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3.
Le mécanisme de facturation du pétrole arabe en dollar dans la crise pétrolière
de 1973
La crise énergétique qui commença à l'automne 1973 a entraîné un bouleversement des structures industrielles des pays occidentaux et du Japon, fondées jusque-là sur une énergie à bon marché. Sa brutalité, sa soudaineté et ses conséquences qui jouent encore aujourd'hui en 2016, lui confèrent un caractère d'événement majeur dans l'histoire économique contemporaine. Cette crise énergétique a amené le monde arabe à entrer en force dans les affaires monétaires via le libellé monétaire du pétrole arabe en dollar. Et ce qui est le plus surprenant, c'est que cette intrusion du monde arabe dans les affaires monétaires internationales aura un effet salvateur dans les crises monétaires qui divisent les puissances occidentales. Evidemment cette intrusion arabe n'est pas venue ex nihilo, mais relève de forces historiques en lien avec l'évolution du commerce mondial et l'avènement de plus d'une centaine de nations depuis la décolonisation qui a commencé à la fin de la Deuxième Guerre mondiale et s'est pratiquement terminé en concomitance avec la fin des « Trente Glorieuses ». Ce sont les pays arabes en accord avec les États-Unis qui vont imprimer un tournant aux crises monétaires, qui ne cessaient de déstabiliser l'économie occidentale. A l'époque, le Secrétaire d'État Henry Kissinger qui faisait la navette entre les États-Unis et les pétromonarchies du Golfe aurait déclaré : « Si vous contrôlez le pétrole, vous contrôlez toutes les nations. » Et, c'est ce qui s'est passé, les Américains, en s'alliant avec les Arabes, ont réussi ce tour de force, « substituer le dollar-or par une monnaie de facturation du pétrole en dollar, communément appelé « pétrodollar ». Le pétrole arabe, et par extension le pétrole du cartel pétrolier, l'OPEP, va jouer un rôle central dans les relations monétaires internationales. Précisément, alors qu'ils cherchaient à se libérer des dollars issus des déficits commerciaux américains (monétisation), en décidant en mars 1973 (Conférence de Bruxelles) de ne plus soutenir le cours du dollar, les pays européens se retrouvaient paradoxalement forcés, suite au premier krach pétrolier (quadruplement du prix de pétrole), à soutenir son cours par des achats massifs de dollars sur les marchés monétaires pour régler leurs importations de pétrole. Les pays arabes et ceux de l'OPEP vont forcément, via leurs exportations pétrolières, accumuler des montants considérables en dollars. Cependant, ce mécanisme monétaire qui, par la facturation du pétrole en dollar, et donc en obligeant les pays d'Europe à acheter des dollars, permet de répercuter les déficits américains sur le reste du monde, ne va pas amener la seule Amérique à en tirer bénéfice. En effet, monétisant leurs déficits, et émettant massivement des dollars dans le monde, les États-Unis créent une grande quantité de dollars sur les marchés financiers. Certes, une grande partie des dollars est absorbée par les pays consommateurs de pétrole, dont les pays d'Europe, puisque ces derniers règlent leurs importations de pétrole en dollars. Ainsi les masses de liquidités en dollars que les pays arabes enregistrent dans la vente de leurs pétroles vont financer les biens et services importés d'Europe, du Japon et des États-Unis. Si les pays arabes importent des biens et services des États-Unis, le problème monétaire ne se pose pas puisque ces pays règlent leurs importations en dollars. De même quand ils investissent leurs excédents pétroliers en bons de Trésor américains. Il n'y a pas l'utilité de convertir leurs dollars en une autre monnaie pour régler ou placer des excédents aux États-Unis. En revanche, la situation est autre quand les pays arabes importent des biens et services d'Europe et du Japon. Ces pays se trouvent obligés de convertir les dollars en franc, en livre sterling, en deutschemark, en yen, etc., sur les marchés pour régler leurs importations aux pays d'Europe et du Japon. Le problème qui se pose pour l'Amérique est que ces dollars qui retournent sur les marchés font forcément déprécier la monnaie américaine. D'autant plus si les déficits américains sont importants, et que les placements arabes en bons de Trésor n'arrivent pas à pondérer les émissions monétaires américaines. Dès lors, les pays européens et le Japon vont se retrouver doublement pénalisés. D'abord par l'achat du pétrole auprès des pays arabes qui se fait en échange de richesses réelles par les pays d'Europe et du Japon, alors que les États-Unis règlent leurs importations de pétrole que par des dollars qui ne leur coûte que le prix de l'impression (planche à billets). Le deuxième facteur, tout aussi important, est le fait que le retour des dollars sur les marchés via les conversions monétaires opérées par les Arabes pour régler leurs importations de biens et services d'Europe et du Japon font apprécier les monnaies de ces derniers. Ce qui nuit à leur commerce extérieur. Leurs monnaies (franc, livre sterling, deutschemark, yen?) seront plus chères par rapport au dollar qui ne cesse de se déprécier, eu égard à la dégradation des déficits extérieurs américains. 4. Le « privilège exorbitant du pétrodollar » partagé entre les États-Unis, l'Europe, le Japon et les Arabes Quelle sera alors la réaction de l'Europe et du Japon pour défendre leur compétitivité dans les échanges internationaux ? Sans alternative, ces pays vont opter pour la création monétaire, i.e. émettre des liquidités ex nihilo (planche à billets) », sans contreparties de richesses réelles, dans le but évident de dégonfler leurs monnaies appréciées, et regagner de compétitivité. Cette réaction de défense qui leur permet, par simple création monétaire, de régler leurs importations pétrolières en leurs monnaies, préalablement converties en dollars, de bénéficier de ce pouvoir de créer de l'argent à partir de rien, pour simplement abaisser le taux de change de leurs monnaies. Par conséquent, force de dire que les pays d'Europe et le Japon bénéficient, à l'instar des États-Unis, de ce que tout le monde appelle le « privilège exorbitant du dollar », qui n'est, en réalité, que le droit de seigneuriage partagé entre les États-Unis, les puissances monétaires européennes et le Japon, et que ces grandes puissances ont sur le reste du monde. Si on partait du cas de figure que seuls les États-Unis ont ce droit d'imprimer de l'argent, et les pays d'Europe comme le Japon seraient astreints à régler leurs importations pétrolières du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord au prix fort, que serait-il passé ? Il faut rappeler que le krach pétrolier de 1973 a vu le prix du baril de pétrole quadrupler, le second krach de 1979, le prix du pétrole a triplé. Il se serait transféré un formidable pouvoir d'achat de l'Europe et du Japon vers les pays exportateurs du pétrole. I.e. une masse d'argent transférée aurait certainement poussé les gouvernements européens et japonais, à l'époque, à pallier la décroissance par une croissance des déficits publics. A l'instar de ce qui s'est passé en 2008, après la crise financière, les déficits et les dettes publiques des pays européens et américain exploser. Aujourd'hui encore, ces déficits ne sont pas tout à fait assainis (France, Espagne, au Portugal, en Grèce?) parce que ces pays recourent encore à la dépense publique pour atténuer la crise économique et financière. Or, à l'époque, les dettes publiques des États-Unis et des pays d'Europe n'ont pas augmenté. Donc ils n'ont pas enregistré de déficits publics. La dette publique de la France s'établissait en 1954 à 35 %. En 1970, elle descendit à 20 %. Hormis une brève remontée en 1973 (premier krach pétrolier) de 1973, qui ne dure pas, vite résorbée en 1975, elle resta pratiquement constante au ratio de 20 % du PIB jusqu'en 1982. Donc la dette publique a été très peu influencée par les krachs pétroliers. Et cela a été pratiquement le cas pour tous les pays d'Europe qui étaient assujettis aux mécanismes de stabilisation monétaire européenne. La dette publique des États-Unis, par exemple, est passée de 30 % du PIB en 1970 à 0 % en 1980. Elle n'a commencé à augmenter qu'à partir de 1982. (2) Si le Japon a vu sa dette publique passer de 10 % en 1970 à 40 % du PIB en 1980 (2), cela est dû probablement aux politiques keynésiennes menées par le gouvernement qui visait le plein emploi. Et qu'expliquent les grands chantiers de modernisation et d'innovation au Japon (grands travaux publics : universités, autoroutes, voies ferroviaires, centrales électriques?). On comprend dès lors par cette corrélation entre des dettes publiques occidentales qui sont restées faibles et la violence des krachs pétroliers qui auraient dû influer que les pays d'Europe et du Japon, en tant que seuls émetteurs de monnaies de compte et de réserve internationale, avec les États-Unis, partagent le pouvoir exorbitant du dollar américain, qui passe évidemment par le pétrole arabe, et par extension, au pétrole exporté par les pays d'OPEP et facturé en dollar. Dans les faits, on peut aussi énoncer que ce droit de seigneuriage qui a permis d'augmenter les cours du pétrole et des matières premières a été paradoxalement favorable au reste du monde, en particulier les pays arabes exportateurs de pétrole, le reste des pays de l'OPEP et non-OPEP, et dans une moindre mesure aux pays exportateurs de matières premières. Cependant, les pays arabes qui n'ont pas de droit de seigneuriage, mais bénéficient d'un transfert de pouvoir d'achat (hausse des prix du pétrole), et partagent précisément, par ce transfert de pouvoir d'achat, le pouvoir exorbitant des États-Unis, de l'Europe et du Japon. Tout compte fait, il apparaît dès lors, par l'accroissement des échanges de biens et services, que le pouvoir exorbitant du pétrodollar qui dope l'économie mondiale relève d'un processus naturel dans l'évolution du monde. Il constitue en quelque sorte, dans la croissance de l'économie mondiale, une « ruse de l'histoire ». D'autre part, sans ce reste du monde, i.e. l'Afrique, l'Asie et l'Amérique du Sud, et sans le pétrole des pays arabes, il est certain que les krachs pétroliers n'auraient pas existé. Les crises monétaires intra-occidentales se seraient certainement envenimées, en divisant encore plus l'Occident. Le monde aurait abouti aux zones monétaires qui rappellent celles des années 1930, et partout serait érigé des barrières protectionnistes, accentuant le compartimentage de l'Occident. Se rappeler ce qui s'est passé dans les années 1930, avec les 15 millions de chômeurs aux États-Unis pour une population trois fois moindre et les 6 millions de chômeurs allemands qui ont fait venir Hitler au pouvoir. Donc, force de dire que à la fois l'avènement du monde décolonisé et le pouvoir exorbitant du pétrodollar américain « partagé » a joué une fonction salvatrice idoine pour le maintien de la croissance mondiale puisqu'il a évité l'apparition de zones monétaires, les barrières protectionnistes et la destruction de dizaines de millions d'emplois dans le monde. Annexe : Attaque spéculative Pour comprendre la gravité d'une « attaque spéculative », partons d'un cas concret. Qu'un spéculateur (Hedges funds, Entreprises financières, assurances, etc.) emprunte, par exemple, auprès de la Banque d'Angleterre ou du système bancaire anglais « 1 milliard de dollars », qui lui remette 0,4 milliard de livres sterlings au taux d'intérêt de 10% et au taux de change de 1 GBP=2,5 USD, ou 0,4 GBP pour un dollar. Et que ce Hedge fund convertit sans attendre ce capital en dollars, et les réinvestit à un taux de 5% dans un autre Etat. Le spéculateur n'opte pas pour un taux d'intérêt supérieur et accepte, en suivant sa stratégie, une perte de 5%. Cette opération lui fera perdre donc 5% d'intérêt du capital. A l'échéance de l'emprunt, il doit rembourser 105% du capital emprunté. Prenons le fait que ce n'est pas un Hedge fund mais plusieurs Hedges funds qui s'accordent et empruntent auprès du système bancaire anglais des capitaux au même taux d'intérêt et au même taux de change dollar/livre sterling. Supposons que l'ensemble des emprunts par les Hedges funds s'élèvent à 100 milliards de dollars soit 40 milliards de livres sterlings empruntés, et que ces montants en GBP sont aussitôt convertis en dollars et investis dans d'autres Etats au taux d'intérêt de 5%. Ces fonds spéculatifs, à l'échéance des emprunts, comme on l'a dit, doivent rembourser 105%. Donc des pertes puisqu'ils doivent payer 5% de plus sur les capitaux empruntés. Supposons maintenant que la conversion massive des GBP en dollars sur les marchés a entraîné une forte dépréciation de la monnaie britannique. Et qu'à l'échéance des emprunts, le taux de change est passé de 0,4 à 0,5 GBP pour un dollar, les Hedges funds n'auront alors à rembourser au système bancaire anglais que 80 % du capital emprunté plus les intérêts. Les 40 milliards de livres sterlings empruntés, au taux de change de 0,5 livre sterling pour un dollar, ne constituent plus que 80 milliards de dollars. Donc ils ont fait un gain de 20 milliards de dollars. De même, le différentiel de taux d'intérêt de 5% au profit du système bancaire anglais, rapporté au capital emprunté et au nouveau taux de change dollar/GBP, ne représente plus que 4 %. A l'échéance des emprunts, les Hedges funds n'auront à rembourser que 84% des capitaux empruntés. Les Hedges funds auront donc enregistré un gain de 16 % du capital emprunté. Une échéance à trois mois, par exemple, amènerait la Banque d'Angleterre à perdre 4 milliards de dollars sur les 100 milliards de dollars prêtés en équivalent-livres sterlings avant la dépréciation. Une échéance sur six mois occasionnerait une perte de 8 milliards de dollars pour le Royaume-Uni. Sans compter que les dépenses deviennent onéreuses pour financer ses importations de biens et services, par la dépréciation de la livre sterling. Et une hausse généralisée des prix intérieurs suivie d'inflation. *Auteur et chercheur spécialisé en Economie mondiale, Relations internationales et Prospective. Note de renvoi : 2. « L'endettement des pays riches s'envole, le FMI s'affole », par Challenges.fr, le 8/11/2012 http://www.challenges.fr/economie/20121107.CHA2748/l-endettement-des-pays-riches-s-envole-le-fmi-s-affole.html |