au rebours de
préjugés, largement répandus, signifiant l'incompétence des allochtones en
matière scolaire, certaines études montrent, au contraire, l'acharnement, la
persévérance et la réussite formidable des enfants d'immigrés, à l'école,
rompant, ainsi, avec toute idée de surdétermination socioculturelle.
Allant à l'encontre des thèses bourdivines relatives à l'auto- reproduction cloisonnée des classes, il apparaît, de plus en plus, que certains enfants d'immigrés obtiennent les meilleurs résultats scolaires. Cette situation s'expliquerait soit par la sacralisation de l'école, lieu privilégié de la promotion sociale, donc surinvesti par de nombreuses familles allogènes ; soit en vertu du principe selon lequel à niveau social équivalent, les parents immigrés disposeraient d'un capital culturel supérieur à celui des familles françaises issues d'un milieu équivalent. Le voisin encombrant Au plan de l'habitat, deux logiques apparemment antagoniques aboutissent, paradoxalement, à la marginalisation des populations immigrées concentrées dans les logements sociaux situés en marge de la ville, créant ainsi une distance supplémentaire avec la population d'accueil, l'éloignement renforçant et alimentant la peur de l'Autre. Il est indéniable que certains immigrés souhaitent et recherchent activement des logements du parc social périphérique où la sociabilité est maintenue par le regroupement de type communautaire. Cependant, force est de reconnaître le caractère déterminé de cette quête due, en partie, à l'insuffisance des ressources financières disponibles. Cette logique se combine dialectiquement avec la politique d'attribution des logements qui apparaît, à maints égards, ségrégative et communautariste. Il en résulte une accentuation du refus de l'Autre tenu pour responsable de la détérioration de l'habitat collectif, et plus généralement de la dégradation des conditions de vie. La structuration communautaire des « ethnies » dans les quartiers périphériques des villes ségrége les populations, les cloisonne en fonction de critères multiples et rend la communication interculturelle quasiment impossible. La différenciation perpétue les anciens conflits que seule l'interpénétration réciproque des communautés peut résoudre. En somme, l'Autre fait-il peur pour son extranéité ou pour sa visibilité ? Les populations allogènes se révèlent soit par opposition au modèle français auquel elles substituent l'alternative allemande ou anglo-saxonne, soit par mimétisme à l'instar du comportement adopté par les élites issues des pays musulmans de la Méditerranée. Dans ce cas, l'alter-ego « islamique » hante l'ego occidental. La peur de l'Autre s'exacerbe souvent dans un jeu de miroir, celui de «l'autre soi-même», c'est-à-dire un autre qui risque d'échapper au schéma hiérarchique subalterne afin d'aspirer à reproduire le modèle et les compétences de l'ego. En fait, l'on ne saurait faire l'économie du rejet conçu comme de la condescendance, notamment inspirée par la posture subordonnée, conséquence de la distance sociale et culturelle. L'ego ne veut point être associé, voire identifié avec l'Autre qu'il soit Arabe, Maghrébin, « beur » ou autre, puisque le rapprochement perturbe son propre schéma identitaire et risque de déconstruire nombre des structures et références maintenues jusque-là. La confrontation de l'un avec l'autre suscite, par le jeu des identifications ambiguës, l'émergence du refoulé et une redéfinition de soi ; celle-ci provoque une rupture brutale avec l'image de soi, véhiculée et imposée par les membres de son propre groupe. Le regard de l'étranger porté sur soi suscite un questionnement identitaire qui risque de révéler, incidemment, le statut social réel ou présumé de chacun. L'autre, perçu dans sa dimension interactive et contrastive, renvoie à l'ego l'image d'un être dégradé, vivant au ban de sa propre société. La prise de conscience de cette situation fait naître un sentiment de révolte qui se déchaîne contre le proche, jugé responsable de cet «amalgame honteux». Il apparaît, donc, que c'est dans la proximité, voire la promiscuité, que « la différence peut se convertir en écart maximal, propice à l'engendrement des stéréotypes dépréciatifs, des rumeurs néfastes et des passions porteuses d'exclusions et de violences», ce que montre, justement, Georges Balandier dans ?Le Dédale'. Bref, l'altérité n'est pas vécue sous le mode de la menace tant qu'elle se pare d'exotisme et qu'elle est destinée à rester étrangère. « L'expérience historique, souligne D. Schnapper, montre que l'hostilité devient plus violente quand les populations autres deviennent plus proches ». L'ennemi d'hier... et d'aujourd'hui ? Dans le droit fil d'événements historiques particuliers, le rejet trouverait, également, sa source dans le passé colonial de la France, thèse soutenue par Etienne Balibar dans ?Les frontières de la démocratie' . Dans ?Race, Nation, Classe. Les identités ambiguës », il avance l'idée selon laquelle «les travailleurs originaires des anciennes colonies françaises et leurs familles apparaissent comme le produit de la colonisation et de la décolonisation, et réussissent à concentrer sur eux-mêmes, à la fois, la continuation du mépris impérial et le ressentiment éprouvé par les citoyens d'une puissance déchue, quand ce n'est pas la hantise fantasmatique d'une revanche ». Dans son entretien avec J. Leca, A. Sayad exprime clairement le fait que « [...] la colonisation se survit à elle-même, à travers ses propres effets, ses propres enfants, colonisés et colonisants - les immigrés (avec ou sans la nationalité française) ? « colonisés » nouvelle manière ou « colonisés » de dernière heure, sont des colonisés chez le colonisateur, cette fois-ci, des colonisés dans le territoire du colonisateur ». Ainsi, tout se déroule comme si, au plan de l'inconscient collectif, les deux populations concernées, ex-colonisatrice et ex-colonisée, entretiennent les traces ineffaçables des anciennes relations qui se traduisent, pour les premiers par un esprit de domination et de supériorité alors que les seconds, placés en état de subordination et de soumission, continuent à lutter pour la revendication d'une identité propre qu'ils souhaitent afficher, ouvertement, sur le sol français. De ce décalage naît une distance propice au refus de l'Autre : le repli de chacun sur son identité manifeste le souhait réciproque de ne pas fusionner les identités en instance dans une globalité culturelle informe aux contours flous et malléables. Le rejet mutuel des cultures s'effectue de la manière suivante : sont prêtés au groupe rejeté des traits plus ou moins infamants, cet Autre s'avère menaçant puisqu'il déstabilise les repères fondamentaux que sont les valeurs et les idéaux, en somme l'identité. A bien des égards, le procès de mise à l'écart correspond à une forme de racisme dont A. Memmi donne la définition suivante : « le racisme est la valorisation, généralisée et définitive, de différences, réelles ou imaginaires, au profit de l'accusateur et au détriment de sa victime, afin de justifier une agression ou un privilège ». Le psychanalyste E. Erikson a su dégager du besoin de distanciation par rapport à autrui la propension à mépriser, voire à annihiler ceux dont l'existence même paraît menaçante pour soi. Dans ?Psychologie des foules et analyse du moi', Freud signale que dans les « aversions et répulsions qui se manifestent, de façon apparente, à l'égard des étrangers qui nous touchent de près, nous pouvons reconnaître l'expression d'un amour de soi, d'un narcissisme qui aspire à s'affirmer soi-même et se comporte comme si l'existence d'un écart par rapport aux formations individuelles qu'il a développées entraînait une critique de ces dernières et une mise en demeure de les remanier ». L'universalisme culturel dont s'est parée la culture française constitue une forme d'ethnocentrisme, une garantie de défense culturelle contre les agressions avérées ou éventuelles provenant d'autres cultures, du fait même de leur existence. La peur de l'Autre implique une attitude de rejet à son égard puisque ne le connaissant pas, il demeure un ennemi potentiel, susceptible de trahison ou d'espionnage au profit de forces étrangères occultes. Cet intermède ne va pas sans rappeler l'affaire Dreyfus. La gradation de la crainte suscitée par l'allochtone est proportionnelle au degré de méconnaissance ainsi que l'importance de la différence qui le distinguent de l'autochtone. Autre cause possible de l'assimilationnisme : la quête désespérée d'attaches fixes, de racines lointaines, comme si la fidélité au passé, à la « terre des morts » pour reprendre une expression chère à Maurice Barrés, assurait la stabilisation de l'identité actuelle. La recherche d'ancêtres éponymes et anthroponymiques apporte un satisfecit à ce qu'il convient d'appeler l'identité généalogique qui fonctionne comme une détermination d'ordre a-temporel aux yeux de ses zélateurs. Dans cette perspective, l'évolution, tout autant que le changement ou la simple confrontation avec du neuf, créent les conditions d'une fragilisation du socle identitaire, assis sur la référence aux ancêtres. Dans ?L'Avenir d'une illusion', Freud n'écrit-il pas que « moins nous connaissons du passé et du présent, plus notre jugement sur le futur est forcément incertain ». L'Autre, du seul fait de sa présence, expose l'individu à un questionnement identitaire, puisque dans la vie psychique de chaque être pris isolément, « l'Autre intervient régulièrement en tant que modèle, soutien et adversaire » : on se définit par rapport à autrui et si celui-ci est trop différent, il nous incite à changer nos critères de référence puis nos habitudes, ce changement affectant notre passé menace, de façon brutale, notre identité que seul notre ancrage dans l'histoire préserve. Cette crispation se fonde sur l'angoisse du présent et l'incertitude d'un lendemain inconnu. Figure emblématique de l'Autre dans sa dimension d'extranéité, l'immigré est perçu comme la cristallisation in fine de toutes les inquiétudes refoulées dans l'inconscient si bien que sa présence suffit à déclencher le retour du refoulé qui vient troubler la quiétude relative du rapport au monde et aux hommes. Il représente la personnification de la part obscure, indescriptible et inexplorée qui existe en nous, mais que chacun, à sa manière, ignore ou tente de pénétrer pour en saisir les facettes. Au plan intra-individuel, l'échange entre le moi et cette zone d'ombre prend la forme d'un soliloque ; au niveau interindividuel, autochtone/allochtone, national/ »étranger de l'intérieur », la communication emprunte le canal d'un dialogue inégal où il appartient à l'immigré d'adapter son langage pour autoriser la discussion. Cette situation, souligne Pierre Bourdieu, est la plus fréquente : c'est en effet « le dominé qui est obligé d'adopter le langage du dominant ». Afin d'illustrer son propos, l'auteur suggère l'exemple d'un échange verbal entre un Algérien et un Français ; il montre alors que ce ne sont pas deux personnes interchangeables qui se parlent, mais bien à travers elles, « toute l'histoire coloniale». Il s'ensuit que l'échange semble irrémédiablement condamné à la hiérarchisation, car même si le « dominant adopte le langage du dominé », il y aurait de fortes chances, écrit Bourdieu, que cela prenne la forme de ce qu'il désigne par « une stratégie de condescendance » ou par la «dénégation symbolique », cette relation de pouvoir est exploitée en vue de « produire la reconnaissance de la relation de pouvoir qu'appelle cette abdication ». Il convient de penser l'identité en dialecticien puisque l'unicité sollicite nécessairement le concours dialectique de la multiplicité, de l'altérité, qui constitue le pôle négatif par rapport auquel la figure de l'un se définit. Par analogie avec la fameuse formule sartrienne extraite de «Huis clos « qui problématise la question identitaire fort complexe : «L'enfer, c'est les autres». Et si l'on considère que l'Autre, c'est l'immigré, par « l'enfer, c'est les immigrés ». NB. Les notes ont été volontairement retirées , et ce pour ne pas alourdir le texte. |