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Cette
thèse fataliste nous fait penser à la théorie morphologique du criminel-né de
Lombroso ou à celle génétique répandue au 19ème siècle et faussement scientifique,
selon laquelle le criminel dispose dans son patrimoine génétique d'un
chromosome Y supplémentaire qui le prédestine au crime. Cette anomalie
génétique on l'a bien trouvée chez certains criminels en milieu carcéral, mais
elle n'a aucune relation avec le crime. Cependant, la différence entre Lombroso
et Koestler c'est que l'un propose, pour protéger la société, d'éliminer le
criminel-né alors que l'autre prône l'abolition de la peine de mort pour le
sauver.
Arthur Koestler, en abolitionniste convaincu, met ainsi en valeur le déterminisme social pour d'une part atténuer la responsabilité pénale du criminel en raison de «l'impulsion contraignante» due à son héritage génétique et à l'influence de son milieu et, d'autre part, faire l'apologie de ses thèses sur la suppression de la peine de mort. Pour lui, elle ne produit aucun effet d'exemplarité sur la société en raison de l'inexistence même du lien causal direct entre ce châtiment suprême et la diminution du taux de la criminalité. S'il est indéniable que l'homme dispose d'un legs génétique et subit l'influence du milieu social dans lequel il évolue, cela ne l'empêche pas d'influer sur ce même milieu qui l'a façonné. Ainsi, le social et l'individuel interagissent dans un rapport dialectique grâce auquel ils sont en perpétuel mouvement et se transforment. En effet, le libre arbitre est cette interface sans laquelle l'homme n'est qu'un primate conditionné par sa nature et modelé par son milieu et vouloir justifier l'abolition de la peine capitale par le déterminisme social est une idée qui a ses limites car elle est relative et ne peut tendre vers l'absolu. Aussi, le libre arbitre est-il la pierre angulaire sur laquelle repose l'édifice de la responsabilité pénale. Pour Koestler enfin, tant que la question du libre arbitre et du déterminisme n'est pas encore tranchée par la philosophie en raison de sa complexité, l'abolition de la peine de mort est amplement justifiée. Camus contre la peine de mort Dans ses «Réflexions sur la guillotine» Camus se fixe comme objectif de démystifier la peine de mort en développant un argumentaire qui dévoile la réalité crue d'une pratique en décalage manifeste avec les valeurs des temps modernes. Il réfute les arguments des tenants du maintien selon lesquels l'exemplarité de la peine de mort produit des effets dissuasifs indéniables destinés à protéger la société contre les criminels. Mais cette société que ce châtiment est censé protéger ne croit plus à cette exemplarité et la preuve en est que les exécutions sont secrètes et ne se déroulent plus dans les places publiques ; que les statistiques n'ont jamais constaté une augmentation de la criminalité dans les pays abolitionnistes ; qu'on fait abstraction de la psychologie du meurtrier dominé par son impulsion ou l'instinct de mort plutôt que freiné par la loi : «Il craindra la mort après le jugement et non avant le crime». Considérer la peine de mort dans l'optique camusienne, c'est se placer dans une logique qui incontestablement la prend comme un acte qui n'a rien à envier à celui commis par le criminel lui-même tant dans sa préparation que par la brutalité de son exécution. C'est un crime administratif qui se caractérise par sa froideur procédurale et sa fin macabre, commis contre un homme qui, seul, endure pendant les jours de sa détention, les pires sévices moraux et physiques. Partant du fait qu'on ne naît pas criminel mais qu'on le devient, Albert Camus pointe du doigt la société qui, selon lui, est responsable pour une grande part des égarements de la personne humaine qui, sous le poids de la pesanteur sociale, commet l'irréparable. On devrait donc chercher la solution hors de la guillotine et de la potence. Son plaidoyer n'est pas une défense du criminel, mais se veut plutôt comme un appel au respect par la société et les institutions qui la représentent de la vie humaine en garantissant à l'accusé un procès équitable conforme aux lois en vigueur et en préservant sa vie notamment par la suppression de la peine capitale qui, soit dit en passant, n'est plus en adéquation avec les exigences de la modernité. «Loin de dire que la peine de mort est d'abord nécessaire et qu'il convient ensuite de n'en pas parler, il faut parler au contraire de ce qu'elle est réellement et dire alors si, telle qu'elle est, elle doit être considérée comme nécessaire». Albert Camus : «Réflexions sur la guillotine». C'est dans le sillage des textes de Victor Hugo qu'Albert Camus a écrit ses «Réflexions sur la guillotine». En effet, «Le dernier jour d'un condamné» publié en 1829 a suscité de violentes réactions politiques, morales et même littéraires dues à la crudité de son ton et la clarté de ses positions. A ce titre, j'évoquerai le passage, ô combien pathétique, dans lequel on conduit le condamné vers le lieu du supplice : «Ils se sont assis tous deux sur la banquette de devant. C'était mon tour. J'ai monté d'une allure assez ferme. Il va bien ! a dit une femme à côté des gendarmes. Cet atroce éloge m'a donné du courage. Le prêtre est venu se placer auprès de moi. On m'avait assis sur la banquette de derrière, le dos tourné au cheval. J'ai frémi de cette dernière attention». L'œuvre de Victor Hugo se présente ainsi comme un témoignage brut sur l'angoisse du condamné, ses souffrances morales et physiques autant qu'un pamphlet contre l'attitude indifférente et perverse de la société pour qui la mort d'un homme n'est qu'un spectacle divertissant. Il a écrit par ailleurs : «Cette tête de l'homme du peuple, cultivez-la, défrichez-la, arrosez-la, fécondez-la, moralisez-la, utilisez-la ; vous n'aurez pas besoin de la couper». Ce pamphlet n'a rien perdu de sa jeunesse. Au-delà de son aspect «réparateur», la peine capitale devrait produire, comme nous l'avions déjà annoncé, un effet dissuasif afin de prémunir la société contre de nouveaux crimes. Tel est son but avoué. Le constat est cependant négatif et même les exécutions publiques qui avaient eu lieu en Angleterre et en France avaient produit l'effet inverse. C'est que la peine de mort n'a aucun lien de causalité avec le crime dont l'augmentation ou la diminution résulte plutôt des bonnes ou mauvaises conditions économiques et sociales. En d'autres termes donner la mort au criminel ne résorbe pas le crime et ne ressuscite pas la victime, car ce n'est que par esprit vengeur que la société opère afin de calmer les ardeurs. La peine de mort brise donc la solidarité qui nous lie tous à la mort. A mon avis, les tenants de l'abolition doivent, pour étayer davantage leur argumentaire, penser au supplice de la victime et à l'état d'âme dans lequel se trouve sa famille, surtout lorsque nous sommes en face de rapts et d'assassinats d'enfants innocents et sans défense devant leurs sanguinaires bourreaux assoiffés de sang et de sexe. Que faire d'un criminel capable des pires atrocités que même les films d'horreur sont dans l'incapacité de réaliser ? Le maintenir en vie et le nourrir à perpétuité ? Pour en faire quoi en finalité ? Un citoyen respectable prêt à la réinsertion ? Il est irréparable car il a rompu unilatéralement le pacte social qu'il a souscrit avec la société dont les lois sont nécessaires à sa survie physique. La peine de mort au regard des trois religions monothéistes Les trois grandes religions monothéistes consacrent dans leurs dogmes la sacralité de la loi du talion. Cependant, le rapport à la peine mort qu'elles prescrivent, s'il est manifeste, les distingue un tant soit peu. En effet pour l'islam la notion du Kassas (loi du talion) prévue dans le Coran, la sunna et la charia, y est nettement exprimée et ne souffre aucune ambiguïté. Mais cela ne veut nullement signifier que la loi islamique est plus dure que les préceptes du judaïsme et les lois canoniques du christianisme. Le talion en islam est laissé au choix de la famille de la victime qui peut l'exiger ou recourir au pardon ou, le cas échéant, à la compensation financière. Ces deux derniers choix sont encouragés d'ailleurs par Le Prophète. Aussi, est-il besoin de rappeler qu'il existe trois cas où la peine de mort est exigée : 1/-Le meurtre : dans ce cas la culpabilité du meurtrier ne doit souffrir d'aucun doute quant à une possible innocence de son auteur. 2/-L'adultère au cas où l'auteur est marié. Là aussi la culpabilité du mis en cause est soumise à de nombreuses conditions restrictives qui ne peuvent être réunies finalement que par l'aveu du coupable lui-même. 3/-Le banditisme de grand chemin contre lequel l'islam exige la peine de mort pour des raisons touchant à la sécurité des biens et des personnes. Ainsi, l'islam limite les cas passibles de la peine mort tout en posant des conditions devant garantir des preuves irréfragables. C'est en tout cas une position moins dogmatique qu'on le prétend. Quelle est la nature du rapport des autres religions monothéistes à la peine de mort ? Dans la Torah, Dieu dit immédiatement après le Déluge à Noé : «Celui qui fait couler le sang de l'homme, par l'homme son sang sera versé, car l'homme fut créé à l'image de Dieu». (Genèse 9 ; 6). C'est parce que l'homme a été créé à l'image de Dieu que toute personne qui attenterait à son image serait passible du châtiment suprême, ce qui ne laisse aucun doute sur la consécration de la loi du talion par la religion hébraïque. Mais l'Etat d'Israël l'applique-t-il en fait à l'encontre de ses concitoyens ? La réponse est négative, car il n'y a pas en Israël d'exécutions capitales consécutives à des jugements de condamnations à mort bien que la peine de mort existe bel et bien dans l'arsenal de peines de l'Etat hébreux. Cependant, l'exception à cette règle concerne les non-juifs c'est-à-dire les Palestiniens pour lesquels on applique dans toute sa rigueur la sanction suprême ou l'exécution sommaire au vu et au su de la communauté internationale. La religion chrétienne est le prolongement historique de la religion de Moïse. En effet, la Bible se compose de l'Ancien Testament (la Torah) et du Nouveau Testament qui s'articule autour des Evangiles des Apôtres. En admettant l'Ancien Testament comme héritage du Nouveau, le Christianisme prescrit ouvertement la peine de mort. Cependant, pour beaucoup de chrétiens celle-ci ne saurait être une prescription chrétienne car la Bible, en vertu du commandement, «Tu ne tueras point !» exclut le châtiment suprême de ses enseignements. Mais cette interprétation revêt un caractère erroné et, de l'avis même d'exégètes, il s'agit en fait de la prohibition de l'assassinat et du meurtre mais pas de la peine capitale contre les criminels qui au demeurant a été appliquée par l'Occident chrétien de diverses manières aussi cruelles les unes que les autres. Le christianisme ne fait donc pas l'exception. La problématique en Algérie En Algérie, le débat sur de la peine de mort n'a jamais été d'actualité qu'en ces dernières années. En effet, les rapts et assassinats d'enfants ont mis en émoi tout le pays. Alors que faire devant ce phénomène qui prend de l'ampleur et frappe d'une manière ponctuelle là où l'on s'attend le moins, aveugle, sans cœur et dénué de sens moral ? Il faut réagir promptement pour faire face à ces tragédies surgies de nulle part. Tuer et dépecer un enfant relève-t-il d'une maladie ? L'auteur de tels actes mérite-t-il d'être défendu, médiatisé au détriment des familles des victimes dont on devrait se rapprocher davantage pour comprendre leur désarroi, sentir leurs souffrances et leurs malheurs ? «Ne sent la braise que celui qui la piétine», dit un proverbe bien de chez nous. Nous avons vu précédemment la genèse du débat en Europe occidentale entre tenants du maintien et abolitionnistes. Près de deux siècles durant, il a été alimenté par une intelligentsia parsemée de sommités intellectuelles entre philosophes, médecins, juristes, hommes d'Etat et hommes de lettres qui, à coup d'arguments probants, se sont affrontés tout au long de cette période, pour imposer leur position dans un débat contradictoire, libre et serein ayant abouti finalement au triomphe des abolitionnistes. Peu importe que l'on soit pour ou contre, l'essentiel est d'avoir suscité la controverse et cru en ses convictions. Pourquoi dans ce cas n'a-t-on pas ouvert ce débat en Algérie à l'instar des nations d'outre Méditerranée ? La réponse est la suivante : d'abord, qui contredit qui ? Ensuite, il n'y a pas de tradition de dialogue libre d'une manière générale et dans ce domaine en particulier, ou le pouvoir impose verticalement par des lois et actes réglementaires le chemin à suivre. Il fallait initier le débat au préalable par l'organisation de colloques et symposiums sur la peine de mort et être ainsi à l'écoute des spécialistes qui peuvent apporter des solutions sur la base desquelles on pourra légiférer et faire évoluer sereinement les choses. Enfin, le discours religieux est incontournable pour une raison toute simple, c'est que la religion musulmane est profondément ancrée dans la société algérienne d'où la grande difficulté de désacraliser la question au profit d'un débat séculier qu'on ne saurait accepter. Toutes ces observations nous montrent que le dialogue démocratique en Algérie est loin d'être acquis et que toute réflexion sur ce sujet ou un autre, ne parait pour le pouvoir, qu'une élucubration qui ne suscite pas grand intérêt. L'Algérie a signé un moratoire sur la peine capitale en 1993 dans un contexte de guerre civile pour des considérations politiques évidentes, liées au respect de la vie humaine et aux droits de l'homme et depuis lors, aucune exécution de jugements de condamnation à mort n'a eu lieu. Si la signature d'un moratoire est destinée à suspendre l'application de la peine capitale et des châtiments corporels d'une manière générale, c'est dans le but de faire avancer positivement les choses par un travail pédagogique préalable et nécessaire devant lancer le débat sur la peine de mort dans les pays qui ne l'ont pas encore abolie, particulièrement les pays arabo-musulmans. Mais force est d'admettre que signer un moratoire est en soi un acte tendancieux dans la mesure où son approbation implique tacitement une orientation vers la suppression pure et simple de la peine capitale pour le pays souscripteur, ce qui fausse d'emblée le débat contradictoire tant attendu. Alors, à défaut de débat, autant clarifier la situation par une prise de décision courageuse et réfléchie pour sortir du statut quo et permettre aux détenus d'être fixés sur leur sort et les familles des victimes de faire le deuil de leurs morts. Pourquoi maintenir en détention pendant plusieurs années et sans trancher, des condamnés à mort, dont les meurtres abominables perpétrés contre des personnes sans défense n'ont rien à envier aux grands crimes de l'Histoire de Gilles de Gay à Marc Dutroux ? Qu'on se souvienne des enfants Haroun et Brahim de Constantine et tout récemment de la petite Nihal de Tizi Ouzou. Devant la recrudescence des crimes pendant ces dernières années dont la cruauté dépasse l'imaginaire, il est grand temps de prendre une décision dans un sens comme dans l'autre afin de lever le voile sur une question aussi sensible que la peine de mort. Si au nom des droits de l'homme et du respect de la vie on prêche l'abolition, je pense qu'au nom même de ces droits et de ce respect on devrait imposer aussi le maintien contre les crimes par lesquels des enfants innocents ont péri et ont été atrocement mutilés. Gardons-nous cependant des dérives de l'Occident. En effet, l'abolition de la peine capitale a, par un effet dominos, détruit toutes les balises conservatrices qui éclairaient le chemin de la société occidentale sur le plan moral. De la désacralisation du mariage à la loi Veil sur l'avortement et de la légalisation de l'homosexualité aux mariages gay (assorti du droit d'adopter des enfants) jusqu'à la pratique de l'euthanasie, la société occidentale, par sa permissivité et sa porosité, se désagrège moralement et intellectuellement au nom d'une liberté mal assumée. Pour conclure enfin, je me poserai la question de savoir si l'abandon ou le maintien de la peine capitale a encore un sens de nos jours face aux génocides à ciel ouvert commis devant les caméras des télévisions du monde entier. Ainsi, le déclenchement fréquent de guerres entre «nations civilisées» est une réalité pour le moins sombre et cruelle que la peine de mort ne peut effacer ni corriger. Que peut signifier donc une tête de plus tranchée dans une cour de prison devant les massacres à grande échelle perpétrés par les faucons prédateurs de la planète pour satisfaire leurs besoins inassouvis, au détriment de pays souverains et de leurs populations ? Ne devraient-ils pas, eux aussi, répondre devant les instances judiciaires internationales de leurs «Busheries» et subir le même sort que les criminels de guerre nazis aux procès de Nuremberg ? Effectivement, mais ceci est une autre question. *Juriste - Constantine |